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Supra quae et Supplices

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Extrait de Missarum Solemnia, t. III, pp. 145-158, Aubier, 1954.

C’est une étrange audace de la part de l’être humain, fût-ce la communauté ecclésiale, que d’offrir à Dieu quoi que ce soit, même les dons les plus saints. Aussi l’offrande est-elle formulée à nouveau en termes qui signifient clairement que pour voir agréer ces dons de nos mains, nous ne comptons que sur la grâce de Dieu. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de les présenter : offerimus. A Dieu, maintenant, de tourner vers eux un regard bienveillant (respicere) [1], et ainsi de les agréer (accepta habere). Une autre métaphore, spatiale, évoque l’acceptation divine comme une assomption de ces dons sur l’autel du ciel [2] ; Cette pensée découle de façon simple et naturelle de ce qui précède [3], aussi fait-elle partie du plus ancien fonds de la liturgie, et non pas à Rome seulement [4]. Néanmoins, elle pose plus d’un problème.

On est d’abord frappé de voir que ces formules s’attachent strictement au déroulement extérieur du sacrifice, se bornant à le traduire, pas à pas, en prière. Elles décèlent le souci que le signe soit accompli comme il faut et reconnu valable par Dieu. Quant à la chose signifiée, quant à l’esprit dans lequel est offert le sacrifice, quant à cette attitude d’âme, principe nécessaire de notre acte et thème, considéré aujourd’hui à bon droit comme primordial — peut-être pas assez encore — de nos méditations religieuses et de nos exhortations pastorales, cet assujettissement total de la créature au Créateur, cet accord toujours plus parfait de notre volonté avec la volonté de Dieu, cette fusion toujours plus entière de notre mentalité en celle « qui était dans le Christ Jésus », tout cela n’est pas ici objet d’une attention particulière. Pourtant cette lacune ne doit pas nous déconcerter. Car tout cela, ce comportement intérieur de chacun, est sous-entendu, sinon comme réalité acquise, du moins comme aspiration, et constitue l’arrière-plan de la cérémonie sacrificielle dont s’acquitte la communauté responsable. Ce n’est pas l’effort subjectif, variable d’une âme à l’autre, mais l’action objective valable pour tous, qui doit ressortir ici.

Mais, d’autre part, l’idée même peut sembler étrange de demander que soient agréés les oblats une fois transsubstantiés. Ne sont-ils pas les dons les plus saints ? Qui plus est, ne s’agit-il pas du sacrifice offert par le Christ lui-même ministerio sacerdotum Son acceptation n’a plus besoin d’être implorée : d’avance il a une valeur absolue. En regard de lui, tout ce que l’on va citer de l’Ancien Testament, les sacrifices d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech, ne sont qu’une ombre terrestre de sa céleste suréminence.

De fait, la polémique de la réforme contre la messe a trouvé là un beau sujet d’attaque : le prêtre a l’impertinence de vouloir jouer au médiateur entre le Christ et Dieu ! Aussi les commentaires modernes de la messe prennent-ils généralement sur ce point le ton de l’apologie [5]. Mais si l’on réfléchit que le sacrifice de la Nouvelle Alliance, en tant qu’action cultuelle, est essentiellement confié aux mains de l’Église, admise à se joindre au sacrifice du Christ, il devient évident qu’en dépit de son excellence intrinsèque, il demeure, à ce titre, le signe extérieur de l’hommage rendu à Dieu par l’Église, et plus directement par telle communauté ; ce rite, entre ses mains, ne devient hommage vraiment agréable à Dieu que si, chez ceux qui l’accomplissent, un minimum de don de soi intérieur anime en fait la prestation extérieure. En ce sens, il est très convenable que les dures paroles des prophètes, par lesquelles Dieu rejette les sacrifices tout extérieurs et sans âme de son peuple [6], puissent s’appliquer même au sacrifice de la Nouvelle Alliance, quand il est présenté par des mains sacerdotales indignes ; il peut arriver que ce sacrifice très saint se trouve à peu près réduit à une réitération hic et ninc du sacrifice jadis offert par le Christ, réitération privée de son vrai sens dans l’ordre du salut si, contrairement à sa raison d’être, elle ne traduit plus un état d’âme chrétien, sacrificiel, n’est plus enracinée dans le sol humain, mais comme isolée et suspendue dans le vide [7].

L’homme fragile et captif du péché n’étant jamais digne du Dieu grand et saint, l’humble prière qui implore de Dieu un regard de clémence est toujours à sa place. Elle comporte ici une allusion confiante aux illustres figures de l’Ancien Testament dont le sacrifice fut agréable à Dieu. Du fond de l’histoire sacrée viennent à nous les modèles les plus stimulants ; ils nous encouragent et nous procurent la fierté exaltante d’associer notre action à la leur, d’entrer dans cette lignée biblique des amis de Dieu. Trois figures se détachent : Abel le juste [8], qui immole les prémices de son troupeau (Gen,, IV, 4) et succombe lui-même, victime de la haine de son frère : notre offrande est « l’Agneau de Dieu », premier-né de toute la création [9], faisant de la mort que lui inflige son peuple un sacrifice rédempteur. Puis c’est Abraham, ancêtre de tous ceux qui « se réclament de la foi [10] » et, à ce titre, appelé « notre patriarche », le héros de l’obéissance envers Dieu, prêt à lui sacrifier son fils, pour cependant le recouvrer vivant (cf. Hebr., XI, 19) : notre victime aussi, incarnation la plus parfaite de l’obéissance jusqu’à la mort, est revenue à la vie par sa résurrection. Enfin vient Melchisédech, qui, comme prêtre du Dieu très haut [11], offre le pain et le vin [12] : c’est de pain et de vin aussi qu’est faite notre oblation [13]. Daigne Dieu — telle est notre prière — abaisser sur notre oblation le regard de bienveillance qu’il a eu pour celle de ces hommes : respexit Dominas ad Abel et ad munera eius, est-il écrit du premier d’entre eux [14]. La supplication sera exaucée si notre offrande procède d’une intention aussi pure que la leur et si à l’incomparable sainteté de notre sacrifice correspond en quelque mesure la disposition de notre cœur [15].

