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Commentaire sur l’Instruction Eucharisticum Mysterium

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1967.


Ce commentaire paru dans la Maison Dieu 91 (1967) peut être considéré comme le commentaire officiel du CNPL de l’instruction. C’est un condensé de "nouvelle théologie", où le Très Saint-Sacrement devient "pain de la réserve" ou "pain du Mémorial". L’auteur est animé de cet "Esprit"nouveau dont qu’il croit voir l’action dans cette instruction, alors que celle-ci était plutôt vue de Rome comme un recentrage face aux abus dominants.

CE serait se méprendre sur le but de l’Instruction Eucharisticum Mysterium que d’y chercher de nouvelles perspectives dogmatiques. Il lui était simplement demandé de mettre au point des normes pratiques destinées à faire passer dans la vie concrète de l’Eglise l’enseignement des grands textes officiels qui, depuis l’encyclique Mediator Dei, ont rappelé ou précisé les points essentiels de la foi catholique au mystère eucharistique. Tablant, sans les dépasser et sans en gauchir la signification, sur ces documents doctrinaux, elle devait avant tout viser à inculquer aux pasteurs et aux fidèles un esprit en parfait accord avec l’authentique nature de la vie liturgique, telle que le Concile Vatican II l’a redéfinie, et pour cela donner des orientations précises et fermes sur tout ce qui concerne le culte eucharistique.

Car le mystère du Mémorial du Seigneur est un ensemble complexe aux multiples éléments. Bien que dans sa foi l’Eglise sache ces derniers inséparables et hiérarchiquement ordonnés autour d’un axe, qui est la célébration de la Mort et de la Résurrection du Seigneur, dans la vie concrète des fidèles des accentuations diverses sont possibles, comme aussi des déviations lourdes de conséquence, voire des exclusions. L’histoire des derniers siècles en fait foi. Il fallait donc, après les affirmations de la Constitution sur la Sainte Liturgie ou du Décret sur la vie et le ministère des prêtres et les rappels de l’encyclique Mysterium Fidei, montrer comment dans la pratique l’équilibre doctrinal des diverses composantes de la vie eucharistique devait être assuré, sans rien refuser de ce qui appartient à la plénitude de ce mystère, mais pourtant sans fausser l’ordonnance interne de ces éléments, leur hiérarchie.

L’idée directrice de toute l’Instructio est, sans nul doute, la re-centration du culte eucharistique autour de la célébration communautaire du Mémorial du Seigneur. Même lorsqu’il s’agit de l’adoration du Saint-Sacrement ou de ce que l’on continue d’appeler — expression malheureuse et qu’il eût été bon de faire disparaître du vocabulaire liturgique — « les pieux et saints exercices eucharistiques ». Qu’il parle, en effet, des principes sur lesquels doit se fonder la catéchèse de l’Eucharistie, des lois réglant la célébration de la Messe ou des orientations à donner au culte rendu à l’Eucharistie en dehors de la Messe, le document fait toujours de la relation des rites et des attitudes à l’offrande ecclésiale de la Pâque de Jésus le pivot de ses considérations. Le mystère eucharistique, saisi en toute son ampleur, rayonne autour de ce que la tradition catholique nomme la Sainte Messe. Il faut donc que les fidèles soient conscients de ce fait et que les pasteurs en tiennent scrupuleusement compte dans leurs catéchèses ou dans l’organisation de la vie sacramentelle des communautés paroissiales. L’Eglise se construit dans et par l’Eucharistie. Mais cette dernière n’est pleinement elle-même que là où l’assemblée des baptisés offre au Père, pour y participer « en vérité », sacramentellement, le Mémorial de la Mort-Résurrection. Tel est le centre vers lequel tout doit converger et d’où l’action apostolique elle-même doit jaillir. Cette re-centration doit toutefois s’effectuer à plusieurs niveaux que les divers numéros du texte essaient de préciser mais d’une façon peut-être trop diffuse. Nous allons tâcher de les dégager ici plus nettement.

Sacrifice et repas.

Le premier de ces niveaux est l’unité infrangible, la compénétration constante, existant entre la dimension « sacrifice » et la dimension « repas de fête » du mystère eucharistique. Le texte y revient souvent (nos 3, 12, 31, 33, 35). D’une part le sacrifice de Jésus devient présent à l’Eglise grâce à la mystérieuse transformation du pain et du vin, qui sont les aliments du repas fraternel ; d’autre part le Seigneur ne rend ainsi présent son sacrifice que pour permettre aux siens d’y communier par la réception sacramentelle du pain et du vin eucharisties, et ainsi d’en percevoir le fruit.

Une des plus importantes implications doctrinales du document est probablement l’utilisation constante qu’il fait, pour exprimer cette vérité, de la notion biblique de Mémorial. Par le signe du banquet pascal, l’assemblée des fidèles se tourne vers le « une fois pour toutes » de l’Evénement Mort-Résurrection afin d’en célébrer, dans l’action de grâces et l’imploration, le zikkaron. Alors, mystériquement, la réalité du sacrifice de Jésus devient présente à la petite fraternité de ceux qui le rappellent au Père et à leur propre espérance. Dans les aliments du repas, transformés, sa puissance rejoint chaque baptisé et l’identifie à ce que le pain et le vin sont eux-mêmes devenus : le Seigneur . Jésus dans l’acte où il s’est donné. Ainsi comprise, la notion de Mémorial évoque tout à la fois l’unité de l’Evénement pascal et de son « rappel » sacramentel, et en ce dernier l’unité structurale de la présence de l’Acte sacrificiel de Jésus et du signe rituel du repas fraternel. On participe au sacrifice en participant au repas : participation pleine au sacrifice et communion sacramentelle au pain et au vin consacrés s’appellent. On peut regretter que — surtout aux numéros 12 et 31 — on n’ait pas employé une formulation plus énergique : la communion n’est pas simplement une plus parfaite (perjectior) participation au sacrifice, elle en est la pleine et parfaite participation.

