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24/11 St Jean de la Croix, confesseur et docteur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Messe ordinaire du Missel  
  Messe du supplément du Missel Pro aliquibus locis   
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, Catéchèses, 16 février 2011  

Né en 1542, carme en 1563. Mort le 14 décembre 1591. Canonisé en 1726. Fête en 1738. Docteur en 1927.

« Il est évident que la liturgie romaine traditionnelle a été comme étouffée par les fêtes nouvelles ajoutées depuis le XVIe siècle, fêtes qui, à Rome, ont une importance très inférieure à celle des fêtes écrites antérieurement en caractères de sang dans ses fastes hagiographiques. Le fait est qu’en ce jour la messe et la station en l’honneur du martyr Chrysogone sont pratiquement supprimées par l’office de saint Jean de la Croix, lequel, d’ailleurs, n’est même pas mort à cette date (+ 14 décembre 1591). » (Bhx Card. Schuster, Liber Sacramentorum

Textes de la Messe

Messe ordinaire du Missel

die 24 novembris
le 24 novembre
SANCTI IOANNIS A CRUCE
SAINT JEAN DE LA CROIX
Conf. et Eccl. Doct.
Confesseur et Docteur de l’Eglise
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Missa In médio, de Communi Doctorum , præter Orationem sequentem :Messe In médio, du Commun des Docteurs, avec l’oraison suivante :
Oratio.Collecte
Deus, qui sanctum Ioánnem Confessórem tuum atque Doctorem perféctæ sui abnegatiónis et Crucis amatórem exímium effecísti : concéde ; ut, eius imitatióni iúgiter inhæréntes, glóriam assequámur ætérnam. Per Dóminum nostrum.Dieu, vous avez inspiré à saint Jean, votre Confesseur et Docteur, un amour sublime de la parfaite abnégation de soi et de la Croix : faites que, nous attachant toujours à l’imiter, nous obtenions la gloire éternelle.
Et fit commemoratio S. Chrysogoni Mart. :Et on fait mémoire de St Chrysogone, Martyr :
Oratio.Collecte
Adésto, Dómine, supplicatiónibus nostris : ut, qui ex iniquitáte nostra reos nos esse cognóscimus, beáti Chrysógoni Mártyris tui intercessióne liberémur. Per Dóminum nostrum.Seigneur, exaucez nos supplications, afin que, nous reconnaissant coupables, nous soyons délivrés de nos iniquités, grâce à l’intercession de votre bienheureux Martyr Chrysogone.
Secreta C2Secrète
Sancti Ioánnis Confessóris tui atque Doctóris nobis, Dómine, pia non desit orátio : quæ et múnera nostra concíliet ; et tuam nobis indulgéntiam semper obtíneat. Per Dóminum.Que la pieuse intercession de saint Jean, votre Confesseur et Docteur, ne nous fasse point défaut, Seigneur : qu’elle vous rende nos dons agréables et nous obtienne toujours votre indulgence.
Pro S. ChrysogonoPour St Chrysogone
SecretaSecrète
Oblátis, quǽsumus, Dómine, placáre munéribus : et, intercedénte beáto Chrysógono Mártyre tuo, a cunctis nos defénde perículis. Per Dóminum.Laissez-vous fléchir, Seigneur, par l’offrande de ces dons ; et préservez-nous de tous les périls grâce à l’intercession de votre saint martyr Chrysogone.
Postcommunio C2Postcommunion
Ut nobis, Dómine, tua sacrifícia dent salútem : beátus Ioánnes Conféssor tuus et Doctor egrégius, quǽsumus, precátor accédat. Per Dóminum nostrum.Afin, Seigneur, que votre saint sacrifice nous procure le salut, que le bienheureux Jean, votre Confesseur et votre admirable Docteur intercède pour nous.
Pro S. ChrysogonoPour St Chrysogone
PostcommunioPostcommunion
Tui, Dómine, perceptióne sacraménti, et a nostris mundémur occúltis, et ab hóstium liberémur insídiis. Per Dóminum.Que par la participation à votre sacrement, Seigneur, nous soyons purifiés de nos fautes cachées et délivrés des pièges de nos ennemis.

Messe du supplément du Missel Pro aliquibus locis

Textes de la messe ‘Pro aliquibus Locis’ que tout prêtre peut prendre en ce jour selon le code des rubriques de 1962 [*].