C’était une pensée assez familière à l’antiquité chrétienne que de rapprocher dans une même perspective notre sacrifice et les sacrifices de l’Ancien Testament, surtout ceux que l’on vient de citer. Pour elle, l’Ancien Testament était l’ombre annonciatrice, du Nouveau et la continuité de l’histoire du salut lui paraissait évidente. On sait que le sacrifice d’Abraham est un des motifs préférés de l’iconographie chrétienne antique ; à dater du IVe siècle au plus tard, il est figuré surtout comme type du sacrifice de la Croix, donc, au moins indirectement, du sacrifice eucharistique [16]. Et c’est directement celui-ci qu’illustrent deux mosaïques du chœur de Saint-Vital de Ravenne, représentant les trois personnages nommés au canon : dans l’une, Abel et Melchisédech apportent à l’autel, le premier, un agneau, le second, du pain et du vin ; l’autre juxtapose deux scènes de la vie d’Abraham : on le voit à droite sur le point d’immoler son fils, à gauche restaurant ses trois hôtes mystérieux [17]. Il est probable que ces mosaïques de Ravenne ont été inspirées par le texte du canon romain [18] ; toujours est-il que nous sommes reportés à une période bien antérieure, celle d’une communauté liturgique romano-égyptienne, lorsque nous rencontrons en Égypte, dans une prière d’oblation [19], la mention, dictée par une pensée toute semblable, dés noms d’Abel et d’Abraham, et peut-être aussi, à l’origine, de Melchisédech [20].

Dans le canon romain, l’allusion à Melchisédech est dotée d’une apposition : sanctum sacrificium, immaculatam hostiam. Le Liber pontificalis la fait remonter à saint Léon le Grand : Hic constituit ut intra actionem sacrificii diceretur : sanctium sacrificium et cetera [21]. Les anciens commentateurs ont souvent entendu cette addition comme relative au sacrifice chrétien énoncé par (Supra) quae ; le passage intermédiaire, sicuti... Melchisedech, serait alors à traiter comme une parenthèse [22]. Toutefois le sens des mots ajoutés exige qu’ils se rapportent au sacrifice de Melchisédech ; c’est d’ailleurs pourquoi ils ne sont accompagnés d’aucun signe de croix [23]. Ils peuvent sans doute aujourd’hui nous paraître une précision superflue ; elle ne l’était pas au Ve siècle ; alors fermentaient toujours des erreurs dépréciant la matière ; l’emploi du vin en particulier demeurait exposé aux attaques des Manichéens [24] et l’abandon de la communion au calice éveillait un soupçon de sympathie pour leur doctrine [25].

L’oblation s’exprime ensuite d’une troisième façon dans le Supplices. Un don, pour être pleinement agréé, doit non seulement attirer le regard de bienveillance du donateur, mais être transféré par lui au rang de ses propres biens. Par une image hardie, cette phase conclusive des donations entre humains est transposée dans l’ordre divin, dont relève notre offrande. L’Apocalypse (VII, 3-5) parle d’un autel dans le ciel, sur lequel l’ange dépose des parfums et les prières des saints : « On lui donna des parfums en grande quantité, afin qu’il les plaçât, avec les prières de tous les saints, sur l’autel d’or situé devant le trône. [26] » C’est là l’image d’une réalité spirituelle ; il en va de même du trône de Dieu. Et cette image donne son éclat et sa force à la troisième prière, qui présente à nouveau notre sacrifice, mais pour en demander, de façon plus expresse, l’acceptation définitive.

Car c’est bien d’une telle requête qu’il s’agit, comme le prouve la teneur de l’ancien texte chez saint Ambroise : petimus et precamur, ut hanc oblationem suscipias in sublimi altari tuo per manus angelorum tuorum, sicut suscipere dignatus es... [27]. Notre texte actuel — où l’image prend plus de relief que l’idée — sollicite l’envoi d’un saint angeL’adjectif sancti (angeli) figure déjà, il est vrai, dans la tradition irlandaise du canon romain, mais manque dans tous les autres textes anciens. BOTTE, p. 22.]] qui porte les oblats [28] sur l’autel céleste, dressé devant la face de la divine Majesté [29]. Pareille évocation de l’autel céleste se trouve de bonne heure en divers passages des liturgies orientales [30].

Dans la liturgie romaine, il n’apparaît qu’au Supplices du canon ; mais l’autel céleste a pris chez maints commentateurs du Moyen-Age une extrême importance dans l’accomplissement du sacrifice ; cela tient surtout à l’imperfection de la théologie sacramentaire de l’époque. Rémy d’Auxerre estime qu’une fois la présence du corps et du sang du Christ réalisée par les paroles de l’institution, il faut un second acte pour que le corps sacramentaire du Seigneur, présent d’une présence propre à chaque lieu où l’on consacre, soit amené à ne faire qu’un avec son corps élevé aux cieux. Tel serait l’effet demandé et réalisé au Supplices [31]. Selon une autre théorie, celle de l’Abbé cistercien Isaac de l’Étoile, en 1165, notre sacrifice n’atteint sa plénitude qu’au Supplices : à un premier degré, correspondant à l’autel des holocaustes de l’ancien temple, nous avons, d’un cœur contrit, offert le pain et le vin, symbole de notre propre vie. A un second degré, comparable à l’autel d’or des parfums, nous avons offert le corps et le sang du Seigneur. Un troisième degré nous introduit au Saint des Saints : notre offrande est unie par la main des anges au Christ glorifié dans les cieux et ainsi portée à sa perfection [32]. De même, explique un autre commentateur, que le nuage d’encens, au milieu duquel le grand-prêtre s’avançait devant ; l’Arche d’Alliance au jour de l’Expiation, obscurcissait son regard, de même pour le prêtre parvenu à ce point de l’action : ses yeux de chair ne distinguent plus rien et il ne lui reste plus qu’à demander aux anges d’emporter le sacrifice devant la face de Dieu [33]. D’autres théologiens encore, à cette période, conçoivent le transfert sur l’autel céleste comme un événement réel, qui seul achève le sacrifice [34] et que l’on implore par le Supplices. L’on fait encore de cette prière — et là se fait sentir l’influence de la liturgie gallicane — une sorte d’épiclèse [35] : on y souhaite, en effet, la rencontre de la puissance divine avec notre offrande ; non plus toutefois par la descente de l’Esprit, mais, selon un mouvement inverse, par l’assomption des oblats [36].