Soulignons au passage l’emploi fréquent et heureux de l’expression « messa, sive cena dominica » tout au long de l’Instruction. La Messe n’est pas en effet autre chose que l’acte où l’Eglise revit le mystère de la Sainte Cène de Jésus. Le dialogue œcuménique aurait beaucoup à gagner d’un usage généralisé de l’expression « Cène du Seigneur » ou « Sainte Cène » pour désigner la Sainte Messe. Le document veut ainsi favoriser ce retour à un vocabulaire plus biblique, moins lié aux controverses de la Contre-Réforme.

A ce premier niveau de re-centration, l’Instructio demande avec insistance que l’on incite les fidèles à recevoir sacramentellement, durant la Messe, avec les dispositions requises, le Corps du Seigneur (nos 12, 31, 33, 35). Ce qui aujourd’hui va de soi. Il ajoute toutefois deux desiderata, au sujet desquels plusieurs pasteurs pourront s’interroger et se demander s’ils ne se donnent pas trop facilement bonne conscience en invoquant des difficultés d’ordre pratique qu’un peu de souplesse suffirait souvent à résoudre. D’une part, pour que la communion « apparaisse mieux comme la participation au sacrifice qui est en train de se célébrer, on veillera à ce que les fidèles puissent la recevoir avec des hosties consacrées durant cette messe » (n° 31). De plus, il convient mieux à la nature de la célébration « que la présence eucharistique du Christ, qui est le fruit de la consécration et doit apparaître comme telle, ne soit pas déjà, dans la mesure du possible, sur l’autel où la Messe se célèbre, dès le début de celle-ci, du fait de la conservation des saintes espèces • dans le tabernacle » (n° 55). S’il n’est pas toujours possible de prévoir avec précision le nombre des communiants, qu’au moins une certaine quantité d’hosties soient consacrées à chaque messe paroissiale pour y être distribuées. Faut-il préciser que si quelques hosties consacrées demeurent après la communion des fidèles, le célébrant et ses assistants peuvent les consommer ?

C’est dans la perspective de cette plus grande unité entre offrande du sacrifice et communion sacramentelle aux signes qu’il faut situer également l’élargissement de la discipline au sujet de la communion au calice. Ici encore des problèmes d’ordre pratique se poseront : il faudra parfois prévoir une grande quantité de vin, dans certaines régions apaiser la « peur des microbes » de beaucoup de fidèles, adopter un mode de distribution à la fois digne et rapide. Mais il serait grave que ces difficultés deviennent un motif de paresse et dispensent de tout effort de recherche. Peut-être pourrait-on songer à rétablir la coutume de la commixtio, du moins dans certaines circonstances. Souhaitons que le succès de ces diverses adaptations des rites permette pour un proche avenir une nouvelle étape de la législation, moins marquée par ce qui peut encore apparaître comme le souci de « privilégier » les clercs et les religieux, souci qui, nous y reviendrons, n’était pourtant pas l’intention du numéro 32.

Evidemment la jonction étroite entre participation à la Messe et communion sacramentelle est liée au difficile problème de l’accès préalable des fidèles au sacrement de Pénitence. L’Instructio en parle, rapidement, au n° 35. Un point doctrinal est ici en cause, celui des conditions de pureté intérieure requises à une manducation vraie du Corps du Seigneur. On s’en est tenu à la législation tridentine, en maintenant comme règle normale la confession sacramentelle préalable des fautes graves. On a toutefois tenu à souligner l’efficacité de l’Eucharistie sur le péché, insisté sur le rôle des parties pénitentielles de la liturgie de la Messe, rappelé la possibilité d’un acte de contrition parfaite là où existe une vraie nécessité et où manque la ressource d’un confesseur. Est-ce suffisant ? Il faudra que théologiens et pasteurs réfléchissent ensemble sur cette grave question, lourde de conséquences pratiques.

Le culte de l’Eucharistie.

Le deuxième niveau de re-centration de la vie eucharistique autour de la célébration du Mémorial du Seigneur est, évidemment, celui du culte. Ici l‘Instructio est très ferme et ses intentions sont claires. Ses décisions s’appuient sur une solide et large vue théologique, explicitée au numéro 3, qui sert d’axe surtout à la troisième partie. Il le fallait. Les problèmes de la dévotion eucharistique extra missam comptent en effet parmi les plus difficiles et au plan doctrinal et au plan pastoral. Le point d’appui dogmatique est encore la notion de Mémorial.

Si la Messe est le zikkaron sacramentel du sacrifice pascal du Seigneur, elle rend présent l’acte cultuel par excellence, le don du Fils incarné au Père. Rassemblée pour l’Eucharistie, l’église locale fait alors passer sa propre offrande dans et par la présence mystérique de l’acte du Christ tourné vers le Père. Aussi la célébration de la Messe est-elle « origo et finis », « fons et culmen », « fastigium », de tout le culte de l’Eglise, comme le redira souvent le texte. Les autres actes cultuels trouvent là et leur source et l’idéal vers lequel ils tendent. En nul autre acte liturgique, en effet, l’Eglise n’a ce privilège de vivre l’offrande d’elle-même dans la mystérieuse mais réelle présence du sacrifice pascal. Aussi tous ses actes cultuels portent-ils un votum de l’acte sacrificiel de la Sainte Messe.

Vrai de tout le culte chrétien, cela l’est a fortiori de l’ensemble que la tradition désigne par l’expression « culte eucharistique ». Le culte rendu au Père extra missam, soit lors de la communion reçue en des conditions spéciales, soit pas l’adoration des Saintes Espèces conservées dans le tabernacle, a toujours son origine et sa fin dans la célébration du Mémorial de la Pâque. Ceci pour deux raisons. La première ne pose guère de difficultés dès lors que l’on admet la permanence de la présence du Seigneur : le pain qui sera reçu ou adoré en dehors de la Messe vient de celle-ci puisqu’il n’est consacré que là, dans la grande offrande eucharistique du Christ et de l’Eglise. La seconde est peut-être plus délicate à saisir. L’hostie que l’on adore au tabernacle n’est pas une hostie privée de sa véritable finalité sacramentelle, mais le pain de la Cène du Seigneur, le pain fait pour être mangé dans la foi et la charité. Le texte le rappellera à deux reprises (n09 3 et 4) : la conservation des espèces en dehors de la Sainte Cène a pour but premier la communion sacramentelle des absents (malades ou autres) qui par là s’unissent concrètement à l’offrande pascale du Christ que la célébration du Mémorial a mystériquement rendue présente. Le pain de la réserve est le pain du Mémorial, fait pour inscrire dans le cœur des fidèles la grâce de ce dernier.