die 24 novembris
le 24 novembre
SANCTI IOANNIS A CRUCE
SAINT JEAN DE LA CROIX
Conf. et Eccl. Doct.
Confesseur et Docteur de l’Eglise
Ant. ad Introitum. Gal. 6, 14.Introït
Mihi autem absit gloriári, nisi in cruce Dómini nostri Iesu Christi, per quem mihi mundus crucifíxus est, et ego mundo.Je souhaite de ne jamais me glorifier, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ ; par laquelle le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde.
Ps. 118, 1.
Beáti immaculáti in via : qui ámbulant in lege Dómini.Heureux ceux qui sont immaculés dans la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui sanctum Ioánnem Confessórem tuum atque Doctorem perféctæ sui abnegatiónis et Crucis amatórem exímium effecísti : concéde ; ut, eius imitatióni iúgiter inhæréntes, glóriam assequámur ætérnam. Per Dóminum nostrum.Dieu, vous avez inspiré à saint Jean, votre Confesseur et Docteur, un amour sublime de la parfaite abnégation de soi et de la Croix : faites que, nous attachant toujours à l’imiter, nous obtenions la gloire éternelle.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Philippénses.Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Philippiens.
Philipp. 3, 17-21 : 4, 6-9.©AEL 1964 [1]
Fratres : Imitatóres mei estóte, et observáte eos, qui ita ámbulant, sicut habétis formam nostram. Multi enim ámbulant, quos sæpe dicébam vobis, nunc autem et flens dico, inimícos Crucis Christi : quorum finis intéritus : quorum Deus venter est : et glória in confusióne ipsórum, qui terréna sápiunt. Nostra autem conversátio in cælis est : unde etiam Salvatórem exspectámus, Dóminum nostrum Iesum Christum, qui reformábit corpus humilitátis nostræ, configurátum córpori claritátis suæ, secúndum operatiónem, qua étiam possit subícere sibi ómnia. Nihil sollíciti sitis ; sed in omni oratióne et obsecratióne, cum gratiárum actióne, petitiónes vestræ innotéscant apud Deum. Et pax Dei quæ exsúperat omnem sensum, custódiat corda vestra et intelligéntias vestras, in Christo Iesu. De cétero, fratres, quæcúmque sunt vera, quæcúmque púdica, quæcúmque iusta, quæcúmque sancta, quæcúmque amabília, quæcúmque bonæ famæ, si qua virtus, si qua laus disciplínæ, hæc cogitáte. Quæ et didicístis, et accepístis, et audístis, et vidístis in me, hæc agite : et Deus pacis erit vobíscum.Frères, soyez mes imitateurs, et observez ceux qui se conduisent d’après l’exemple que vous avez en nous. Car je vous l’ai souvent dit, et je le redis aujourd’hui en pleurant, beaucoup se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Leur but, c’est la perdition ; leur dieu, c’est leur ventre, et leur gloire est dans ce qui fait leur honte ; ils n’apprécient que les choses de la terre. Mais nous, nous sommes citoyens des cieux, et c’est de là que viendra comme sauveur celui que nous attendons, le Seigneur Jésus-Christ ; lui qui transformera notre corps de misère et le fera semblable à son corps de gloire, selon le pouvoir qu’il possède de se soumettre toutes choses. Ne soyez inquiets de rien ; mais qu’en toute chose, par la prière et la supplication, avec des actions de grâce, vos demandes se fassent connaître à Dieu. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. Enfin, mes frères, tout ce qu’il y a de vrai, d’honorable, tout ce qui est juste, pur, digne d’être aimé, tout ce qui est vertueux et digne d’éloge, faites-en l’objet de vos pensées. Ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi, et ce que vous m’avez vu faire, vous aussi pratiquez-le, et le Dieu de la paix sera avec vous.
Graduale. Matth. 16, 24.Graduel
Qui vult post me veníre, ábneget semetípsum, et tollat crucem suam, et sequátur me.Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il se renonce, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
V/. Isai. 26, 9. Anima mea desiderávit te in nocte : sed et spíritu meo in præcordiis meis de mane vigilábo ad te.V/. Mon âme vous a désiré dans la nuit : je serai vigilant devant vous dès le matin avec mon esprit dans mon cœur.
Allelúia, allelúia. V/. Eccli. 51, 18 et 22. Quæsívi sapiéntiam in oratióne mea : multam invéni in meípso, et multum proféci in ea. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. J’ai cherché la sagesse dans mon oraison : je l’ai trouvée beaucoup en moi-même, et j’ai fait en elle de grands progrès. Alléluia.
In missis votivis post Septuagesimam, ommissis Allelúia et versu sequenti, diciturAux messes votives après la Septuagésime, on omet l’Alléluia et son verset et on dit
Tractus. Is. 42, 1.Trait
Ecce puer meus, eléctus meus : dedi spíritum meum super eum.Voici mon serviteur, mon élu : j’ai envoyé sur lui mon esprit.
V/. Sap. 10, 17. Fuit mihi in velaménto diéi, et in luce stellárum per noctem ;V/. Il a été pour moi un ombrage pendant le jour, et la lumière des étoiles pendant la nuit.
V/. 1 Cor. 2, 6-7. Sapiéntiam lóquimur inter perféctos : sapiéntiam vero non huius sǽculi, sed lóquimur Dei sapiéntiam.V/. Nous parlons de la sagesse parmi les parfaits : mais ce n’est pas de la sagesse de ce monde, c’est de la Sagesse de Dieu que nous parlons.
Tempore paschali omittitur graduale, et eius loco dicitur :Pendant le temps pascal, on omet le graduel et à sa place on dit :
Allelúia, allelúia. V/. PS. 29, 11. Convertísti planctum meum in gáudium mihi : conscidísti saccum meum, et circumdedísti me lætítiaAllelúia, allelúia. V/. Pour moi vous avez changé le deuil en joie : vous avez déchiré mon cilice et revêtu d’allégresse.
Allelúia. V/. Ps. 65, 15. Veníte, audíte, et narrábo vobis quanta fecit Deus ánimæ meæ. Allelúia.Allelúia. V/. Venez, écoutez-moi, et je vous raconterai tout ce que Dieu a fait pour mon âme. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Lucam.Suite du Saint Évangile selon saint Luc.
Luc. 11, 33-36.©AEL 1964 [2]
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Nemo lucérnam accéndit, et in abscóndito ponit, neque sub módio : sed supra candelábrum, ut, qui ingrediúntur, lumen vídeant. Lucérna córporis tui est óculus tuus. Si óculus tuus fúerit simplex, totum corpus tuum lúcidum erit : si autem nequam fúerit, étiam corpus tuum tenebrósum erit. Vide ergo, ne lumen, quod in te est, ténebræ sint. Si ergo corpus tuum totum lúcidum fúerit, non habens áliquam partem tenebrárum, erit lúcidum totum, et sicut lucérna fulgóris illuminábit te.En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : « Personne n’allume une lampe pour la mettre dans un lieu caché ou sous un boisseau : mais sur son lampadaire, pour que ceux qui entrent voient la lumière. La lampe de ton corps, c’est ton œil. Lorsque ton œil est net, ton corps tout entier est lumineux. Mais quand il est mauvais, ton corps aussi est obscur. Prends donc garde que la lumière qui est en toi ne soit obscurité. Si donc ton corps tout entier est lumineux, sans avoir aucune partie obscure, il sera tout entier lumineux et comme lorsque la lampe t’illumine de sa clarté ».
Ant. ad Offertorium. Isai. 60, 19.Offertoire
Erit tibi Dóminus in lucem sempitérnam, et Deus tuus in glóriam tuam.Le Seigneur sera pour toi une lumière éternelle, et il sera ton Dieu dans ta gloire.
SecretaSecrète
Offérimus tibi, Dómine, hóstiam laudis in honórem sancti Ioánnis Confessóris tui atque Doctóris, qui assíduam crucis mortificatiónem in semetípso portans, tibi fuit hóstia grata atque iucúnda : Qui vivis et regnas.Nous vous offrons, Seigneur, le sacrifice de louange en l’honneur de saint Jean, votre Confesseur et Docteur, lui qui, en portant en lui-même la mortification persévérante de la croix, fut pour vous un sacrifice agréable et plaisant.
Ant. ad Communionem. Isai. 53, 10-11.Communion
Pro eo quod laborávit ánima eius, vidébit semen longǽvum, et volúntas Dómini in manu eius dirigétur.A cause des peines de son âme, il verra une longue descendance, et la volonté du Seigneur s’accomplira par sa main.
PostcommunioPostcommunion
Prǽbeant nobis, Dómine, divínum tua sancta fervórem, intercedénte sancto Ioánne Confessóre tuo atque Doctóre : et præsta ; ut, sicut illum, dum hæc sacra mystéria perágeret, caritátis igne cǽlitus immísso, étiam extérius irradiáre fecísti : ita nos, eiúsdem caritátis ígnibus succénsi, ad cæléstia iúgiter aspirémus : Qui vivis.Par l’intercession de saint Jean, votre Confesseur et Docteur, que cette communion nous donne votre divine ferveur ; et faites que comme vous le faisiez resplendir extérieurement, lorsqu’il célébrait ces mystères sacrés, du feu divin et céleste de la charité, nous ne cessions d’aspirer nous aussi aux biens célestes enflammés de ce même feu de charité.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Quatrième leçon. Jean de la Croix, né de parents pieux, à Fontibéra en Espagne, fit voir clairement dès ses premières années, combien il devait plus tard être cher à la Vierge Mère de Dieu ; car, à l’âge de cinq ans, étant tombé dans un puits, il fut soutenu sur l’eau par la main de Marie, et il en sortit sain et sauf. Un tel désir de souffrir l’enflamma, que, dès sa neuvième année, il laissait un lit moelleux pour s’étendre d’ordinaire sur une couche de sarments. Parvenu à l’adolescence il se consacra au service des pauvres malades, à l’hospice de Médina del Campo : la grande ardeur de sa charité le tenait toujours prêt à leur rendre les plus bas offices. Aussi les autres infirmiers, excités par son exemple, accomplissaient-ils avec un nouveau zèle les mêmes actes charitables. Mais appelé à une vocation plus sublime, Jean embrassa l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel, où il reçut la prêtrise par obéissance et désireux d’une discipline très sévère, d’un genre de vie plus austère, obtint de ses supérieurs la permission de suivre la règle primitive de l’Ordre. Dès lors, à cause de son continuel souvenir de la passion du Seigneur, il se déclara la guerre à lui-même, comme à son ennemi le plus redoutable, et il eut bientôt, par les veilles, les jeûnes, les disciplines de fer et toutes sortes de macérations « crucifié sa chair avec ses vices et ses convoitises » ; aussi mérita-t-il pleinement que sainte Thérèse le comptât parmi les plus pures et les plus saintes âmes illustrant alors l’Église de Dieu.