Par une sorte de conséquence, on en vient à voir dans l’ange ici mentionné plus qu’un ange créé. C’est le Christ lui-même qui accueille notre offrande et la dépose sur l’autel du ciel, en sa qualité de magni consilii angelus [37]. Cette idée est reprise, spécialement vers le XIIe siècle, par plusieurs commentateurs [38] et, de nos jours encore, elle a été soutenue, en corrélation avec l’hypothèse d’un sacrifice céleste dans lequel est assumé notre sacrifice terrestre [39]. Enfin, considérant le Supplices comme une épiclèse consécratoire — apparence que peut lui donner un parallélisme superficiel avec les formules orientales et gallicanes, — on a également identifié cet ange avec le Saint-Esprit [40].

Toutes ces interprétations se fondent sur des présupposés pour le moins très problématiques ; aussi n’y a-t-il pas de raison de s’écarter du sens littéral naturel, qu’appuient en outre le canon de saint Ambroise (angelorum) et les passages parallèles des liturgies orientales [41] : comme les prières des fidèles sont « déposées » sur l’autel du ciel par l’ange de l’Apocalypse, ainsi puisse l’être par ce saint ange notre sacrifice [42], exemples tirés de la liturgie latine, où l’ange dont on demande l’intervention dans le sacrifice est manifestement une créature. Autres exemples dans LIETZMANN, Messe und Herrenmahl, pp. 1o3, 109. Voir aussi les références dans BATIFFOL, Leçons (1927), pp. xxix sq.]]. Sans aucun doute, une certaine participation du monde angélique à notre sacrifice est ainsi affirmée. Après le Sanctus chanté en commun par le ciel et la terre, il n’y a pas à s’en étonner. On sait aussi comment saint Jean Chrysostome, par exemple, en ses descriptions du « redoutable mystère », aperçoit l’autel enveloppé d’une nuée d’anges. Saint Grégoire le Grand voit, à l’heure du sacrifice, le ciel s’ouvrir et les chœurs des anges eu descendre [43]. Il est d’ailleurs dans la logique de l’économie du salut que les anges, n’ayant pas assisté indifférents à la rédemption de l’humanité, prennent aussi une part au sacrifice rédempteur. Quant à vouloir préciser cette part ou nommer les anges intéressés, ce serait une curiosité déplacée [44].

Dans sa seconde moitié, le Supplices prend un tour nouveau et exprime ce vœu que l’admission de notre sacrifice sur l’autel du ciel ait pour effet une réception fructueuse des saints oblats par les assistants. Voici que déjà le regard se porte vers l’acte final de la célébration eucharistique, la communion. L’étude critique du canon faite par la génération précédente a voulu trouver dans cette transition une faille, justifiant d’audacieuses hypothèses [45]. Certes la pensée, ici, progresse ; mais c’est d’un mouvement tout naturel et sans heurt ; la comparaison avec l’eucharistie d’Hippolyte le montre : là également la prière d’oblation se mue par une transition rapide en prière de communion [46]. D’ailleurs, dans les deux cas, chez Hippolyte et dans le canon actuel, on pourrait en fait parler ici d’épiclèse, mais épiclèse de communion, non de consécration ; cette vue est conforme au sens des deux formules, et le fait que le Saint-Esprit, nommé dans celle de saint Hippolyte, ne l’est pas dans notre Supplices, n’y change rien d’essentiel [47]. La communion est en effet le second événement majeur à l’intérieur de la célébration eucharistique, la seconde intervention de Dieu dans l’action de l’Église. Telle est la nature du sacrifice chrétien : l’assemblée qui l’offre est par là même conviée au repas sacrificiel ; n’est-il pas normal que son regard s’oriente spontanément vers ce repas, sitôt l’oblation accomplie, et que sa prière humblement le sollicite ?

Que tous, s’ils le désirent, reçoivent le corps et le sang du Seigneur, la chose est dite en passant, comme allant de soi. Ce double don nous vient ex hoc altaris participatione : de notre participation à l’autel. Si les dons présentés ici, en ce jour, comme notre sacrifice ont été recueillis sur l’autel, céleste, c’est-à-dire accueillis par Dieu, cette participation devient commensalité à la table céleste où reposent nos offrandes ; elle nous permet de recevoir, en véritables convives de Dieu, le corps et le sang du Seigneur [48], de recevoir donc, non les seules réalités visibles des mystères, mais leur vertu la plus intime [49]. L’idée était plus simple dans la rédaction traditionnelle en Irlande et à Milan : ex hoc altari sanctificationis [50] ; l’autel désigné est celui de la terre sur lequel les oblats ont été sanctifiés. Cependant, cette simplicité de l’idée n’est pas une garantie de son caractère primitif : il est peu probable que le mot autel ait été employé coup sur coup pour désigner d’abord celui du ciel et ensuite celui de la terre. Disons plutôt que, dans le style imagé de notre prière, l’autel terrestre a disparu aux regards et s’est confondu avec celui du ciel, le seul qui compte désormais.