On comprend mieux alors le pourquoi et le sens de l’adoration de l’Eucharistie en dehors de la Messe dans la tradition catholique. Certes pareille attitude de foi découle primordialement — comme l’a vigoureusement rappelé Mysterium Fidei et comme le redit notre texte — de la présence du Christ dans le pain eucharistie. Mais cette présence s’oriente toute vers le don que le Seigneur fait de lui-même par la communion sacramentelle. Le Christ adoré dans la Réserve est le Christ « Pain de Vie », se donnant en nourriture par l’aliment qui fut consacré au moment où l’assemblée ecclésiale célébrait le Mémorial de sa Pâque. Pour exprimer cette vérité, l’Instruction emploie au numéro 3 une très belle formule : le pain consacré est conservé « ad extensionem gratiae Sacrijicii », pour l’extension de la grâce du Sacrifice. A notre avis on ne saurait mieux dire. Cette extensio s’accomplit avant tout par la manducation sacramentelle mais aussi — quoique de façon secondaire — par l’adoration de l’humanité glorifiée du Seigneur, donnée aux hommes, témoin par excellence de l’Agapè de Dieu. Une adoration authentique implique donc nécessairement une référence à la Sainte Messe.

Aussi l’Instructio insiste-t-elle sans cesse sur une relation explicite, exprimée par les signes eux-mêmes, enseignée dans la catéchèse, entre l’adoration de l’Eucharistie extra missam et la célébration de la Sainte Cène. Quelques points plus particuliers sont ici à relever.

D’abord la remarque — pastoralement très importante — du numéro 40 : la communion aux malades ne vise pas simplement à leur donner le Corps du Seigneur, mais aussi à les unir à la communauté liturgique qui a célébré le Mémorial en les portant dans sa prière. Il serait bon, dans cet esprit, que les hosties destinées aux absents soient consacrées lors de la grand-messe paroissiale, au su de tous, et que de quelque façon on fasse mention de ces frères dans la prière commune.

Soulignons également le contenu du numéro 50 sur « la prière devant le Saint-Sacrement ». On demande aux fidèles de se rappeler « que cette présence dérive du Sacrifice et tend à la communion tout à la fois sacramentelle et spirituelle », et on précise « qu’en adorant, les chrétiens nourrissent les vraies dispositions leur permettant, avec la dévotion convenable, de célébrer le Mémorial du Seigneur et de recevoir fréquemment ce Pain qui nous est donné par le Père ». L’adoration n’est jamais close sur elle-même ; elle doit d’une façon ou de l’autre déboucher sur la pleine participation au Mémorial. Celui-ci a toujours la priorité.

C’est dans cet esprit qu’ont été pensées les normes relatives aux rites d’exposition et d’adoration de la Sainte Eucharistie. L’intention générale est nettement exprimée au numéro 60 : « On veillera à ce que, dans ces expositions, le culte rendu au Saint Sacrement apparaisse clairement, par les signes, dans sa relation avec la Messe. » Aussi suggère-t-on que l’exposition se fasse avec le ciboire, et le texte met toujours en premier lieu la mention du ciboire. On a également ajouté que normalement le ciboire (ou l’ostensoir) doit être posé sur la table de l’autel : le trône devient facultatif (« adhiberi potest », n° 62). Si on l’utilise malgré tout, il ne doit être « ni trop élevé ni trop distant » (n° 62) ; il faut enfin que soit évité avec soin « tout ce qui pourrait voiler de quelque façon le désir du Christ, qui a surtout voulu, en instituant l’Eucharistie, être notre nourriture, notre remède et notre soulagement » (n° 60). Les expositions destinées à une adoration plus prolongée se feront à la fin de la Messe, durant laquelle les hosties à exposer auront obligatoirement été consacrées (n° 60). Enfin, « en dépit des concessions ou traditions contraires, même dignes d’une mention spéciale, jusqu’ici en vigueur », on interdit que durant cette exposition la Messe soit célébrée dans le même vaisseau de l’église : s’il faut la Messe, que l’on interrompe simplement l’exposition. Pourquoi cette mesure ? La raison donnée est théologiquement très importante :’ la célébration du Mémorial du Seigneur « inclut d’une façon plus parfaite cette communion interne à laquelle l’exposition veut amener les fidèles et donc n’a pas besoin de pareil moyen ultérieur » (n° 61). Ces prescriptions intéresseront sans doute fort peu la majorité des paroisses, d’autant plus que l’Instructio est fort réservée quant à l’instauration de jours d’exposition et d’adoration publique. A dessein elle ne mentionne ni le premier Vendredi du mois, ni les Quarante Heures, et se contente d’évoquer la possibilité d’une exposition annuelle solennelle et d’une exposition occasionnelle suscitée par un besoin « grave mais général », le tout ne devant se faire qu’avec l’assentiment de l’Ordinaire et là où l’on est assuré d’une affluence convenable de fidèles (n°8 63 et 64). Mais elles sont de la plus grande importance pour les communautés religieuses vouées à l’adoration de l’Eucharistie. L’expérience prouve que plusieurs d’entre elles ont instinctivement tendance à faire de la Sainte Réserve une réalité « en soi », coupée de son ordination à la totalité du mystère eucharistique. Même si la sensibilité peut en souffrir, il nous paraît nécessaire que dans ces communautés l’exposition quotidienne et perpétuelle se fasse non avec un ostensoir mais avec le ciboire dans lequel chaque matin, au cours de la Sainte Messe, ces hosties auront été consacrées en même temps que celles immédiatement destinées à la communion. De plus, il importe que là surtout le ciboire soit déposé sur la table même de l’autel, non sous un trône. Car il faut que la relation de l’adoration privée à l’acte ecclésial de la célébration du Mémorial soit non seulement suggérée mais fortement soulignée par les signes eux-mêmes. Ajoutons — pour répondre à une question qui nous a déjà été posée — que là où l’exposition perpétuelle se fait de la façon que nous venons de proposer, la présence d’un tabernacle dans la chapelle est superflue. On expose et adore la Sainte Réserve tout entière, non une hostie séparée de celle-ci. L’adoration retrouve ainsi son véritable objet.