Cinquième leçon. Muni (d’armes spirituelles) par la singulière austérité de sa vie et l’exercice de toutes les vertus, livré à la contemplation assidue des choses divines, Jean de la Croix éprouva souvent de merveilleuses extases ; il brûlait d’un tel amour envers Dieu, que parfois ce feu divin, ne pouvant être contenu plus longtemps en lui-même et semblant rompre ses digues, on le voyait irradier le visage du saint. D’une extrême sollicitude pour le salut du prochain, Jean s’adonnait sans relâche à la prédication de la parole divine et à l’administration des sacrements. Orné de tant de mérites et embrasé du désir véhément de promouvoir une plus stricte discipline, il fut donné par Dieu comme aide à sainte Thérèse pour ramener parmi les Frères la primitive observance du Carmel, qu’elle avait établie chez les Sœurs de cet Ordre. Pour promouvoir cette œuvre divine, il supporta, ainsi que la servante de Dieu, des fatigues innombrables, visitant chacun des monastères élevés par les soins de cette même sainte vierge par toute l’Espagne, et cela sans se laisser effrayer par aucune privation, par aucun danger ; faisant fleurir en ces maisons et en celles qu’il fonda lui-même, la nouvelle observance, et affermissant cette observance par ses paroles et son exemple. Aussi est-il considéré à juste titre, comme ayant, après sainte Thérèse, le plus contribué à la réforme des Carmes déchaussés, qui a reçu ses enseignements et le nomme son père.

Sixième leçon. Jean garda toute sa vie la virginité, et des femmes impudentes s’efforçant de tendre des pièges à sa vertu, il ne se borna pas à les repousser, mais les gagna à Jésus-Christ. Pour l’explication des opérations mystérieuses de la grâce divine, il fut, au jugement du Saint-Siège, l’égal de sainte Thérèse, et c’est éclairé par les lumières d’en haut qu’il écrivit, sur la théologie mystique, des livres tout pleins d’une sagesse céleste. Le Christ lui ayant un jour demandé quelle récompense il souhaitait pour tant de travaux, il répondit : « Seigneur, souffrir et être méprisé pour vous ». Bien que son pouvoir sur les démons, qu’il chassait souvent du corps des possédés, le discernement des esprits, le don de prophétie, l’éclat des miracles l’eussent rendu très célèbre, son humilité demeura constamment telle, que souvent il demandait au Seigneur de mourir en un Heu où il serait ignoré de tous. Son vœu fut exaucé : une cruelle maladie le saisit à Ubède, et, pour combler son désir des souffrances, il lui survint à une jambe cinq plaies purulentes : toutes choses qu’il endura avec une constance admirable. Ayant reçu pieusement et saintement les sacrements de l’Église, dans l’embrassement de Jésus-Christ crucifié, qu’il avait toujours eu dans le cœur et sur les lèvres, et après avoir prononcé ces paroles : « Je remets mon âme entre vos mains », il s’endormit dans le Seigneur, au jour et à l’heure qu’il avait prédits, l’an du salut mil cinq cent quatre-vingt-onze, à l’âge de quarante-neuf ans. On vit un globe de feu tout éblouissant venir en quelque sorte au devant de son âme pour la recevoir ; son -corps exhala un très suave parfum et, aujourd’hui encore exempt de corruption, il est vénéré avec honneur à Ségovie. Des miracles éclatants ayant précédé et suivi la mort de Jean de la Croix, le Souverain Pontife Benoît XIII l’a inscrit au nombre des saints et Pie XI, sur l’avis de la Sacrée Congrégation des Rites, l’a déclaré Docteur de l’Église universelle.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Suivons l’Église se dirigeant vers le Carmel, pour y porter l’hommage reconnaissant du monde. Sur les pas de Thérèse de Jésus, Jean de la Croix s’est levé, frayant aux âmes en quête de Dieu un chemin sûr.