Enfin l’objet de notre demande est une communion salutaire, qui nous remplisse de toute bénédiction céleste et de toute grâce. La bénédiction céleste rappelle encore une fois l’autel céleste ; la ferveur contenue de l’expression fait écho à l’exorde de l’épître aux Éphésiens (I, 3).

Les prières précédentes étaient sobres de cérémonies : elles n’ont aujourd’hui que les signes de croix soulignant hostiam puram, etc. ; au Supplices, par contre, l’attitude du prêtre s’anime à nouveau. L’inclination profonde, posture prescrite par l’ancien usage pour présenter humblement une offrande, était pratiquée jadis dès le Supra quae [51] ; elle s’impose du moins à Supplices te rogamus et elle est extrêmement ancienne à cet endroit [52]. A cette inclination s’ajoute le baiser à l’autel, sans doute appelé par Supplices ; il exprime la respectueuse ardeur de notre supplication [53]. Puis la mention des dons consacrés invite au geste indicatif, qui, sous la forme de deux signes de croix, accompagne corpus et sanguinem ; ces deux signes de croix sont déjà notés dans quelques textes carolingiens, mais ne sont devenus usuels que peu à peu et manquent encore dans des manuscrits du XIIIe siècle [54]. Il faut même attendre la fin du Moyen-Age pour voir se généraliser, à omni benedictione cœlesti [55], le signe de croix tracé par le prêtre sur lui-même, symbolisant l’objet de la demande. C’est donc une idée secondaire, bien qu’admissible, d’interpréter les signes de croix sur les oblats comme traduisant notre souhait de faire passer la bénédiction d’eux en nous [56].

L’oblation est achevée et la communion déjà demandée ; suivant le plan liturgique le plus ancien, on arrive aussitôt à la conclusion de l’eucharistie, avec une doxologie solennelle ponctuée par l’Amen du peuple [57]. Notre messe romaine, elle, n’a ici qu’une conclusion provisoire, per Christum Dominam nostrum, qui se répétera encore à la fin des deux pièces intercalaires suivantes. Nos prières et nos oblations montent vers Dieu par notre Grand-Prêtre, dont n’était que le représentant visible son ministre à l’autel, proférant les paroles de la consécration.

[1] Propitio ac sereno vultu : d’un visage propice (qui se penche) et souriant. Même image PS. XXX, 17 : illustra faciem tuam ; PS. LXVI, 3 : illuminet vultum suum.

[2] Dans le canon d’Ambroise, seule la seconde des deux idées est exprimée ; voir supra, vol. I, p. 83. C’est donc la plus primitive.

[3] Une certaine dureté dans la construction grammaticale, qui a été exploitée par la critique du canon (FORTESCUE, The mass, p. 153 ; cf. p. 348), n’y fait pas obstacle. Sans doute faudrait-il dire : Supra quae… respicere et quae accepta habere digneris, mais cette forme plus « correcte » serait par trop lourde. Au début du Communicantes nous avons déjà rencontré pareille ellipse.

[4] Cf. Const. Apost., VIII, 12, 39.

[5] Voir, par exemple, l’exposé d’ensemble de BENOÎT XIV, De s. sacrificio missae, II, 16, 10-32 (éd. SCHNEIDER, pp. 308-216). Le savant pontife renvoie en particulier à BELLARMIN, Controv., II, 6, 24 (= De sacrif. missae, II, 24 ; éd Rom., 1838 ; t. III, p, 803), qui développe cette idée que dans le Supra quae nous ne prions pas pro reconciliatione Christi ad Patrem, mais pour notre faiblesse ; etsi enim oblatio consecrata ex parte rei quae offertur et ex pane Christi principalis offerentis semper Deo placeat, tamen ex parte ministri vel populi adstantis, qui simul etiam offerant, potest non placere. Mêmes points de vue dans GIHR, pp. 603-607. Les attaques contre la réalité du sacrifice de la messe avaient fait placer au premier plan, au cours de la controverse avec les Réformateurs, le sacrifice du Christ en tant que tel, il fallut la méditation des textes liturgiques pour qu’on revînt au sacrifice de l’Église. Cf. supra, vol. I, pp. 228 sq.

[6] Is., I, 11 ; Jér., VI, 20 ; Amos, V, 21-23 ; Mal., I, 10.

[7] Ce cas extrême n’est cependant pas entièrement réalisé du seul fait du célébrant indigne, tant qu’au moins l’un des assistants participe au sacrifice dans l’esprit qui convient. De plus, derrière chaque messe est toujours présente de quelque façon l’Église universelle.

[8] L’adjectif iustus est appliqué à Abel par le Christ lui-même, Mt., XXIII, 35 ; cf. Hebr., XI, 4. Pueri tui = de ton serviteur, cependant, comme pour paîs, avec l’évocation de relations paternelles et filiales. C’est en ce sens que dans Lc, I, 54, le mot est appliqué aussi à Abraham. :— Cf. aussi J. HENNIG, Abel’s place in the liturgy, dans Theological Studies, 7 (New-York, 1946), pp. 126-141.

[9] Cf. Hebr., I, 6 ; Col., I, 18 ; Rom., VIII, 29.

[10] Gal., III, 7 ; cf. LÉON LE GRAND, Sermo 53, 3 (PL, 54, 318) : nos spiritale semen Abrahae. BATIFFOL, Leçons, p. 268.

[11] Le canon le nomme grand-prêtre. Sur l’hypothèse fondée sur ce titre par BAUMSTARK, cf. supra, vol. I, p. 80, n. 6.