L’Instructio demande d’ailleurs qu’il n’y ait en chaque église ou chapelle qu’une seule Réserve (n° 52), en même temps qu’elle souligne le sens de l’autel principal et suggère avec insistance que le tabernacle soit placé dans un lieu silencieux, orné avec goût, distinct de l’autel majeur. La rédaction des numéros 52 à 55 est, avouons-le, enchevêtrée. L’intention était cependant de redonner à l’autel majeur sa valeur de « signe du Christ lui-même, lieu où s’accomplissent les mystères du salut et centre de l’assemblée des fidèles », ce qui lui vaut les plus grands respects (n° 24). Le tabernacle n’est pas ce centre de l’assemblée, ni ce h’eu des mystères. Il est l’endroit où la Sainte Réserve est conservée en vue de « l’extension de la grâce du sacrifice ». Il faut donc éviter soigneusement toute confusion de ces deux fonctions et dans ce but disposer les lieux de telle façon que le tabernacle ne soit pas sur l’autel principal (n° 55). La chapelle du Saint-Sacrement devient ainsi le lieu par excellence de la prière et de la méditation, et le tabernacle ne fait plus concurrence au « signe vénérable » de l’autel du Mémorial.

L’unité du Peuple de Dieu.

Le troisième niveau de re-centration de la vie ecclésiale autour de la célébration communautaire de la Sainte Cène est celui de l’unité du Peuple de Dieu signifiée et actualisée par l’offrande commune de l’unique sacrifice de Jésus et la participation commune à un seul pain, après l’écoute d’une unique Parole. C’est là un des thèmes majeurs du document, et sans doute celui qu’il parvient à présenter avec le plus de vigueur. On ne saurait en exagérer l’importance pastorale. Bien interprétés et fidèlement suivis, ces numéros de l’Instructio devraient exercer une influence profonde sur la vie liturgique.

La célébration du Mémorial du Seigneur est en effet le signe et le ferment du mystère du Peuple de Dieu, tant au plan de l’Eglise universelle qu’à celui de la communauté locale. Car elle signifie et réalise de façon merveilleuse la « communia vitae divinae » et la profonde « unitas Populi Dei ». D’une part le Peuple de Dieu, rassemblé par la Parole, y proclame publiquement que ses membres puisent la vie à une unique source, un même pain, consacré dans une action de grâces commune, reçu dans une foi commune et pour une espérance commune. Un pain qui vient de Dieu. L’unité de l’Eglise se fonde donc sur un don du Dieu et Père de Jésus. D’autre part le partage du même pain, porteur du même corps du Seigneur, dans un même repas de fête, au terme de l’offrande de l’unique Sacrifice accompli « une fois pour toutes », soude et approfondit cette unité ensemencée dans les cœurs par le baptême. Par la Cène du Seigneur — c’est-à-dire non seulement la communion au pain mais tout le contexte rituel qui l’entoure — l’Eglise devient de plus en plus la mystérieuse koinônia des baptisés avec le Père et entre eux dans et par le Seigneur Jésus, et s’exprime comme telle.

Ceci s’applique, évidemment, surtout au niveau de l’église locale. Présidée par l’évêque — en communion avec le Collège épiscopal dont le lien d’unité est le successeur de Pierre — ou par son délégué et coopérateur, l’assemblée eucharistique de l’église locale, fût-elle réduite au minimum ou éloignée de toute autre, soude ainsi dans la Cène du Seigneur à la fois sa propre communion interne et son appartenance à la communion des églises locales dont l’ensemble est le Corps du Christ (n° 71). Aussi faut-il, par la catéchèse, amener peu à peu les fidèles à découvrir que le cœur de la vie ecclésiale est la synaxe dominicale célébrée dans la vérité et que là s’actualise leur appartenance à l’Eglise universelle. Ce qui exige également que la messe paroissiale ne soit pas une messe passe-partout. Il faut que la vie concrète de la communauté, avec ses problèmes, ses joies, ses inquiétudes, transparaisse dans la célébration. Et surtout que tous aient conscience que c’est en cet « événement sacramentel » que le mystère concret de cette église locale s’accomplit en sa plénitude.

Dans ce but l’Instructio fait, surtout dans sa seconde section, plusieurs propositions concrètes. Un premier groupe concerne l’esprit et l’être communautaire des participants. H faut d’abord viser à ce que, au moins le dimanche, tous (même les religieux et les religieuses, même les membres des diverses associations) participent à la messe paroissiale que préside le pasteur, entouré des autres prêtres, avec la participation active et vraie de toute l’assemblée (nos 16, 26,27). Et que l’on cherche à intégrer à cette célébration fraternelle les étrangers, fussent-ils simplement de passage (n° 19). H importe en outre d’éviter toute dispersion ou division de la communauté liturgique (n° 17) afin que celle-ci vive la célébration en ne faisant vraiment, de cœur et d’attitude, qu’un unique Peuple de Dieu. Problème difficile. Mais la liturgie de la Parole, bien conduite, surtout lorsqu’elle culmine dans une homélie faite avec soin, crée cette union des cœurs (nos 10, 12). Aussi le texte insiste-t-il sur ce service de la Parole (n° 20). n demande également que l’on veille à ne pas trop multiplier en chaque paroisse le nombre des messes dominicales, afin de ne pas aboutir à des assemblées minuscules, noyées dans le vaisseau d’une trop vaste église. En certaines régions cela heurtera de vieilles coutumes, n faut pourtant y tenir. Telle est l’intention formelle de L’Instructio, Rien ne détruit plus l’esprit ecclésial que ces messes multipliées, que l’horaire chargé oblige à précipiter, présidées par des ministres épuisés, ressemblant plus à un « spectacle continu » qu’à la réunion hebdomadaire de la famille de Dieu. Dans le cas de grosses paroisses, le texte suggère la collaboration des petits oratoires ou des chapelles présentes sur le territoire, agissant de concert avec l’église paroissiale (n° 26).

