Les Acta Apostolicae sedis du 20 avril 1955 publient, pages 218-224, un Decretum generale de la Sacrée Congrégation des Rites, daté du 23 mars et portant comme titre De rubricis ad simpliciorem formam redigendis. A la suite de la radio, la grande presse s’est emparée de la nouvelle : en pure perte, car elle n’a pu présenter, à l’homme de la rue avide de sensationnel, aucun changement spectaculaire, pas plus dans la messe que dans les vêpres. Le changement ne pourra être perçu que de l’intérieur, par ceux qui vivent la prière de l’Eglise ; je crains même que beau coup de prêtres n’aient une première impression déçue : il leur faudra avoir expérimenté pendant un temps assez long les nouvelles dispositions pour apprécier la méthode adoptée par la Congrégation des Rites. Ces abrègements, en apparence minimes, ont en fait une très grande portée : ils modifient heureusement et de façon profonde l’esprit dans lequel se célèbre l’office divin.
Le Saint-Siège reconnaît expressément n’avoir pas eu l’initiative. Il a répondu aux prières qui lui ont été adressées par certains chefs de diocèses : la mention de ces suppliques, en tète du décret, nous invite à voir la loi normale du gouvernement de l’Eglise dans cet échange mutuel de soucis pastoraux entre le pape et les évêques, comme entre les évêques et leurs prêtres [1]. De fait, c’est à des préoccupations pastorales, non à des soucis d’archéologie ou d’esthétique, qu’il faut attribuer la décision prise par Pie XII : les prêtres de notre temps ont des tâches apostoliques de plus en plus nombreuses et complexes, au milieu desquelles l’office divin devrait être une halte bienfaisante, une reprise facile de la prière, et non pas une surcharge pénible et compliquée.
Au lieu de procéder dans un impénétrable secret, la Commission chargée par le pape de ce travail auprès de la Congrégation des Rites a suscité, il y a déjà quelques années, un libre échange d’opinions tant entre les spécialistes qu’entre les pasteurs : La Maison-Dieu a rendu compte, dans son numéro 21, des divers articles parus à cette occasion dans les périodiques (un cardinal même n’avait pas hésité à imprimer sous son nom une brochure pro manuscripto proposant un plan très hardi de réforme), et de son côté M. Bugnini résumait dans les Ephemerides liturgicae [2] les réponses qu’il avait reçues de prêtres de milieux très divers au questionnaire qu’il leur avait distribué.
Or tout le monde est d’accord, depuis l’époque de Benoît XIV, sur l’urgence d’une réforme du bréviaire. Aujourd’hui cet accord se précise sur la nécessité d’abrègements, mais l’unanimité de la requête cache une incroyable diversité d’opinion sur les moyens de la réaliser. Il est même à craindre que chacun soit d’autant plus attaché à son projet de réforme qu’il croit être le premier à l’avoir imaginé, et il semble difficile d’en proposer un actuellement qui rallie tous les suffrages et sauvegarde le trésor de la prière traditionnelle de l’Église. Une réforme générale tient moins d’ailleurs à des principes qu’à un esprit. Cet esprit, on ne le crée pas par décret : il doit naître et se développer d’abord dans les hommes, par un Approfondissement du goût de la prière, par un effort biblique, un sens plus grand de Dieu et de son Eglise, un souci délicat de vérité, une expérience des richesses mystiques des saints dans leur extraordinaire diversité. Il suppose une grande abnégation des goûts personnels, un louable esprit de sacrifice de la part des églises locales et des ordres religieux appelés à voir disparaître du bréviaire des dévotions qui leur sont légitimement chères.