[12] Le texte de la Bible (Gen., XIV, 18) dit seulement qu’il les présente (même dans la Vulgate : profèrens). L’allusion à son sacerdoce constitue cependant un fondement permettant de voir incluse dans cette présentation une offrande sacrificielle. Cf. l’excursus sur celte question dans P. HEINISCH, Das Buch Genesis, Bonn, 1980, p. 332, et J. E. COLERAN, The sacrifice of Melchisedech, dans Theological Studies, I (New-York, 1940), pp. 37-36. — Il y aurait entre l’offrande faite à Dieu et le repas offert aux assistants le même rapport que plus tard dans le repas rituel juif ; cf. supra, vol. I, p. 45, n. 63 ; vol. III, p. 119, n. I.

[13] L’identité des offrandes n’est pas signalée, on le sait, par l’Épître aux Hébreux dans sa comparaison entre le Christ et Melchisédech ; elle est cependant constamment exploitée dans l’antiquité chrétienne, par exemple, par CYPHIEN, Ep., LXIII, 4 (CSEL, III, a, p. 708 ; coll. Budé, Paris, 1935, t. II, p. 201) ; AMBROISE, De myst., VIII, 45 sq. (Coll. Source chrétiennes, XXV. 1960, p. 122) ; AUGUSTIN, De civ. Dei, XVI, 32. Le professeur B, Fischer, à la suite de ses éludes sur les Psaumes, incline à penser que l’emploi très ancien du PS. CIX comme premier psaume des vêpres du dimanche s’explique par le thème du pain et du vin, suggéré par le verset 4 (Lettre du 18 février 1949). Cf. aussi G. WUTTKE, Melchisedech der Priesterkönig von Salem. Eine Studie zur Geschichte der Exegese (Beihefte zur Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft, 5), Giessen, 1937, pp. 46 sq. Autres citations dans J. DANIÉLOU, La Catéchèse eucharistique chez les Pères de l’Eglise, dans La Messe et sa catéchèse (Lex Orandi, 7), Paris, 1947, pp. 33-72.

[14] Gen., IV, 4 ; cf. Deut., XXVI, 15. — L’on sait que c’est une expression fort courante dans les oraisons : Respice, quaesumus Domine, etc.

[15] Il est à noter que dans la prophétie de Malachie sur le culte futur, en plus de l’annonce du nouveau sacrifice pur, grâce auquel le nom de Dieu sera grand parmi les peuples (I, 11), il y a aussi l’annonce d’un sacerdoce purifié : « Il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme or et argent, pour qu’ils offrent au Seigneur de justes sacrifices. Alors, le Seigneur prendra plaisir, de nouveau, au sacrifice de Juda et de Jérusalem... » (III, 3 sq.). — Cf. GIHR, pp. 6o4 sq.

[16] Cf. TH. KLAUSER, Abraham, RAC, t. I, pp. 18-37.

[17] Cf. BEISSEL, Bilder, pp. 170 sq. et 178 ; cf. ibid., p. 189, sur une représentation apparentée de Saint-Apollinaire in Classe à Ravenne.

[18] Elles trouvent un parallèle, à Ravenne, à Saint-Apollinaire le Neuf, dans la représentation d’un cortège de saints reproduisant la liste du Communicantes, telle qu’elle était dans la première moitié du VIe siècle ; KENNEDY, p. 197. — Des prières nommant Abel, Abraham et Melchisédech, et qui dérivent du canon romain, figurent aussi dans le Liber sacramentorum mozarabe (FÉROTIN, p. 262) et dans le léonien (MUBATORI, t. I, p. 470) ; voir BOTTE, Le canon, p. 43.

[19] BRIGHTMAN, p. 139. Cette prière est placée actuellement au milieu des prières d’intercession et accompagne un encensement. Ici comme dans le canon d’Ambroise (supra, vol. I, p. 83), ces noms « ont joints à la demande de transfert sur l’autel céleste. Cf. A. BAUMSTAHK, Le liturgie orientali e le preghiere « Supra quae » e « Supplices » del canone romano, 2e éd., Grottaferrata, 1913, pp. 4 sq. ; Id., Das « Problem » des römischen Messkanons (Eph. liturg., 1989), pp. 229-231.

[20] BAUMSTARK, Das « Problem », pp. 280 sq. — Rattaché par un lien plus lâche à l’idée de sacrifice, Melchisédech, toujours nommé cependant archiereùs sês latreías, figure parmi d’autres noms de l’antiquité biblique, entre autres Abel et Abraham, dans les Const. Apost,, VIII, 13, 21-23 (QUASTEN, Mon., p. 218). Une prière d’acceptation faisant allusion, entre autres, à Abel, Noé et Abraham, figure aussi dans la liturgie byzantine de saint Basile (BRIGHTMAN, pp. 819 sq.) ; de même dans l’anaphore de saint Jacques (ibid., p. 41 ; cf. pp. 32, 48). Les prières en question sont placées avant la consécration. Cf. le tableau d’ensemble dans LIETZMANN, Messe und Herrenmahl, pp. 82-93 ; FOHTESCUE, pp. 349 sq.

[21] DUCHESNE, Liber pont., t. I, p. 23g. — Que ces mots soient une addition, on le voit aussi dans le texte du Supra quae de la liturgie mozarabe, où ils font précisément défaut ; FÉROTIN, Le liber mozarabicus sacramentorum, p. 262 ; Missale mixtnm (PL, 85, 491B.

[22] Précisions à ce sujet dans BENOÎT XIV, De s. sacrificio missae, II, 16, 16 sq., 21 sq. (éd. SCHNEIDER, pp. 211 sq., 214 sq.), qui penche lui-même vers cette explication.

[23] Exceptionnellement un (double) signe de croix a tout de même été ajouté, par exemple, dans le sacramentaire de Trêves au Xe siècle ; LEROQUAIS, 1. I, p. 84.