Un autre groupe de propositions a trait aux ministres. Il leur est demandé non seulement de chercher par tous les moyens à ne faire qu’un avec l’assemblée des fidèles, mais aussi à ne faire qu’un entre eux en scellant dans la célébration eucharistique leur appartenance à un unique sacerdoce. Cela, éminemment, par la concélébration (n° 47). Peut-être le texte aurait-il pu insister de façon encore plus persuasive sur ce point, mais on pouvait craindre qu’un accent trop fort mis sur la concélébration ne conduise à une mésestime de la messe dite par un prêtre seul. Ce qu’il dit est toutefois suffisant : « par la concélébration eucharistique l’unité du Sacrifice est heureusement manifestée, l’unité du sacerdoce exprimée, l’unité de tout le Peuple de Dieu clairement mise en lumière ; cela se réalise de façon encore plus spéciale lorsque l’évêque la préside et que le peuple y participe. De plus la concélébration raffermit les liens fraternels entre les prêtres » (n° 47). Aux supérieurs compétents il revient de faciliter et d’encourager « cette façon excellente » de célébrer le sacrement du Seigneur. Mais notons au passage qu’il faudra enseigner aux prêtres la façon de concélébrer dignement. Non comme un troupeau informe, mais comme un unique presbyterium groupé autour de son président.

Un dernier groupe de recommandations a pour objet l’unité vivante qui, lors de la célébration, doit exister entre les ministres et le peuple fidèle. Union dynamique, dans l’action eucharistique elle-même. Sur la base de leur sacerdoce baptismal les fidèles jouent en effet dans l’offrande du Mémorial un rôle actif (nos 11, 12, 1-6). Il consiste en ce que chacun, éveillé en sa foi, s’associe vraiment à l’action de grâce que l’Eglise offre au Père, à l’intense supplication qu’elle lui adresse par la voix et le geste du prêtre. Il ne suffit donc pas de chanter « amen » en signe d’acquiescement à ce que proclame ou chante le ministre. Il faut que chacun se sente vraiment habité par un mouvement le tournant vers Dieu qui l’a sauvé. D’où de nouveau l’importance de la Liturgie de la Parole. Et ce mouvement vers Dieu ne peut pas à son tour être simplement rituel. Le chrétien doit offrir au Père l’hommage humain à la fois objectif et subjectif le plus grand qui soit, celui du sacrifice pascal, en insérant là son propre hommage. C’est ce que le numéro 12 entend lorsqu’il explique qu’il ne suffit pas d’offrir le sacrifice par la main du ministre mais qu’il faut l’offrir en ne faisant qu’un avec celui-ci. Cette offrande doit en outre être d’une telle profondeur qu’elle s’achève dans la communion sacramentelle aux aliments consacrés, faite avec un cœur rempli de foi et de charité, et par laquelle la finalité même du sacrifice s’accomplit dans le croyant.

On le voit, il s’agit d’une entrée vraie et vivante des fidèles dans l’acte du prêtre. Or il revient à celui-ci de provoquer et nourrir cet engagement vrai de l’assemblée dans son acte de ministre. Le document le lui enjoint (nos 20 et 46). La célébration parfaite de la Sainte Cène est celle où, en dépit de leurs fonctions diverses, ministres et fidèles ont conscience de ne faire qu’un dans l’offrande d’un acte unique. Ce qui dépend pour une grande part de la façon dont le prêtre préside. Mais au-delà de la communauté locale, qu’elle soude ainsi dans la koinônia, la Sainte Cène rejoint une strate encore plus profonde du mystère de la communion chrétienne. Elle signifie et hâte l’unité de tous ceux qui croient en Jésus. Rédigé avec soin, et en tenant compte des remarques de frères non catholiques, le numéro 8 est un témoin de l’ouverture œcuménique. Espérons qu’il ne restera pas lettre morte. Il s’achève en rappelant que la célébration eucharistique est le h’eu par excellence d’une prise de conscience de la division des chrétiens et d’une prière d’intercession pour l’unité. N’est-elle pas le Mémorial de la Pâque, au sens biblique du zikkaron impliquant une imploration ardente pour que Dieu amène à leur totale fructification les effets de l’Evénement salvifique ? Soulignons combien l’Oratio fidelium de nos messes dominicales devrait être davantage marquée par cette inquiétude œcuménique. Il conviendrait également de rappeler aux fidèles qu’ils trahissent l’appel en eux de l’Esprit chaque fois que, nourris du pain de la Table du Seigneur, ils se désintéressent du drame dé la division des frères du Christ : n’est-ce pas là une façon grave de « ne pas discerner le Corps » ?

Mais le texte va plus loin. Il demande aux pasteurs d’apprendre aux chrétiens à reconnaître la réalité de l’Eucharistie des communautés ecclésiales non catholiques-romaines ayant conservé un épiscopat authentique, et d’autre part à découvrir les valeurs positives de la Sainte Cène des autres communautés chrétiennes. Le premier point ne fait guère problème. Le second étonnera peut-être. Une certaine obsession de la validité, caractéristique d’une conception juridique de la vie sacramentaire, empêche en effet plusieurs catholiques de découvrir ce que peut porter de positif et de vrai la Sainte Cène des communautés issues de la Réforme. Or, citant le Décret conciliaire sur l’œcuménisme, notre texte rappelle que, par ce rite où elles veulent fêter le Mémorial de la Pâque, ces communautés professent que la vie consiste dans la communion au Christ et attendent l’Avènement glorieux du Fils de l’homme. Cela d’une façon sensible, dans des rites où nous retrouvons plusieurs des éléments de notre propre célébration du Mémorial du Seigneur : un rassemblement communautaire pour obéir fidèlement à l’ordre du Christ, une liturgie de la Parole, une prière eucharistique de bénédiction et d’intercession incluant le récit de l’institution de l’Eucharistie, le signe matériel du pain et de la coupe, le repas de communion, le désir ardent de croître en charité par cette participation au Repas du Seigneur. Comment penser que de telles célébrations seraient vides de toute valeur eucharistique ? L’Instructio oriente la catéchèse dans une perspective nettement positive.