C’est dire qu’une telle réforme ne peut se faire par brusque changement, mais par une succession progressive d’aménagements partiels. Car un brusque changement aboutit fatalement à une création artificielle, dans laquelle ne passe pas la vie, destinée à disparaître très vite même si le succès immédiat donne le change tout d’abord : qu’on se rappelle le cas du bréviaire de Quiñonez au XVIème siècle. Si au contraire on traite l’office divin comme un arbre toujours plein de sève, il suffit de lui redonner sa spontanéité pour qu’il puisse évoluer comme de lui-même. C’est ce qu’avait compris saint Pie X, en commençant la réforme du bréviaire par une série d’actes successifs échelonnés entre 1912 et 1914 qui auraient été suivis de bien d’autres encore si la mort du pontife et la guerre n ’avaient interrompu cette œuvre. Le décret du 23 mars 1955 reprend le travail avec la même méthode, en vue d’approfondir les résultats acquis depuis quarante ans, profitant non seulement, de l’expérience de ceux qui utilisent l’office réformé par saint Pie X, mais aussi de l’effort accompli par les Bénédictins sur leur propre calendrier, et des résultats de certaines études historiques.
On est autorisé à considérer le présent décret comme une étape. Nous dirons, en terminant cet article, comment nous discernons les jalons ultérieurs et quelles sont les conditions nécessaires pour que l’œuvre puisse être continuée. Mais déjà cette étape nous paraît très considérable. S’il fallait la caractériser d’un seul trait, nous dirions qu’elle est un approfondissement de la prière. C’est une loi constante de la vie spirituelle que de progresser par simplification : aux complications du début, à la multiplicité des formules, des dévotions, des pratiques succède peu à peu l’unité de la vie contemplative. Le multiloquium est peut-être nécessaire à l’infirmité du débutant, qui sans cela passerait le temps sans prier ; mais plus il avancera dans les voies de la prière, et plus il en simplifiera les formes, même s’il ne parvient pas encore à 1’ « oraison de simple regard ». En même temps, doit se faire un travail de dépouillement : les dévotions les plus chères, les plus utiles même au début, cachent toujours une subtile recherche de soi-même que la « Montée du Carmel » presse de sacrifier... L’histoire du bréviaire semble nous faire constater une semblable montée collective des âmes consacrées au Seigneur : depuis le Moyen Age, l’office passe par des réformes successives qui tendent à le simplifier toujours plus, afin qu’il soit uniquement prière, prière intense et paisible dont l’essentiel — les psaumes et la lecture biblique — se dégage avec une meilleure netteté de tout l’accessoire des formes et des rubriques. Saint Pie V avait tranché impitoyablement les interminables suppléments : office de la Vierge, office des morts, psaumes graduels, etc. ; saint Pie X a remis en vigueur la récitation effective du psautier et redonné au temporel la prééminence qu’il n’aurait dû jamais perdre. Le décret de 1966 fait disparaître encore plus radicalement tous les appendices et superfétations, élague le calendrier, et dispense désormais celui qui veut prier avec le bréviaire de se perdre dans le maquis des rubriques. Qui d’entre nous, fût-il professeur de liturgie, n’a souffert, à certains soirs de fatigue, de ce puzzle de commémoraisons, de ce chassé-croisé de répons du vendredi avec les leçons du mercredi, ou de ces cascades d’incipit qui galvaudaient les Epîtres de saint Paul ou les Petits Prophètes ? Si, encore une fois, l’allégement apporté par les nouvelles dispositions est matériellement minime, il est très considérable sur le plan psychologique : il supprime la lassitude et l’ennui qui venaient de la complication.
Toute réforme de l’office entraîne par voie de conséquence quelques adaptations des rubriques du missel, et la pièce maîtresse en est toujours la modification du calendrier. C’est ce qui a eu lieu lors des décrets de saint Pie X, ses Additiones et Variationes s’imposant au missel comme au bréviaire. Le présent décret obéit lui aussi à ce principe, c’est pourquoi il comporte pratiquement trois parties : Les Variationes in calendario (titre II) auxquelles il faut joindre le titre III, De Commemorationibus ; — les Variationes in breviario (titre IV) ; — les Variationes in missali (titre V). Un court titre Ier, préliminaire, Normae generales, précise seulement que les nouvelles dispositions s’appliquent au seul rite romain, sans toucher aucunement par conséquent au bréviaire monastique, à l’office cistercien, ni au bréviaire dominicain, mais qu’elles affectent aussitôt, dans l’intérieur du rite romain, tous les calendriers particuliers de diocèses, d’ordres et congrégations et révoquent tous induits et coutumes contraires. Les calendriers locaux seront donc adaptés aussitôt sans que l’on ait à demander pour cela des décrets d’approbation.