L’évolution qui inclinait les peuples au délaissement de la prière sociale, menaçait de compromettre irréparablement la piété, quand, au XVIe siècle, la divine bonté suscita des Saints dont la parole comme la sainteté répondissent aux besoins de ces temps nouveaux. La doctrine ne change pas ; l’ascétique, la mystique de ce siècle transmirent aux siècles suivants les échos de ceux qui avaient précédé. Leur exposé se fit toutefois plus didactique, leur analyse plus serrée ; leurs procédés se prêtèrent à la nécessité de secourir les âmes que l’isolement livrait au risque de toutes les illusions. C’est justice de reconnaître que, sous l’action toujours féconde de l’Esprit-Saint, la psychologie des états surnaturels en devint plus étendue et plus précise.

Les chrétiens d’autrefois, priant avec l’Église, vivant chaque jour, à toute heure, de sa vie liturgique, gardaient son empreinte en toutes circonstances dans leurs relations personnelles avec Dieu. Et de la sorte il arrivait que, sous l’influence persévérante et transformante de l’Église, participant aux grâces de lumière et d’union, à toutes les bénédictions de cette unique bien-aimée, de cette unique agréée de l’Époux [3], c’était sa propre sainteté qu’ils s’assimilaient sans labeur autre que de suivre docilement leur Mère, ou de se laisser porter dans ses bras très sûrs. Ainsi s’appliquaient-ils la parole du Seigneur : Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux [4].

Qu’on ne s’étonne pas de ne point remarquer près d’eux, aussi fréquente et assidue que de nos jours, l’assistance de directeurs spéciaux attachés à leurs propres personnes. Les guides particuliers sont moins nécessaires aux membres d’une caravane ou d’une armée : ce sont les voyageurs isolés qui ne peuvent s’en passer ; et même avec ces guides particuliers, la sécurité, pour eux, ne sera jamais comparable à celle de quiconque suit la caravane ou l’armée.

C’est ce que comprirent au cours des derniers siècles les hommes de Dieu qui, s’inspirant des aptitudes multiples des âmes, donnèrent leurs noms à des écoles, unes quant au but, diverses quant aux moyens proposés par elles à l’encontre des dangers de l’individualisme. Dans cette campagne de redressement et de salut, où l’ennemie redoutable entre toutes était l’illusion aux mille formes, aux subtiles racines, aux détours infinis, Jean de la Croix fut la vivante image du Verbe de Dieu, pénétrant mieux qu’un glaive acéré jusqu’à la division de l’esprit et de l’âme, des moelles et des jointures, scrutant, révélateur inexorable, intentions et pensées des cœurs [5]. Écoutons-le, bien que moderne, on reconnaît en lui le fils des anciens. « L’âme, écrit-il, est faite pour parvenir à une connaissance fort étendue, et pleine de saveur, des choses divines et humaines, qui s’élève bien au-dessus de sa science naturelle. Autant le divin est éloigné de l’humain, autant la lumière et la grâce de l’Esprit-Saint diffèrent de la lumière des sens [6]. Aussi avant d’arriver à la divine lumière de la parfaite union d’amour, dans la mesure où cela est possible en ce monde, l’âme doit traverser la nuit obscure, affronter ordinairement des ténèbres si profondes que l’intelligence humaine est impuissante à les comprendre et la parole à les exprimer [7].

« La purification qui conduit l’âme à l’union divine peut recevoir la dénomination de nuit pour trois raisons. La première se rapporte au point de départ ; car, en renonçant à toutes les choses créées, l’âme a dû tout d’abord priver ses appétits du goût qu’ils y trouvaient. Or ceci est indubitablement une nuit pour tous les sens et tous les instincts de l’homme.

« La seconde raison est la voie même qu’il faut prendre pour atteindre l’état bienheureux de l’union. Cette voie n’est autre que la foi, nuit vraiment obscure pour l’entendement.

« Enfin la troisième raison est le terme où l’âme tend. Terme qui est Dieu, être incompréhensible et infiniment au-dessus de nos facultés, et qu’on peut appeler par là même une nuit obscure pour l’âme durant son pèlerinage ici-bas.

« Ces trois nuits à traverser par l’âme sont figurées au Livre de Tobie par les trois nuits que, sur l’ordre de l’Ange, le jeune Tobie laissa écouler avant de s’unir à son épouse [8]. L’Ange Raphaël lui commanda de brûler pendant la première nuit le foie du poisson, symbole d’un cœur affectionné et attaché aux choses créées. Quiconque désire s’élever à Dieu doit, dès le début, purifier son cœur dans le feu de l’amour divin et y consumer tout ce qui appartient au créé. Cette purification met en fuite le démon, qui auparavant avait puissance sur l’âme pour la faire adhérer aux plaisirs temporels et sensibles.

« L’Ange dit à Tobie que dans la seconde nuit il serait admis en la compagnie des saints Patriarches, qui sont les pères de la foi. De même l’âme, après avoir traversé la première nuit, figurée par la privation de tout ce qui flatte les sens, pénètre sans obstacle dans la seconde. Là, étrangère à tous les objets sensibles, elle demeure dans la solitude et la nudité de la foi, l’ayant choisie pour son unique guide.