[24] DUCHESNE, loc. cit., veut que le passage ajouté soit dirigé contre le manichéisme, qui peu de temps auparavant avait compté parmi ses sectateurs un Augustin. Les manichéens condamnaient, entre autres, l’usage du vin. Ce passage est donc sur le même plan que le de tuis donis ac datis de la prière précédente, constituant un nouveau témoignage du contact que garde avec la terre l’idée chrétienne de sacrifice.

[25] LÉON LE GRAND, Serm. IV de Quadr. (PL, 54, 379 sq.) ; GÉLASE Ier, Ep., XXXVII, 2 (THIEL, pp. 451 sq.).

[26] L’autel céleste est aussi dans Is., VI, 6. Il figure aussi dans HERMAS, Pastor, Mand., X, 3, 2 sq. ; IRÉNÉE, Adv. haer., IV, 31, 5 (al., IV, 19, 1 ; HARVEY, t. II, p. 210). — Autres références dans RIGHETTI, Manuale, III, p. 336. — L’image apocalyptique n’a rien à voir avec la question théologique de savoir s’il y a un sacrifice au ciel. En effet, ce passage parle expressément non d’oblations visibles, mais de prières offertes par les fidèles et qui ne sont représentées que symboliquement par l’encens qui s’élève de l’autel.

[27] AMBROISE, De sacramentis, IV, 6 (Coll. Sources chrétiennes, XXV, 1950, p. 86 ; cf. supra, vol. I, p. 82).

[28] Ceux-ci sont simplement désignés ici par haec. C’est encore plus surprenant que le (Supra) quae de la prière précédente, qui peut toujours être censé représenter panem sanctum, etc... Dans cette désignation par simple allusion semble se manifester cet effroi religieux qui intervient sous de multiples formes dans l’histoire religieuse et est l’une des racines de la discipline de l’arcane ; cf. W. HAVERS, Neuere Literatur zum Sprachtabu (Sitzungsber. der Akademie der Wiss. in Wien, Phil.-hist. Kl., 223, 5), Vienne, 1946 pp. 189 sq. — Dans le haut Moyen-Age, on trouve d’ailleurs parfois la leçon : iube hoc, où ce hoc s’entendait de l’Église de la terre ; SÖLCH, Hugo, pp. 94 sq.

[29] Ainsi selon le texte actuel. Au même endroit, quelques manuscrits anciens lisent in conspectum. Du reste, ce passage manque non seulement chez Ambroise, mais encore dans le Cod. Rossianus ; c’est donc sans doute un développement plus récent ; voir BRINKTRINE, Die heilige Messe, pp. 204 sq.

[30] Const. Apost., VIII, 13, 3 (QUASTEN, Mon., p. 338) : au début de la préparation a la communion, l’on est invité à prier pour que Dieu daigne agréer les oblats (prosdéxêtai) eis tò epouránion autoû thusiastêrion. La liturgie grecque de saint Jacques a cette expression à diverses reprises (BRIGBTHAN. pp. 36, 41, 47, 58 sq.) ; de même la liturgie de saint Marc (ibid., pp. 115, 118, 133 sq.) et la liturgie byzantine (ibid., pp. 3o9, 319, 359). L’expression est plus rare dans les liturgies non grecques. Elle se trouve dans les anaphores de Syrie occidentale de Timothée et de Sévère (Anaphorae syriacae, Rome, 1939-1944, pp. 13, 71). Il est vrai que celles-ci sont d’origine grecque, pans plusieurs cas, l’epouránion thusiastêrion est en rapport avec l’offrande d’encens. C’est cependant aller trop loin que de vouloir, avec LIETZMANN, Messe und Herrenmahl, pp. 93 sq., rattacher l’origine de cette expression, être admis sur l’autel du ciel, à l’introduction de l’encens dans la liturgie chrétienne d’Orient — que lui-même ne fait commencer qu’en 36o. L’expression apparaît non seulement en Orient dès les environs de 38o, mais dès la même, époque en Occident dans le canon d’Ambroise, que celui-ci n’a certes pas créé.

[31] REMI D’AUXERRE, Expositio (PL, 101, 1363 sq.) ; à ce sujet, GEISELMANN, Die Abendmahlslehre, pp. 108-111. Aux pp. 99 sq., Geiselmann trouve une conception voisine dans l’explication de la messe « Quotiens contra se », qui date des environs de l’an 800.

[32] ISAAC DE L’ETOILE, Ep. de off. missae (PL, 194, 1889-1896).

[33] ROBERT PAULULUS, De caeremoniis, II, 28 (PL, 177, 429 D) ; FRANZ, Die Messe, pp. 44o-442.

[34] PASCHASE RADBERT (+ 856), De corp. et sang. Domini, VIII, 1-6 (PL, 130, 1286-1293) ; ODON DE CAMBRAI (+ 1113), Expositio in canonem missae, c. 3 (PL, 160, 1067 A). Cf. A. GAUDEL, Messe, III, DThC, t. X, c. 1034 sq., 1041.

[35] B. BOTTE, L’ange du sacrifice et l’épiclèse de la messe romaine au Moyen-Age, dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1 (1939), pp. 185-3o8. — Du coté oriental on a du reste cherché dès le Concile de Florence à interpréter notre Supplices comme une véritable épiclèse, par laquelle seulement s’accomplirait la consécration. F. CABROL, Anamnèse, DACL, t. I, c. 1892.

[36] Cf. DUCHESSE, Origines, pp. 193 sq.

[37] Is., IX, 6, sous la forme que lui donne l’introït de la troisième messe de Noël.