Eucharistie et vie chrétienne.

Il est un quatrième niveau de re-centration, moins clairement mis en relief que les autres, ce qu’il faut regretter, mais qui toutefois affleure ça et là dans l’Instructio, la re-centration de toute la vie chrétienne autour de l’Eucharistie.

La synthèse doctrinale du numéro 3 en parle expressément lorsqu’elle dit que la célébration du Mémorial de la Pâque est « totius vitae christianae fons et culmen ». Le pain eucharistie donne au fidèle la puissance de la Pâque qui cherche à le transformer pour que lui aussi vive quotidiennement l’offrande sacrificielle de tout lui-même qu’est sa vie de fidélité à l’Evangile. C’est donc dans la participation .vraie à la Sainte Cène que le baptisé puise la force pour les actes de son sacerdoce baptismal. Mais là également, en union avec tous ses frères, il fait passer cette offrande perpétuelle de lui-même en celle de la Pâque mystériquement présente. Sa vie chrétienne vient du contact sacramentel avec la Mort-Résurrection et y retourne. Donc aussi son témoignage apostolique. Le n° 6 et surtout le n° 13 le diront avec clarté : c’est par la puissance de la nourriture eucharistique que les chrétiens font de leur vie entière une Pâque, qu’ils vivent « pour Dieu », travaillent à imprégner le monde de l’esprit du Christ, deviennent les témoins de l’Evangile « en toute circonstance et au cœur même de la communauté humaine » (ri° 13). Le numéro 38 précisera que « l’union spirituelle avec le Christ vers laquelle s’ordonne ce sacrement n’est pas à percevoir uniquement pour le temps de la célébration eucharistique ; elle doit se prolonger aussi dans toute la vie chrétienne,en sorte que les fidèles du Christ, contemplant sans cesse dans leur foi le don reçu, mènent leur vie quotidienne dans l’action de grâce sous la conduite de l’Esprit-Saint et produisent des fruits de charité plus abondants ».

Au fond cela revient à affirmer que la grâce eucharistique est une grâce de vie évangélique, et qu’au-delà de la célébration communautaire de la Sainte Cène l’Eucharistie se poursuit dans l’existence chrétienne. Alors, ce que le Seigneur Jésus a fait en sa Mort-Résurrection, ce qu’il a comme imprimé par son corps pneumatique dans le cœur du fidèle, se propage mystérieusement par l’alliance de la puissance de l’Esprit et de la fidélité de l’homme. Le texte parle fort peu de l’Esprit, et c’est dommage. L’Eucharistie chrétienne ne se réduit pas en effet à l’acte rituel dans lequel cet Esprit de Dieu transforme le pain et le vin dans le moment où l’assemblée liturgique bénit le Père. Elle saisit alors toute l’existence du chrétien pour que l’emprise de l’Esprit du Seigneur ressuscité fasse des actes quotidiens de l’homme, « image de Dieu » à cause de sa fonction royale privilégiée au sein de la Création, les actes du Royaume. De Messe en Messe, l’Eucharistie se prolonge et se vit. Dans l’engagement du chrétien au service du dessein du Père. En ce sens chaque Messe est vraiment un événement dans l’histoire du salut du baptisé.

Nous touchons ici du doigt concrètement la banalité et sans doute la carence théologique de beaucoup de nos célébrations de la Sainte Cène. Elles sont abstraites. Elles ne parviennent pas à convaincre les fidèles du fait que le Mémorial du Seigneur est l’aliment et le point d’aboutissement de leur vie concrète avec ses problèmes, ses joies, ses échecs, ses crises. Elles donnent au contraire très souvent l’impression d’une sorte de coupure avec le réel. Que dire, dans cette perspective, du superficiel et de l’artificiel de tant d’intentions proposées dans la Prière Universelle ! il ne suffit pas, pour remédier à cette impression d’irréel, de changer le vocabulaire ou d’adopter des attitudes plus populaires. Le problème est plus profond. D faut essayer de capter le mouvement même de la vie et de le faire déboucher dans la Pâque de Jésus. Mais comment ? Le texte n’en dit rien, n’indique aucune voie. Nous en sommes, en effet, à une période de tâtonnements, d’expériences. Il ne revenait pas à l’Instructio de s’immiscer en ce domaine. Il faudra pourtant qu’un jour nous nous décidions à regarder la question bien en face. Les principes généraux ne suffisent plus. On peut même loyalement se demander si les actuels projets de réforme de la Messe répondent vraiment à l’attente des pasteurs et des fidèles. De toute façon ils ne résoudront qu’un aspect du problème, la structure des rites. Il restera à faire passer la vie. C’est le plus difficile. Comment y parviendrons-nous ?

Il faut cependant noter que la conscience de vivre alors un « événement » sacramentel où leur vie entière se trouve impliquée joue pour les fidèles un rôle capital dans cette incarnation dans le concret de la célébration du Mémorial, A ce plan les principes que l’Instructio demande à la catéchèse de mettre en pleine lumière sont importants. Il faudra les expliciter et surtout trouver les moyens propices à une présentation pédagogique, simple, introduisant vraiment au cœur du mystère. Peut-être le numéro 15, qui demande à cette catéchèse de « partir des mystères de l’année liturgique, des rites et des prières de la célébration pour en manifester le sens », risque-t-il d’être mal interprété et de conduire à une explication trop myope, trop rivée aux signes extérieurs, pas assez soucieuse d’en montrer l’enracinement dans l’expérience chrétienne comme telle.

Bref, la grande orientation de l’Instructio est la re-centration de toute la vie eucharistique de l’Eglise, entendue en son sens le plus large, autour de la célébration vraie et communautaire de la Sainte Cène. Celle-ci doit devenir de plus en plus le cœur du mystère de communion qu’est l’Eglise. Non pas simplement au plan du culte extérieur, mais aussi et surtout au plan de l’être et de l’agir chrétiens. Les autres manifestations de la vie eucharistique, en particulier l’adoration de la Sainte Réserve en dehors de la Messe, ne sont authentiques et ne rejoignent parfaitement l’intention du Seigneur que lorsqu’elles portent explicitement en elles une référence à la célébration ecclésiale du Mémorial du Seigneur. Les quelques réformes de rites proposées ont toutes pour but de rendre plus réelle et plus consciente cette relation.