« Enfin, pendant la troisième nuit il fut promis à Tobie une abondante bénédiction. Dans le sens qui nous occupe, cette bénédiction est Dieu lui-même qui, à la faveur de la seconde nuit, c’est-à-dire de la foi, se communique à l’âme d’une manière si secrète et si intime, que c’est un autre genre de nuit plus profonde que les précédentes. L’union avec l’Épouse, c’est-à-dire avec la Sagesse de Dieu, se consomme quand la troisième nuit est écoulée, nous voulons dire, lorsque cette communication de Dieu à l’esprit est achevée [9].

« O âmes spirituelles ! ne vous plaignez pas de sentir vos puissances livrées à l’angoisse des ténèbres, vos affections stériles et paralysées, vos facultés impuissantes à tout exercice de la vie intérieure. En vous enlevant votre manière imparfaite d’agir, le Seigneur vous délivre ainsi de vous-même. Malgré le bon emploi que vous eussiez fait d’ailleurs de vos facultés, leur impureté et leur ignorance ne vous eussent jamais permis d’obtenir un résultat aussi parfait et une sécurité aussi entière. Dieu vous prend parla main, et se fait lui-même votre conducteur au milieu des ténèbres. Il vous guide comme un aveugle par un chemin inconnu, vers le terme où ni vos lumières ni vos efforts n’eussent jamais pu vous conduire [10]. »

Nous aimons à laisser les Saints décrire eux-mêmes les voies qu’ils parcoururent, et dont ils demeurent, en récompense de leur fidélité, les guides reconnus dans l’Église. Ajouterons-nous qu’ « il faut prendre garde, dans les peines de ce genre, à ne pas exciter la commisération du Seigneur avant que son œuvre soit achevée ? On ne peut s’y méprendre : telles grâces que Dieu fait à l’âme ne sont pas nécessaires au salut, mais elles doivent être payées d’un certain prix. Si nous nous montrions par trop difficiles, il se pourrait que, pour ménager notre faiblesse, le Seigneur nous laissât retomber dans une voie inférieure, ce qui, au regard de la foi, serait un irréparable malheur. Mais dira-t-on, qu’importe, puisque cette âme se sauvera ? Il est vrai, mais notre intelligence ne saurait apprécier la supériorité d’une âme qui pourrait devenir l’émule des chérubins ou des séraphins, sur celle qui ne saurait être assimilée qu’aux hiérarchies inférieures. Une fausse modestie ou l’amour du médiocre ne saurait avoir légitimement cours en ces matières [11]. Il importe plus qu’on ne saurait le dire aux intérêts de la sainte Église et à la gloire de Dieu que les âmes vraiment contemplatives se multiplient sur la terre. Elles sont le ressort caché et le moteur qui donne l’impulsion sur terre à tout ce qui est la gloire de Dieu, le règne de son Fils, et l’accomplissement parfait de la divine volonté. En vain multipliera-t-on les œuvres, les industries, et même les dévouements : tout sera stérile, si l’Église militante n’a pas ses saints qui la soutiennent dans l’état de voie, celui que le Maître a choisi pour racheter le monde. Certaines puissances et certaines fécondités sont inhérentes à la vie présente ; elle a, de soi, si peu de charmes, qu’il n’était pas inutile d’en relever ainsi le mérite » [12].

Puissent au Carmel et sur les monts, comme dans la plaine et les vallées, se multiplier les âmes qui concilient le ciel à la terre, attirent les bénédictions, écartent la foudre ! Saints que nous sommes par vocation [13], puissions-nous à votre exemple et par votre prière, ô Jean de la Croix, laisser la divine grâce agir en nous selon toute la mesure de sa vertu purifiante et déifiante ; car alors aussi nous pourrons dire un jour avec vous :

« O vie divine qui ne donnez la mort que pour rendre la vie, vous m’avez blessée pour me guérir, vous avez détruit en moi ce qui me retenait dans la mort. Sagesse divine, ô touche délicate, Verbe qui pénétrez si subtilement la substance de mon âme, et la plongez en des douceurs qu’on ne connaît pas dans la terre de Chanaan ni dans celle de Théman [14] : vous renversez les montagnes, vous brisez les rochers d’Horeb par la seule ombre de votre puissance, et au prophète vous vous révélez par le murmure d’une brise légère [15]. O souffle divin, si terrible et si doux, le monde ne connaît pas votre suavité.

« Ceux-là seuls vous sentent, ô mon Dieu et ma vie ! ceux-là seuls vous reconnaissent à votre délicatesse infinie, qui, s’éloignant du monde, se sont spiritualisés tout entiers. Vous qui n’avez en vous rien de matériel, vous touchez l’âme d’une manière d’autant plus intime et profonde, que votre être divin, affranchi de tout mode, figure ou forme, l’a rendue elle-même plus simple et pure. Vous cachant en elle, désormais séparée de tout souvenir de créatures, vous la cachez à votre tour dans le secret de votre face divine, l’y mettant à couvert de tous les troubles de ce monde. Vous l’étant réservée, tout autre objet, qu’il soit d’en haut ou d’en bas, la fatigue ; et c’est pour elle une peine et un tourment que d’avoir à s’en occuper » [16].

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

La fête du Docteur mystique du Carmel fut introduite pour la première fois dans le calendrier de l’Église universelle par Clément XII, qui voulut reconnaître ainsi les grands mérites du Saint dont le rôle fut d’aider sainte Térèse dans la réforme de son Ordre et de promouvoir la science des Saints pour le bien des âmes par ses écrits mystiques.