[38] Elle apparaît pour la première fois dans YVES DE CHARTRES (+ 1116), De conven. vet. et novi sacrif. (PL, 162, 557 C), où le contexte éclaire l’interprétation. Yves voit se renouveler dans le canon (cf. supra, vol. I, p. 147) les usages du grand jour de l’Expiation, dont faisait partie le bouc émissaire, qui, chargé des péchés du peuple, s’enfuyait dans les solitudes du désert ; c’est ainsi que le Christ, chargé de nos péchés, retourne au ciel. — L’application au Christ se trouve aussi dans HONORIUS D’AUTUN, ALGER DE LIÈGE, SICARD DE CRÉMONE, etc. ; voir BOTTE, L’ange du sacrifice et l’épiclèse, pp. 3o1-3o8,

[39] M. DE LA TAILLE, Mysterium fidei, Paris, 1931, pp. 381, 446-449 ; Id., Esquisse du mystère de la foi, Paris, 1924, pp. 79-96. Compte rendu d’une discussion qui s’ensuivit, voir JL, t. IV (1924), pp. 233 sq. Selon DE LA TAILLE, le Christ est au ciel à l’état de victime ; par perferri, il faut entendre la transsubstantiation, où notre hostie de l’autel rejoint l’hostie céleste. Une fois admis ces deux présupposés, dont la base, à vrai dire, est fragile, l’application au Christ ne fait plus aucune difficulté. J. BAHBEL, Der Engel des « Supplices », dans Pastor bonus, 53 (1942), pp. 87-91, incline également à identifier l’ange au Christ, en s’appuyant sur une forme primitive hypothétique de la prière. Il suppose, en effet, que le texte au pluriel, attesté par Ambroise (per manus angelorum tuorum), a été précédé d’un texte au singulier, où angelus s’entendait, de fait, du Christ, selon l’usage de l’Église primitive, jusqu’au moment où les interprétations tendancieuses amenèrent à mettre le pluriel et à l’appliquer aux anges. Cf. aussi J. BARBEL, Christos Angelos. Die Anschauung von Christus als Engel und Bote in der gelehrten und volkstümlichen Literatur des christlichen Altertums, Bonn, 1941. A moins de faire rapporter, avec de la Taille, perferri à la consécration, il n’y a vraiment aucun motif d’entendre angelus du Christ ; car le fait que nous offrons par le Christ notre prière d’acceptation (et que donc notre sacrifice doit être offert par lui) va être exprimé aussitôt après par per Christum Dominuni nostrum.

[40] L. A. HOPPE, Die Epiklesis der griechischen und orientalischen Liturgien und der römische Consekrationskanon, Schaffouse, 1864, pp. 167-191 ; P. CAGIN, L’antiphonaire ambrosien (Paléographie musicale, 5, 1896), pp. 83-92 ; cf. CAGIN, Te Deum ou illatio, p. 221. — Le motif de considérer Supplices comme une épiclèse, HOPPE le cherche essentiellement dans le fait que cette prière occupe la place où se trouve en Orient l’épiclèse. Il ne pouvait pas encore se rendre compte que même en Orient l’épiclèse du Saint-Esprit est de date relativement récente ; cf. supra, pp. 107 sq. — CAGIN se réfère à des épiclèses d’un ange gallicanes. Il faudrait remarquer à ce propos qu’on ne peut attendre d’une pensée préthéologique qu’elle identifie nécessairement, même dans l’épiclèse, l’ange et le Saint-Esprit ; cf. supra, vol. II, p. 345, n. 153, et infra, n. 43.

[41] Dans l’anaphore de saint Marc, on demande le transfert des oblats sur l’autel du ciel. BRIGHTMAN, p. 139.

[42] Cf. [[B. BOTTE, L’ange du sacrifice, dans Cours et Conférences, VII, Louvain, 1929 pp. 209-221. 8p. 219 sq.->646

[43] GRÉGOIRE LE GRAND, Dial, IV, 58 (PL, 77, 425 sq.).

[44] Considérations suggestives à ce sujet dans GIHR, pp. 607-612.

[45] R. BUCHWALD, Die Epiklese in der römischen Messe (Weidenauer Studien, I, tiré à part), Vienne, 1907, pp. 34 sq. ; cf. FORTESCUE, pp. 162 sq., 353. Selon BUCHWALD, il a dû y avoir ici une épiclèse de consécration, conclue par la demande d’une communion fructueuse. Il s’appuie entre autres choses sur l’expression ex hac altaris participatione, dont l’emploi pour désigner l’autel terrestre aurait quelque chose d’étonnant quand on vient de parler de l’autel céleste. Nous allons revenir sur cette expression dans un instant. — Raisonnments analogues déjà chez F. PROBST, Die abendländische Messe vom 5. bis zum 8. Jahrhundert, Munster, 1896, pp. 177-180. — En faveur d’une épiclèse de consécration disparue, on a fait valoir aussi que c’est la première fois que les oblats sont désignés comme « chair et sang » du Fils de Dieu ; cependant, comme BATIFFOL, Leçons, p. 270, le fait remarquer à bon droit, la transsubstantiation est déjà assez clairement présupposée par les mots panem sanctum de la première prière.

[46] Supra, vol. I, p. 55. L’épiclèse de consécration des liturgies orientales est une addition plus récente, comme il saute aux yeux quand on compare précisément ce texte de base à celui des Const. Apost., VIII, 12, 3g (QUASTEN. Mon., pp. 223 sq.) et à l’anaphore éthiopienne des Apôtres (BRIGHTMAN, p. 233) ; voir les tableaux dans CAGIN, L’Eucharistie, tableaux 148-149.

[47] Supra, pp. 107 sq. — J. BRINKTRINE, Zur Entstehung der morgenländischen Epiklese, ZkTh, Ut (1918), pp. 301-326, 483-518, s’est efforcé de démontrer le caractère d’épiclèse du Supplices en le comparant surtout aux prières gallicanes Post-pridie et Post-secreta, ,qui occupent visiblement la place d’une épiclèse et demandent tantôt l’acceptation favorable des oblats (comme le Supplices), tantôt leur sanctification. Que cette acceptation et cette sanctification doivent assurer une réception fructueuse, cela fait partie, selon BRINKTRINE, de l’idée même d’épiclèse, car il fait provenir celle-ci des anciennes bénédictions telles qu’on en prononçait sur divers aliments (pp. 489 sq.). — Il serait bon cependant de distinguer entre épiclère de consécration et épiclèse de communion, dans le sens développé supra, pp. 106 sq.