Ajoutons, bien que cela ne soit pas explicitement indiqué dans le texte, que dans l’esprit du document l’intérêt des chrétiens doit porter avant tout, dès qu’il est question de l’Eucharistie, sur la célébration du Mémorial. Ce point nous semble important en particulier, on nous excusera d’y revenir, pour les communautés adoratrices. La célébration de la Messe ne dure que quelques minutes, l’adoration se prolonge nuit et jour. On est alors tenté de mettre affectivement cette dernière au-dessus de tout le reste. D’autant plus que la vie est tout entière organisée en fonction d’elle. L’accent, en une telle situation, se déplace aisément : au lieu de faire tendre l’adoration vers la Sainte Cène, on en arrive peu à peu à la clore sur elle-même, à en faire une fui en soi, indépendante de l’ensemble où elle se situe normalement. Plusieurs auraient désiré que l’Instructio soit ferme sur ce point, qu’elle consacre quelques numéros à un rappel des principes devant guider la vie eucharistique des communautés vouées à l’Adoration eucharistique. Cela eût sans doute outrepassé l’objet formel du texte. Pourtant l’expérience prouve que de telles précisions n’auraient pas été inutiles.

Quelques points particuliers.

Quelques points plus neufs, dont certains ont de profondes répercussions pastorales, doivent être soulignés.

Le premier concerne la possibilité d’une anticipation de la Messe du dimanche (et des fêtes). Il ne s’agissait pas pour l’Instructio de donner cette permission, déjà accordée en certaines circonstances, par induit du Siège Apostolique, depuis 1964, mais de fixer les normes permettant de conserver à pareille Messe sa véritable nature de messe dominicale pour que « le sens du dimanche ne soit en rien obscurci ». Ce numéro 28 est sans doute un des plus importants, au plan pratique, de la seconde partie du document.

Il est d’abord prescrit — « quelles que soient les concessions ou coutumes contraires », et il en existe déjà ! — que cette Messe ne soit célébrée que le soir du samedi, aux heures déterminées par l’Ordinaire du lieu. Certains essaieront peut-être de jouer sur les mots et de faire coïncider le plus possible « le soir » avec le début de l’après-midi. Ce serait aller non contre la lettre mais du moins contre l’esprit du texte. L’heure normale pour une telle anticipation est la fin de l’après-midi, le début de la célébration liturgique du dimanche coïncidant d’ordinaire avec le chant de Vêpres.

On ajoute que la Messe- célébrée doit être celle du dimanche, avec l’homélie et la prière des fidèles prescrites pour ce jour-là. Même si on fête le samedi, au calendrier, un saint populaire où une fête importante. Si le 8 décembre par exemple tombe un samedi, la messe anticipée célébrée dans la soirée sera celle du dimanche suivant, non celle de la fête. Mais bien des confusions sont encore possibles. Que fera-t-on lorsque ce samedi sera lui aussi fête d’obligation ? Il eût été bon de préciser également que cette messe du soir doit être clairement annoncée comme une « messe dominicale ». Il arrivera en effet que des fidèles appartenant à une paroisse jouissant de l’induit assistent à la messe du soir ordinaire, le samedi, dans une chapelle ou une autre église. Qu’en penseront les casuistes ? Cette messe sera-t-elle vraiment pour eux la messe dominicale ? On aurait pu, en outre, mettre en garde contre certains abus. Il ne faudrait pas dans la même paroisse multiplier chaque samedi soir (sous prétexte de faciliter le plus possible la satisfaction du précepte dominical) ces messes anticipées. Normalement chaque paroisse jouissant de l’induit ne devrait avoir qu’une seule « messe dominicale » par samedi. Et que certains pasteurs ne sautent pas sur cette occasion simplement pour décongestionner l’horaire des messes du dimanche !

Pour bien souligner qu’il s’agit de la célébration de la messe du jour suivant, le document permet aux fidèles ayant déjà communié le samedi matin de communier de nouveau durant cette messe dominicale anticipée. Ce qui va de soi.

On aura noté le statut spécial des messes anticipées de Noël, de Pâques et de la Pentecôte. La messe est alors — et on comprend aisément pourquoi — celle de la vigile, célébrée de façon festive. Les déterminations relatives à la messe vespertinale de la veille du Dimanche de la Résurrection sont catégoriques : cette messe ne doit pas commencer avant le coucher du soleil, elle doit être célébrée avec les rites de la Nuit Sainte selon l’ordonnance de cette Vigile. Ce qui n’est pas sans faire question : aura-t-on dans la même paroisse deux célébrations de la lumière et de la rénovation des promesses baptismales par exemple ? Tout cela semble bancal. On risque fort, la paresse aidant, de voir une unique veillée pascale se dérouler en fin d’après-midi, au détriment de la grande fête paroissiale de la Nuit de la Résurrection. L’avant-dernier paragraphe de ce numéro posera sans doute des problèmes dans la pratique.

Un autre point à souligner est la possibilité maintenant offerte de donner la communion sous la seule espèce du vin à certains malades ne pouvant pas la recevoir sous l’espèce du pain. A cette fin il est permis, avec le consentement de l’évêque, de célébrer la Messe dans la maison du malade (n° 41). Alors, tous ceux qui participent à cette Eucharistie peuvent, si le malade reçoit le Saint Viatique, communier eux aussi au calice (n° 32). Si la messe n’est pas célébrée près du malade il suffit de lui apporter un peu du vin consacré à une messe antérieure et conservé à cet effet. Ainsi est éliminée toute l’alchimie des parcelles dissoutes dans un peu d’eau, qui surprenait et prenait souvent une allure grotesque.