Ceci surtout donne beaucoup d’importance à la figure de saint Jean de la Croix et lui assure une place principale dans le groupe des auteurs mystiques qui, à commencer par Origène, saint Ambroise, saint Grégoire et arrivant jusqu’à saint François de Sales, au père Faber, à Mgr Gay, ont décrit et expliqué le secret travail du Paraclet dans l’illumination de l’âme du juste et le don de lui-même à cette âme. C’est en qualité de Docteur mystique que l’intrépide compagnon de sainte Térèse dans la réforme du Carmel a été inscrit par Pie XI au nombre glorieux des Docteurs de l’Église universelle.

On connaît la parole de saint Jean de la Croix, qui caractérise bien l’homme et résume sa vie, sans cesse tourmentée par les inquiétudes, les travaux, les persécutions, les maladies douloureuses. Jésus lui ayant un jour demandé quelle récompense il souhaitait pour tant de peine déjà prise pour sa gloire, Jean répondit : Domine, pati et contemni pro te. Seigneur, souffrir et être méprisé pour votre amour ! Et il fut exaucé.

La messe, In medio, est celle du Commun des Docteurs, comme le 27 mai pour saint Bédé le Vénérable. Seule la première collecte est spéciale ; elle contient des allusions historiques à la vie du Saint.

Prière. — « Seigneur, qui avez rendu votre confesseur et docteur Jean si parfait dans le renoncement à soi-même pour l’amour de votre Croix ; faites que, nous appliquant continuellement à imiter ses exemples, nous puissions obtenir comme lui la gloire éternelle. »

Cette collecte mentionne un double mouvement qui constitue comme le rythme de notre vie intérieure : d’abord le renoncement au moi, c’est-à-dire à ce qui n’est ni amour, ni vérité, ni vertu, mais simplement négation de bonté, pour faire place au contraire à l’amour de la Croix, en qui est salus, vita et resurrectio nostra. Dans cet amour est Dieu, et celui qui demeure dans cet amour demeure en Dieu, et Dieu en lui.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Grâces mystiques »

Saint Jean de la Croix (né en 1542, en Espagne). — Dans sa jeunesse il fut infirmier ; plus tard, il entra dans l’ordre des Carmes, où il reçut la prêtrise par obéissance. Il fut l’auxiliaire de sainte Thérèse dans l’œuvre de la réforme de l’Ordre du Carmel qui lui valut beaucoup de souffrances et d’amertumes. Il mérite à bon droit d’être nommé, à côté de sainte Thérèse, le fondateur et le père des Carmes déchaussés. Il est un des grands maîtres de la mystique ; ses principales œuvres mystiques sont : « La Montée du Carmel », « La Nuit obscure de l’âme », « Le Cantique spirituel entre l’Âme et le Christ », « La vive Flamme d’amour », « Les Épines de l’esprit ». Ces ouvrages classiques l’ont fait élever par Pie Xl au rang de Docteur de l’Église. Vers la fin de sa vie, il eut à supporter de nombreuses souffrances corporelles. Comme le Christ lui demandait un jour quelle récompense il souhaitait pour tant de travaux, il répondit : « Seigneur, souffrir et être méprisé pour l’amour de vous ! » A Ubeda (en Andalousie), il fut saisi d’une douloureuse maladie qui lui provoqua cinq plaies suppurantes aux jambes ; il la supporta avec une grande patience pour assouvir sa soif de souffrances. Muni des derniers sacrements, il mourut en baisant le Crucifix qu’il portait sans cesse à son cœur et à ses lèvres, et en disant : « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains. » Il mourut à l’heure qu’il avait prédite, le 14 décembre 1591, dans sa 49e année. Son tombeau est à Ségovie, en Espagne. — La Messe est du commun des docteurs de l’Église (In medio).

Benoît XVI, Catéchèses, 16 février 2011

Chers frères et sœurs,

Il y a deux semaines, j’ai présenté la figure de la grande mystique espagnole Thérèse de Jésus. Je voudrais aujourd’hui parler d’un autre saint important de ces territoires, ami spirituel de sainte Thérèse, réformateur, avec elle, de la famille religieuse carmélitaine : saint Jean de la Croix, proclamé Docteur de l’Église par le Pape Pie XI, en 1926, et surnommé dans la tradition Doctor mysticus, « Docteur mystique ».

Jean de la Croix naquit en 1542 dans le petit village de Fontiveros, proche d’Avila, en Vieille Castille, de Gonzalo de Yepes et Catalina Alvarez. Sa famille était très pauvre, car son père, issu d’une famille noble de Tolède, avait été chassé de chez lui et déshérité pour avoir épousé Catalina, une humble tisseuse de soie. Orphelin de père dans son jeune âge, Jean, à neuf ans, partit avec sa mère et son frère Francisco pour Medina del Campo, non loin de Valladolid, un pôle commercial et culturel. Il y fréquenta le Colegio de los Doctrinos, en assurant également d’humbles travaux pour les sœurs de l’église-couvent de la Madeleine. Par la suite, vues ses qualités humaines et ses résultats dans les études, il fut admis d’abord comme infirmier dans l’Hôpital de la Conception, puis au Collège des jésuites, qui venait d’être fondé à Medina del Campo : Jean y entra à dix-huit ans et étudia pendant trois ans les sciences humaines, la rhétorique et les langues classiques. A la fin de sa formation, sa vocation lui était très claire : la vie religieuse et, parmi tous les ordres présents à Medina, il se sentit appelé au carmel.

Au cours de l’été 1563, il débuta le noviciat chez les carmes de la ville, en prenant le nom religieux de Mattia. L’année suivante, il fut destiné à la prestigieuse université de Salamanque, où il étudia pendant un triennat les arts et la philosophie. En 1567, il fut ordonné prêtre et retourna à Medina del Campo pour célébrer sa première Messe entouré de l’affection de sa famille. C’est là qu’eut lieu la première rencontre entre Jean et Thérèse de Jésus. La rencontre fut décisive pour tous les deux : Thérèse lui exposa son programme de réforme du carmel, l’appliquant également à la branche masculine de l’ordre et proposa à Jean d’y adhérer « pour la plus grande gloire de Dieu » ; le jeune prêtre fut fasciné par les idées de Thérèse, au point de devenir un grand défenseur du projet. Ils travaillèrent ensemble quelques mois, partageant les idéaux et les propositions pour inaugurer le plus rapidement possible la première maison des carmes déchaux : l’ouverture eut lieu le 28 décembre 1568 à Duruelo, un lieu isolé de la province d’Avila. Avec Jean, trois autres compagnons formaient cette première communauté masculine réformée. En renouvelant leur profession de foi selon la Règle primitive, tous les quatre adoptèrent un nouveau nom : Jean s’appela dès lors « de la Croix », nom sous lequel il sera universellement connu. A la fin de 1572, à la demande de sainte Thérèse, il devint confesseur et vicaire du monastère de l’Incarnation d’Avila, où la sainte était prieure. Ce furent des années d’étroite collaboration et d’amitié spirituelle, qui les enrichit tous deux. C’est à cette période que remontent aussi les plus importantes œuvres de Thérèse et les premiers écrits de Jean.