L’entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 1956, date commode, puisque les Ordos diocésains rédigés d’après les principes nouveaux porteront à tous les prêtres les prescriptions quotidiennes qui les dispenseront de tout effort personnel d’interprétation. Mais la Congrégation des Rites défend aux éditeurs de modifier quoi que ce soit au missel et au bréviaire eux-mêmes, preuve que de nouvelles décisions sont attendues pour l’avenir : servatis interim libris liturgicis prouti extant, donec aliter provisum fuerit.
Nous ne suivrons pas, dans notre commentaire, l’ordre des titres et des articles, afin de permettre une vue d’ensemble plus nette. Notamment, nous commencerons par ce qui concerne la messe (titre V) qui se réduit en somme à peu de prescriptions.
Sans préjuger d’une réforme de la messe elle-même, des simplifications pouvaient être introduites par le seul jeu de quelques modifications de rubriques. Elles étaient d’autant plus nécessaires que les fidèles sont de plus en plus initiés aux prières du célébrant, soit qu’ils les suivent dans leur missel, soit qu’ils en écoutent la présentation faite sous formes de « monitions diaconales » : la subtilité des règles concernant le Credo, les Préfaces, etc., les désorientait, cependant que la multiplicité des oraisons à chercher et à agencer dans l’ordre voulu était pénible pour tous, célébrant et fidèles.
Les oraisons vont être désormais très réduites en nombre. D’abord, il n’y a plus d’oraisons pro diversitate temporum : A cunctis, Ecclesiae velpro papa, De Beata, etc. ; la simplification est d’importance. D’autre part, la modification du calendrier et des règles de commémoraisons réduira au maximum les chances d’avoir des mémoires. On veut espérer que les Ordinaires entreront dans cet esprit en réduisant les impérées dont l’usage prolongé devient vraiment intolérable : dans certains diocèses, il y a des oraisons impérées à longueur d’année, voire à longueur de décades, parfois même pro re gravi, ce qui finit par leur enlever toute saveur et rend la célébration fastidieuse. Les nouvelles rubriques font omettre l’impérée simpliciter à toute messe chantée, également le. dimanche et lorsqu’il y a déjà trois oraisons prescrites par les rubriques. J’aurais souhaité que l’Ordinaire n’ait plus la faculté d’impérer une oraison plus de huit jours de suite.
De toute façon, à moins d’impérées pro re gravi, il n’y aura désormais pratiquement jamais plus de trois oraisons à la messe non chantée en semaine [3] ; le dimanche ordinaire, il ne peut y en avoir que deux ; aux fêtes de première classe, aux dimanches d’Avent, de Carême et de Quasimodo, aux messes votives solennelles, aux messes chantées, il ne peut y en avoir qu’une [4]. L’oraison Fidelium, qui apportait tant de trouble du fait qu’elle devait être placée penultimo loco, disparaît heureusement. En fait, à considérer le calendrier jour par jour, les circonstances où l’on rencontrera trois oraisons à la messe, sauf toujours le cas d’oraisons impérées, seront très rares dans l’année entière. Les règles concernant le Credo sont quelque peu simplifiées : il se dira tous les dimanches, aux messes votives solennelles chantées, aux fêtes de première classe (donc pour saint Jean-Baptiste), aux fêtes du Seigneur et de la Vierge (donc pas pour les Anges, à l’exception du 29 septembre), aux Natalicia des Apôtres et Évangéliste (ce qui exclut saint Jean Porte-Latine, saint Pierre-aux-Liens, les Chaires de saint Pierre, la Conversion de saint Paul), ainsi que des doctores nniversæ ecclesiæ — formule sur laquelle je reviendrai. Sainte Madeleine disparaît de la liste ; je regrette qu’on y ait maintenu les docteurs ; sans doute eût-il été plus simple de lier le Credo à l’assemblée des dimanches et fêtes, sans plus.