[48] BATIFFOL, Leçons, p. 371, souligne également que le texte actuel du canon s’applique à l’autel du ciel. Ses références à I Cor., IX, 13, et Hebr., XIII, 10, comme participatio altaris, ne présentent, sans doute, qu’un parallélisme lointain. Cf. aussi LEBRUN, t. I, pp. 446 sq.

[49] Cf. par exemple la postcommunion de l’Ascension : ut quae visibilibus mysteriis sumenda percepimus, invisibili consequamur effectu.

[50] BOTTE, p. 42 ; KENNEDY, p. 52. — Un mélange des deux leçons déjà vers 700 dans le missel de Bobbio (BOTTE, p. 42) : ex hoc altari participationis. — Le sacramentaire de Rocarosa (vers 1200) lit en simplifiant : ex hac participatione ; FERRERES, p. CXII.

[51] Supra, p. 52. Plus tard on note souvent à Supra quae que le prêtre lève les yeux (manuscrit bénéventin des XIe et XIIe siècles : EBNER, p. 33o). Au XVe siècle, dans le clergé séculier en Allemagne, on a l’habitude, selon Balthasar de Pforta d’étendre les mains sur la sainte hostie à Supra quae ; FRANZ, p. 587. Même règle dans le missel de Toul : MARTÈNE, I, 4, XXXI (t. I, p. 651 D), et dans les documents de l’Ordre Prémontré à partir du XIVe siècle : WAEFELGHEM, p. 79, n. I.

[52] Supra, p. 5a. — A la fin du Moyen-Age, l’on s’incline souvent ici cancellatis manibus ante pectus. Ordinarium O. P. de 1256 (GUERRINI, p. 242) et Liber ordinarius de Liège (VOLK, p. 95) ; FRERE, The use of Sarum, t. I, p. 81 ; MASKELL, pp. 146 sq. ; et déjà dans le missel de Sarum au XIIIe siècle (LEGG, The Sarum Missal, p. 232). Le témoin le plus ancien semble être un missel de Paris de la première moitié du XIIIe siècle : LEROQUAIS, t. II, p. 66 ; cf. ibid., pp. 163, 232, etc. A Rome aussi, cet usage s’était introduit : Ordo Rom. XIV, n. 71 (PL, 78, 1189B). Il accompagne généralement celui d’étendre les bras en croix à Unde et memores, cf. supra, p. 139. — A Paris, la cancellatio resta en usage jusqu’en 1615 (LEBRUN, t. I, p. 442) ; cf. aussi DE MOLÉON, p. 288 ; elle l’est encore dans le rite actuel des Dominicains, des Chartreux et des Carmes. — L’idée qui y a présidé a dû être de représenter le Crucifié. Un missel lyonnais de 1531 explique manibus cancellatis dans les mêmes termes que les bras étendus après la consécration : quasi de seipso crucem faciens. MARTÈNE, 1, 4, XXXIII (t. I, p. 660 BC) ; cf. DURAND, III, 44, 4. — Curieuse est la règle du pontifical de CHRISTIAN DE MAYENCE (1167-1183) : Hic (au Supplices) inclinet se ad dexteram ; MARTÈNE, 1, 4, XVII (t. I, p. 601 E). De même un Missale Ursinense du XIIIe siècle dans GEHBERT, Vetus liturgia Alemannica, t. I, p. 363 : inclina te ad dextrum cornu altaris. L’explication est donnée par ce dernier document au Te igitur (op. cit., p. 340 : Hic de oscula angulum corporalis et patenam illi suppositam simul.

[53] L’antiquité semble avoir connu le double geste d’hommage par l’inclination et le baiser ; cf. K. MOHLBERB, Theol. Revue, 26 (1927), p. 63. — Ce baiser à l’autel fait son apparition (avant même celui du Te igitur ; cf. supra, p. 62) dans le Cod. Casanat., 614 (Xe-XIIe siècles) : EBNER, p. 33o ; et dans un sacramentaire de la ville de Rome du XIIe siècle : ibid. p. 335 ; voir en outre INNOCENT III, De s. alt. mysterio, V, 4 (PL, 317, 890 C) et de même des XIIe et XIIIe siècles. MARTÈNE, 1, 4, XVII et XXV (t. 1, pp. 601 et 633). A partir du XIIIe siècle (à part le cas isolé de l’Ordo Cluniacensis de BERNARD ; cf. supra, vol, II, p. 68, n. 36) les deux baisers à l’autel figurent en effet au canon ; voir EBNER, pp. 314 sq., 349 sq. Cf. SÖLCH, Hugo, pp. 89, 96. — On pourrait penser aussi que le seul fait de nommer l’autel ait donné l’idée de le baiser.

[54] BRINKTRINE, Die heilige Messe, p. 599. Cette réserve doit s’expliquer par le fait que dans les paroles manque le pronom démonstratif.

[55] Une marque à cet effet apparaît déjà dans des manuscrits du XIIe siècle (voir EBNER, pp. 33o, 335), mais manque encore souvent à une époque beaucoup plus récente. Dans l’explication de la messe de BALTHASAR DE PFOBTA. parue en 1494, nous apprenons encore qu’au moins en Allemagne cette pratique n’est pas universelle. FRANZ, Die Messe, p. 687.

[56] Celte interprétation entre autres chez BRINKTRINE, pp. 3o5 sq.

[57] Supra, vol. I, pp. 55 sq.