L’adhésion à la réforme du carmel ne fut pas facile et coûta également de graves souffrances à Jean. L’épisode le plus traumatisant fut, en 1577, son enlèvement et son incarcération dans le couvent des carmes de l’antique observance de Tolède, à la suite d’une accusation injuste. Le saint fut emprisonné pendant des mois, soumis à des privations et des contraintes physiques et morales. En ce lieu, il composa, avec d’autres poésies, le célèbre Cantique spirituel.

Finalement, dans la nuit du 16 au 17 août 1578, il réussit à fuir de façon aventureuse, se réfugiant dans le monastère des carmélites déchaussées de la ville. Sainte Thérèse et ses compagnons réformés célébrèrent avec une immense joie sa libération et, après une brève période pour retrouver ses forces, Jean fut destiné à l’Andalousie, où il passa dix ans dans divers couvents, en particulier à Grenade. Il assuma des charges toujours plus importantes dans l’ordre, jusqu’à devenir vicaire provincial, et il compléta la rédaction de ses traités spirituels. Il revint ensuite dans sa terre natale, comme membre du gouvernement général de la famille religieuse thérésienne, qui jouissait désormais d’une pleine autonomie juridique. Il habita au carmel de Ségovie, exerçant la charge de supérieur de cette communauté. En 1591, il fut relevé de toute responsabilité et destiné à la nouvelle province religieuse du Mexique.

Alors qu’il se préparait pour ce long voyage avec dix autres compagnons, il se retira dans un couvent solitaire près de Jaén, où il tomba gravement malade. Jean affronta avec une sérénité et une patience exemplaires d’immenses souffrances. Il mourut dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, alors que ses confrères récitaient l’office de mâtines. Il les quitta en disant : « Aujourd’hui je vais chanter l’Office au ciel ». Sa dépouille mortelle fut transférée à Ségovie. Il fut béatifié par Clément X en 1675 et canonisé par Benoît XIII en 1726.

Jean est considéré comme l’un des plus importants poètes lyriques de la littérature espagnole. Ses plus grandes œuvres sont au nombre de quatre : « La montée du Mont Carmel », « La nuit obscure », « Les cantiques spirituels » et « La vive flamme d’amour ».

Dans les Cantiques spirituels, saint Jean présente le chemin de purification de l’âme, c’est-à-dire la possession progressive et joyeuse de Dieu, jusqu’à ce que l’âme parvienne à sentir qu’elle aime Dieu avec le même amour dont Il l’aime. La vive flamme d’amour poursuit dans cette perspective, en décrivant plus en détail l’état de l’union transformante avec Dieu. Le parallèle utilisé par Jean est toujours celui du feu : de même que le feu, plus il brûle et consume le bois, plus il devient incandescent jusqu’à devenir flamme, ainsi l’Esprit Saint, qui au cours de la nuit obscure purifie et « nettoie » l’âme, avec le temps l’illumine et la réchauffe comme si elle était une flamme. La vie de l’âme est une incessante fête de l’Esprit Saint, qui laisse entrevoir la gloire de l’union avec Dieu dans l’éternité.

La montée du Mont Carmel présente l’itinéraire spirituel du point de vue de la purification progressive de l’âme, nécessaire pour gravir le sommet de la perfection chrétienne, symbolisée par le sommet du Mont Carmel. Cette purification est proposée comme un chemin que l’homme entreprend, en collaborant avec l’action divine, pour libérer l’âme de tout attachement ou lien d’affection contraire à la volonté de Dieu. La purification, qui pour parvenir à l’union d’amour avec Dieu doit être totale, commence par celle de la vie des sens et se poursuit par celle que l’on obtient au moyen des trois vertus théologales : foi, espérance et charité, qui purifient l’intention, la mémoire et la volonté. La nuit obscure décrit l’aspect « passif », c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans ce processus de « purification » de l’âme. L’effort humain, en effet, est incapable tout seul d’arriver jusqu’aux racines profondes des inclinations et des mauvaises habitudes de la personne : il peut seulement les freiner, mais non les déraciner complètement. Pour cela, l’action spéciale de Dieu est nécessaire, qui purifie radicalement l’esprit et le dispose à l’union d’amour avec Lui. Saint Jean qualifie de « passive » cette purification, précisément parce que, bien qu’acceptée par l’âme, elle est réalisée par l’action mystérieuse de l’Esprit Saint qui, comme la flamme du feu, consume toute impureté. Dans cet état, l’âme est soumise à tous types d’épreuves, comme si elle se trouvait dans une nuit obscure.