Les préfaces avaient donné lieu à un surprenant gonflement des règles qui les concernent. Les rubriques de certaines d’entre elles occupaient plus de la moitié d’une page du missel, ne laissant au hasard aucun cas, quelque curieux qu’il soit (messe votive solennelle chantée le mercredi de Pâques dans une église qui a par ailleurs la messe conventuelle, etc.). Désormais, la règle tient en deux lignes : on dit la préface qui est propre à cette messe, sinon la préface De Tempore, ou enfin la préface commune. Rien n’est changé cependant à l’octave de Noël (cf. tit. II, n. 13).
Enfin, autre élément de complication, il arrivait souvent qu’on doive remplacer l’évangile final In principio par un évangile propre, appartenant à une messe du temps ou à une messe de saint : ce dernier cas prêtant à beaucoup de difficultés, puisqu’il devait être stricte proprium (est-on sûr que ce fût le cas pour sainte Madeleine ?). Mais l’intervention de ces évangiles avait un autre inconvénient plus grave à nos yeux : il changeait complètement la structure de cette partie de la messe, empêchant l’évêque de quitter l’autel et faisant perdre de vue que la récitation de 1’in principio est une prière privée d’action de grâces après là communion. Désormais, 1’in principio ne sera remplacé que deux fois : à la troisième messe de Noël parce qu’il a déjà été dit, et le jour des Rameaux quand il n’y a pas bénédiction des palmes [5] ; cette réforme est à rapprocher de la rubrique de la Vigile pascale qui supprime complètement le dernier évangile.
Le titre V comporte aussi quelques allégements dans les messes pro defunctis : une seule oraison aux messes quotidiennes chantées, les deux autres étant facultatives aux messes basses ; Dies irae facultatif aux messes de neuvaine ou anniversaire et aux messes quotidiennes même chantées, (le 2 novembre, ceux qui disent plusieurs messes ne la diront qu’une seule fois).
La volonté d’allégement et de simplification se manifeste, dans 1’ordinarium officii, d’abord par la suppression des Pater, Ave, Credo, qui se disaient tant au début qu’à la fin des diverses heures. Désormais, matines commencent par Domine labia mea aperies, les heures du jour par Deus in adjutorium. Les offices du Triduum sacrum et l’office des morts commencent par la première antienne (l’Invitatoire aux matines des morts). A la fin des heures, on n’ajoute rien à Fidelium animae, pas même dans l’office choral. L’antienne à la Sainte Vierge est donc réservée exclusivement au soir, suivant la meilleure tradition du Moyen-Age ; bien plus, elle cesse d’être une simple finale de Complies pour devenir comme une conclusion de tous le Cursus, ayant sa valeur de station quasi indépendante ; elle reçoit même tous les privilèges qu’avait la prière Sacrosanctae, ce qui veut dire que cette prière facultative disparaît du bréviaire, comme d’ailleurs Aperi. Le verset Divinum auxilium se joint à l’oraison de l’antienne et termine ce bref office marial.
Il faut faire deux remarques sur ces suppressions. Le Pater et le Credo sont des prières traditionnelles que les chrétiens, depuis l’antiquité, ont aimé à dire le matin et le soir ; si le Pater demeure au chapitre de Prime et aux prières fériales, le Credo disparaît totalement du bréviaire. D’autre part les Pater et Ave qui précédaient le Deus in adjutorium tenaient lieu de cette silencieuse statio que saint Benoît prescrivait à ses moines avant d’entrer à l’oratoire, destinée à faire taire l’agitation intérieure et à préparer l’âme à la prière : la nécessité de cette préparation demeure, au plan de la liberté des enfants de Dieu, même si elle n’est plus matérialisée par l’espace d’un Pater et d’un Ave.