Il y a là une innovation qui rompt avec tout un passé. Dans notre tradition occidentale — marquée profondément par les controverses antiprotestantes — la communion au vin semblait jusqu’ici le privilège exclusif du sacerdoce. Pourtant les raisons dogmatiques qui militaient en faveur de la communion sous une seule espèce (contre les assertions de ceux qui affirmaient qu’il fallait qu’elle ait nécessairement lieu sous les deux espèces) valaient tout autant lorsque cette unique espèce était celle du vin. La Tradition connaît d’ailleurs, on le sait, l’usage de la communion sous la seule espèce du vin, au moins dans le cas des jeunes enfants et des mourants. L’Instructiorenoue ainsi avec l’interprétation simple et spontanée du réalisme eucharistique. Pour le plus grand profit de l’action pastorale.

Il faut également signaler la signification spéciale de la Messe célébrée dans la chambre d’un malade en vue de l’administration du Saint Viatique. Nous avons insisté plus haut sur le fait que l’Eucharistie ne trouvait sa totale perfection que dans l’offrande communautaire du Mémorial. Il est important, dans cette perspective, que le dernier contact de l’homme avec le mystère de la Pâque de Jésus, en cette vie, soit un contact, avec le Corps glorieux du Seigneur (qui le dote du gage de la résurrection) mais reçu au cœur même du sacrement où il a offert, avec ses frères les plus proches, le sacrifice du Christ. Un contact vraiment ecclésial. L’Instructione mentionne cette messe que lorsqu’il faut donner la communion sous l’espèce du vin. Bien des raisons militeraient pour l’élargissement de cette discipline, avec recours à l’Ordinaire, dès lors qu’il s’agit de donner le Viatique à un mourant encore pleinement conscient. L’ultime eucharistie doit, dans la mesure du possible, être une participation vraie à la plénitude du Sacrement du Passage du Christ de ce monde au Père.

Il faut dire un mot de l’extension des cas de communion sous les deux espèces. La situation actuelle n’est qu’une étape vers une généralisation de plus en plus grande d’un usage auquel l’ensemble des pasteurs et des fidèles n’est pas encore totalement préparé.

Certes, dans la législation proposée, les clercs, les religieux, les religieuses, sont, nous le remarquions déjà plus haut, des privilégiés. On notera toutefois certains cas significatifs de l’intention profonde du texte : ceux qui participent à la messe célébrée dans la maison d’un malade en vue de lui donner le Saint Viatique ; les retraitants à la messe célébrée pour eux et avec leur participation active ; le parrain et la marraine ainsi que les parents et le conjoint du baptisé adulte, les catéchistes laïcs qui l’ont préparé ; tous ceux, fussent-ils laïcs, qui accomplissent un authentique ministère liturgique durant la concélébration ; tous ceux qui participent à la réunion de quelque commission pastorale à la messe qu’ils célèbrent en commun. On a voulu avant tout que soient associés plus explicitement à l’Eucharistie ceux qui participent plus intensément, en raison de leur fonction ou de leur qualité, à l’acte liturgique alors célébré, qu’il s’agisse de la Messe ou de tout autre sacrement, où à l’activité ecclésiale en cause. Ce qui est privilégié est donc moins un certain état qu’un engagement plus réaliste dans la mission de l’Eglise. On peut cependant regretter certains oublis : pourquoi ne pas accorder aux parents des époux lors de la messe de mariage et aux parents d’un religieux à sa messe de profession ce qui est accordé aux parents d’un nouveau prêtre lors de sa première messe ? Certains auraient aimé qu’on laisse l’Ordinaire permettre, dans certaines circonstances, la communion au pain et au vin pour tous les fidèles durant la vigile pascale. On avait également suggéré d’accorder la communion au calice aux militants d’action catholique lors de leurs congrès ou sessions. On a opté pour une liste plus sobre, permettant un certain rodage, et habituant progressivement fidèles et pasteurs à une compréhension plus profonde de ce retour à un usage si riche de signification.

Un dernier point doit être mis en lumière : la législation proposée au sujet des expositions, prolongées ou brèves, de la Sainte Réserve eucharistique. Certes — faut-il le regretter ? — dans nos régions cette forme du culte eucharistique est plutôt en régression, sauf peut-être dans quelques communautés religieuses. Mais dans plusieurs pays elle demeure un bien précieux de la tradition catholique. Il importait donc de proposer un type de célébration qui redonne tout son sens à cet acte cultuel et le situe à sa vraie place dans l’ensemble du mystère eucharistique (nos 62, 65, 66).

Le numéro 62 contient des éléments importants, qui pourront servir de base à des célébrations du type Liturgie des Présanctifiés, là où le service dominical n’est assuré que par un ,diacre ou un laïc. En ce sens il complète d’une certaine façon ce que le numéro 33 dit de la communion en dehors de la messe. Il prévoit en effet que durant l’exposition on introduise des lectures de l’Ecriture, une homélie, une prière commune, des temps de silence. L’intention n’est pas que ces lectures se cantonnent dans le domaine de la lecture pieuse. Il s’agit avant tout de nourrir la foi des fidèles, mais en l’orientant vers le mystère de la Pâque dont l’Eucharistie est le Mémorial et dont la puissance passe en l’homme par la sacramentalité du pain consacré. Alors l’adoration de la Sainte Réserve peut devenir vraiment le point d’appui d’une entrée réelle du croyant à l’intérieur de la plénitude de la Pâque. Lorsque la Messe ne peut pas être célébrée — faute de prêtre par exemple — rien n’empêche que le tout s’achève par la distribution de la Sainte Communion avec les hosties que l’on vient d’adorer.

On le voit, l’Instructiosur le culte eucharistique, bien comprise, peut sans nul doute contribuer pour beaucoup à donner à la vie liturgique un esprit nouveau. Elle n’innove pas. Elle est même parfois timide, à l’intérieur des possibilités théologiques que lui offraient les textes conciliaires. Elle manque souvent de nerf. Peut-être agacera-t-elle par son arrêt sur le culte extra missam certains chrétiens non catholiques. Elle représente pourtant une étape importante dans l’imprégnation de la pastorale par l’esprit du Concile. Si on l’applique — et certaines de ses recommandations demanderont à plusieurs pasteurs beaucoup de courage — elle aura pour fruit de recentrer vraiment la vie de l’Eglise autour de la célébration communautaire du Mémorial du Seigneur. C’est là son intention première.

J. M. R. TlLLARD, O. p. Collège dominicain de théologie, Ottawa.