Ces indications sur les œuvres principales du saint nous aident à nous familiariser avec les points principaux de sa vaste et profonde doctrine mystique, dont l’objectif est de décrire un chemin sûr pour parvenir à la sainteté, l’état de perfection auquel Dieu nous appelle tous. Selon Jean de la Croix, tout ce qui existe, créé par Dieu, est bon. A travers les créatures, nous pouvons parvenir à la découverte de Celui qui a laissé en elles une trace de lui. La foi, quoi qu’il en soit, est l’unique source donnée à l’homme pour connaître Dieu tel qu’il est en soi, comme Dieu Un et Trine. Tout ce que Dieu voulait communiquer à l’homme, il l’a dit en Jésus Christ, sa Parole faite chair. Jésus Christ est le chemin unique et définitif vers le Père [17]. Toute chose créée n’est rien par rapport à Dieu et ne vaut rien en dehors de Lui : par conséquent, pour atteindre l’amour parfait de Dieu, tout autre amour doit se conformer dans le Christ à l’amour divin. C’est de là que découle l’insistance de saint Jean de la Croix sur la nécessité de la purification et de la libération intérieure pour se transformer en Dieu, qui est l’objectif unique de la perfection. Cette « purification » ne consiste pas dans la simple absence physique des choses ou de leur utilisation ; ce qui rend l’âme pure et libre, en revanche, est d’éliminer toute dépendance désordonnée aux choses. Tout doit être placé en Dieu comme centre et fin de la vie. Le processus long et fatigant de purification exige certainement un effort personnel, mais le véritable protagoniste est Dieu : tout ce que l’homme peut faire est d’« être disposé », être ouvert à l’action divine et ne pas lui opposer d’obstacle. En vivant les vertus théologales, l’homme s’élève et donne une valeur à son engagement. Le rythme de croissance de la foi, de l’espérance et de la charité va de pair avec l’œuvre de purification et avec l’union progressive avec Dieu jusqu’à se transformer en Lui. Lorsque l’on parvient à cet objectif, l’âme est plongée dans la vie trinitaire elle-même, de sorte que saint Jean affirme qu’elle parvient à aimer Dieu avec le même amour que celui avec lequel il l’aime, car il l’aime dans l’Esprit Saint. Voilà pourquoi le Docteur mystique soutient qu’il n’existe pas de véritable union d’amour avec Dieu si elle ne culmine pas dans l’union trinitaire. Dans cet état suprême, l’âme sainte connaît tout en Dieu et ne doit plus passer à travers les créatures pour arriver à Lui. L’âme se sent désormais inondée par l’amour divin et se réjouit entièrement en lui.

Chers frères et sœurs, à la fin demeure la question : ce saint, avec sa mystique élevée, avec ce chemin difficile vers le sommet de la perfection, a-t-il quelque chose à nous dire à nous également, au chrétien normal qui vit dans les circonstances de cette vie actuelle, ou est-il un exemple, un modèle uniquement pour quelques âmes élues, qui peuvent réellement entreprendre ce chemin de la purification, de l’ascèse mystique ? Pour trouver la réponse, nous devons avant tout tenir compte du fait que la vie de saint Jean de la Croix n’a pas été un « envol sur les nuages mystiques », mais a été une vie très dure, très pratique et concrète, tant comme réformateur de l’ordre, où il rencontra de nombreuses oppositions, que comme supérieur provincial, ou dans les prisons de ses confrères, où il était exposé à des insultes incroyables et à de mauvais traitements physiques. Cela a été une vie dure, mais précisément au cours des mois passés en prison, il a écrit l’une de ses œuvres les plus belles. Et ainsi, nous pouvons comprendre que le chemin avec le Christ, aller avec le Christ, « le Chemin », n’est pas un poids ajouté au fardeau déjà assez difficile de notre vie, ce n’est pas quelque chose qui rendrait encore plus lourd ce fardeau, mais il s’agit d’une chose totalement différente, c’est une lumière, une force, qui nous aide à porter ce fardeau. Si un homme porte en lui un grand amour, cet amour lui donne presque des ailes, et il supporte plus facilement toutes les épreuves de la vie, car il porte en lui cette grande lumière ; telle est la foi : être aimé par Dieu et se laisser aimer par Dieu en Jésus Christ. Se laisser aimer est la lumière qui nous aide à porter le fardeau de chaque jour. Et la sainteté n’est pas notre œuvre, très difficile, mais elle est précisément cette « ouverture » : ouvrir les fenêtres de notre âme pour que la lumière de Dieu puisse entrer, ne pas oublier Dieu car c’est précisément dans l’ouverture à sa lumière que se trouve la force, la joie des rachetés. Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à trouver cette sainteté, à nous laisser aimer par Dieu, qui est notre vocation à tous et la véritable rédemption. Merci.

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PROPRIUM SANCTORUM PRO ALIQUIBUS LOCISPROPRE DES SAINTS POUR CERTAINS LIEUX
Infrascriptae Missae de Mysterio vel Sancto elogium in Martyrologio eo die habente, dici possunt ut festivae ubicumque, ad libitum sacerdotis, iuxta rubricas. Similiter huiusmodi Missae dici possunt etiam ut votivae, nisi aliqua expresse excipiatur. Les Messes données ici d’un Mystère ou d’un saint qui a le jour-même une mention au Martyrologe, peuvent être dites comme festives partout, selon la volonté du prêtre et les rubriques. De la même manière, les Messes peuvent être dites comme votives sauf si c’est indiqué expressément.

[1] Cf. Motu proprio Summorum Pontificum : Art. 6. Dans les Messes selon le Missel du B. Jean XXIII célébrées avec le peuple, les lectures peuvent aussi être proclamées en langue vernaculaire, utilisant des éditions reconnues par le Siège apostolique.

[2] Cf. la note à l’Épître.

[3] Cant. 6, 8.

[4] Matth. 18, 3.

[5] Heb. 4, 12-13.

[6] Vie et Œuvres de saint Jean de la Croix, édition des Carmélites de Paris, La Nuit obscure de l’âme, L. II, ch. IX.

[7] Ibid. La Montée du Carmel, Prologue.

[8] Tob. 6, 18.

[9] La Montée du Carmel, L. I, ch. II.

[10] La Nuit obscure, L. II, ch. XVI.

[11] La Vie spirituelle et l’Oraison d’après la sainte Écriture et la Tradition monastique, Solesmes, 1899, Ch. XIV.

[12] Ibid. Ch. XIX.

[13] Rom. 1, 7.

[14] Baruch, III, 22.

[15] III Reg. XIX, II, 12.

[16] La vive flamme d’amour, strophe II, vers III, résumé.

[17] cf. Jn. 14, 6.