Sans aucun regret, nous voyons disparaître les prières dominicales, les suffrages et, hors le jour de la Trinité où on le maintient, le symbole Quicumque. Qui décrira le cauchemar que constituait Prime du dimanche lorsque aucun double ni aucune octave ne venait nous délivrer de ces pénibles surcharges ? La mémoire de la Croix du Temps pascal, qui est également supprimée, mérite au contraire un adieu ému : elle rappelait le pèlerinage des néophytes à l’oratoire de la Croix où ils avaient été confirmés et nous remettait devant le mystère pascal.
Les prières fériales ont, à la différence des prières dominicales, une grande valeur à la fois de tradition et d’ex-’ pression. A laudes et à vêpres, elles comportent la proclamation solennelle du Pater par le célébrant afin que, dit saint Benoît, « les frères, engagés par la promesse qu’ils font en cette oraison : pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons, se purifient de ces sortes de fautes [6] » ; puis vient comme une oratio fidelium pour tous les besoins . de l’Église, telle qu’on la pratique depuis les premiers siècles. C’est pourquoi les prières fériales seront conservées aux heures de laudes et de vêpres (mais non aux petites, heures où elles n’avaient pas de raison d’être), quand on fait l’office de la férie, les mercredi et vendredi de l’Avent et du Carême, ainsi qu’aux trois jours des Quatre Temps d’hiver, de printemps et d’automne. Le choix du mercredi et du vendredi se justifie de façon évidente, puisque ce sont les tout premiers jours de station pénitentielle.
Il y avait des règles fort compliquées qui régissaient le déplacement des Incipit ou de certaines leçons ainsi que dé certains répons : même les rédacteurs d’ordos hésitaient parfois sur le parti à adopter, ce qui excusait les erreurs et distractions du pauvre clerc moyen, sans compter l’inconfort de la célébration, car le transfert des répons n’accompagnait pas toujours celui des leçons. Simplification radicale : plus aucun transfert de leçon ni de répons [7].
Pas davantage n’aura-t-on à se préoccuper de distribuer au mieux des places vacantes les antiennes à Magnificat des féries du temps de la Septuagésime, ni les diverses hymnes propres de certains saints.
On a bien daubé sur l’Hymne Iste confessor, dont le troisième vers était changé lorsqu’on ne célébrait pas l’anniversaire exact de la mort du confesseur, alors qu’on n’avait aucun scrupule à chanter, à laudes, Dies refulsit lumine / quo sanctus hic de corpore / migravit inter sidera. Et encore ! la règle se compliquait lorsque la fête était transférée au lendemain ; si l’on chantait aux premières vêpres : scandere sedes, on ne changeait pas aux secondes… Mais tout le monde se trompait sans cesse et c’était faire trop d’honneur à cette hymne. Désormais, plus de m. t. v. pour tous les confesseurs, ce sera Laudis honores.
J’avoue n’avoir pas bien compris le numéro 14 du titre IV : « in festo sanctorum lectiones I nocturni, si propriae assignatae non habeantur, sumantur de scriptura occurrenti : his deficientibus, sumuntur de communi ». Je suppose qu’il est simplement une application du numéro précédent, et qu’il interdit le transfert des leçons d’Écriture d’un jour à l’autre à l’occasion des Quatre-Temps ; mais je ne pense pas qu’il modifie la règle antérieure concernant les saints ayant des répons propres au premier nocturne, comme sainte Cécile par exemple. En outre, il semble devoir jouer pour les saints de deuxième classe et les fêtes inférieures de la Vierge.
De grands changements interviennent dans les degrés des fêtes, et la façon de célébrer chaque degré.
Ces changements ne touchent pas aux fêtes de première classe, qui comportent les deux vêpres et ont des psaumes propres ou communs aux vêpres et à matines, les psaumes du dimanche aux laudes, aux petites heures (avec Deus in nomine à Prime) et à Complies. Mais on étend à toutes ces fêtes de première classe le privilège, qui était jusqu’ici .réservé à quelques-unes, d’exclure toute commémoraison à l’exception de celles énumérées au titre III, numéro 2 du présent décret.
Pas de changement non plus à la façon de célébrer les octaves de Pâques et Pentecôte, sauf que tous les jours deviennent pratiquement doubles de ’première classe [8], ni l’octave de Noël dont le 3o décembre devient double.
Les fêtes de deuxième classe ont également les deux vêpres. Mais elles perdent les psaumes du dimanche aux petites heures [9], Complies excepté. Cela abrégera un peu l’office et rapprochera davantage de l’idéal de saint Pie X, puisque tous les psaumes devraient être dits au complet au cours d’une semaine. A ces fêtes de deuxième classe, une seule commémoraison est désormais possible (en plus de celles énumérées au titre III, numéro 2).
Les dimanches sont élevés au rite double, sans que pour autant, aux dimanches mineurs, les antiennes soient doublées. Ils ont deux vêpres. Les dimanches mineurs cèdent toujours leur place aux fêtes [10] du Seigneur ; ils ne sont plus transférés. Mais une très grande innovation intervient : dominicae adventus et quadragesimae et aliae usque ad dominicam in albis necnon et dominica Pentecostes celebrantur ritu duplicis I classis et festis quibuslibet praeferuntur tam in occurrentia quam in concurrentia ; on aura remarqué la présence de Pentecôte dans l’énumération des dimanches, qui comprend d’ailleurs aussi Pâques sans la nommer : il en était ainsi dans la liste de Pie X, mais je ne crois pas que la chose ait été assez soulignée, car ces deux jours sont les dimanches par excellence. Quoi qu’il en soit, l’élévation du rite de ces dimanches majeurs pose la question des psaumes des premières vêpres, des complies du samedi et des psaumes de prime : à mon sens, bien que la chose ne soit pas dite, la psalmodie devrait rester sans aucun changement. A ces dimanches de première classe, il ne peut y avoir aucune commémoraison, aux autres dimanches une seule, toujours compte non tenu de celles indiquées au titre III, numéro 2.
Les autres offices n’ont pas de premières vêpres [11], ce qui simplifie radicalement les règles de concurrence, réduit les commémoraisons et facilite l’emploi des antiennes et versets des communs pour les mémoires. Cette décision, aisée à comprendre, étonnera pourtant un peu les historiens : elle montre que l’Église ne se laisse pas arrêter par des considérations archéologiques. En effet, la liturgie antique avait hérité de la prière juive l’habitude de faire commencer les jours le soir : « et il y eut un soir, et il y eut un matin, ce fut le premier jour » ; c’est pour cette raison que les premières vêpres étaient les seules qui possédât un office simple, et elles étaient les plus solennelles lorsque l’office était dominical ou double. La règle primitive était, il est vrai, déjà battue en brèche par les féries et les jours infra octavam qui ne comportaient normalement que les secondes vêpres. Désormais, les premières vêpres deviennent le privilège exceptionnel des dimanches et des fêtes de première et deuxième classe.
Les fêtes doubles du Seigneur et de la Vierge sont également privées aux petites heures des psaumes festifs, complies excepté. Quant aux fêtes doubles majeures ou mineures des Anges, de saint Jean-Baptiste, de saint Joseph, des Apôtres et des Évangélistes, elles perdent leur privilège et rentrent dans la loi générale : on dit à toutes les heures les psaumes de la férie, sauf à celles des grandes heures qui ont des antiennes propres. Sur ce point, il y a donc renforcement des prescriptions de Pie X, et une mise en valeur plus grande du psautier.
Le rite semi-double est supprimé. A vrai dire personne n’a jamais pu expliquer sa signification exacte, il constituait comme une anomalie ; les saints qui avaient ce rite représentent souvent les premières additions médiévales faites en France au calendrier romain. Désormais, les saints semi-doubles passent au rite simple, mesure qui affecte, sauf erreur, quarante-deux jours de l’année, et qui atteint aussi les saints des calendriers particuliers. La Vigile de Pentecôte est élevée au rite double. Les octaves... nous allons les retrouver tout de suite.
En revanche, un nouveau degré est pratiquement institué avec les anciennes fêtes simples, qui deviennent des memoriæ en tout semblables à celles de l’ordo bénédictin : on en fait mémoire à l’office de ea, mais sans aucune leçon historique, ce qui simplifie le travail ultérieur de révision du légendier ; à la messe, on a le choix entre la férie et le saint (more festivo, bien sûr).
Puisque les premières vêpres sont supprimées en dehors des dimanches et des fêtes doubles de première et deuxième classe, il faut en conclure que les simples et les memoriæ n’en ont plus du tout. L’office des fêtes simples commence à matines et se termine à none ; les memoriæ n’interviennent qu’à laudes et à la messe.
En aucun cas, quelles que soient les occurrences et concurrences, il ne peut plus désormais y avoir plus de trois oraisons à vêpres et à laudes. Les fêtes commémorées ne communiquent plus à l’office leur doxologie et leur verset de prime [12].
D’autres changements considérables affectent le calendrier et le cours de l’année liturgique.
Sont supprimées, les vigiles de l’Epiphanie, de l’Immaculée Conception, de la Toussaint, des Apôtres à l’exception de celle des saints Pierre et Paul, les vigiles des calendriers particuliers. Il ne reste donc que deux vigiles privilégiées : Noël et Pentecôte, et cinq vigiles communes : l’Ascension, l’Assomption, saint Jean-Baptiste, saints Pierre et Paul, saint Laurent. Ces dernières ne sont plus anticipées au samedi lorsqu’elles tombent le dimanche.
Décision plus radicale : toutes les octaves sont supprimées, même celles qui sont de droit particulier, à la seule exception des trois octaves de Noël, Pâques et Pentecôte. L’exception s’explique et se justifie aisément : Noël a toujours eu un mode particulier de célébration des jours qui la suivent ; Pâques et Pentecôte ont vu se constituer un admirable formulaire pour les réunions qui ramenaient huit jours de suite les néophytes : il suffit de se rappeler les commentaires enthousiastes de M. Paris sur « la semaine des vêtements blancs ». Mais cette exception ne fait que mettre en plus grande valeur la règle : on voit disparaître les octaves de l’Epiphanie, de l’Ascension, de la Fête-Dieu, du Sacré-Cœur, de saint Jean-Baptiste, de saint Joseph, des saints Pierre et Paul, de l’Assomption, de la Toussaint, de l’Immaculée Conception, de la Dédicace et du Titulaire de la cathédrale, de la Dédicace propre, du Patron du diocèse, du Patron du lieu, du Titulaire de l’église propre, du Fondateur d’ordre, et tant d’autres concédées à titre local, sans compter les octaves simples. Il aura fallu beaucoup de courage aux membres de la commission pour envisager une telle mesure et aller ainsi à rencontre de bien des surenchères. Disons sans hésiter que c’est un des résultats les plus magnifiques du présent décret ; quand on pense à cette suite presque ininterrompue d’octaves, qui nous accablaient de l’Ascension au 6 juillet et au regret que l’on éprouvait à interrompre l’office de l’Avent du 9 au 15 décembre, on ressent une vive satisfaction, sans rien dire du lectionnaire de ces octaves, si souvent fastidieux.
L’Avent reçoit en particulier des nouvelles rubriques un éclat nouveau. L’office férial y sera célébré au moins huit fois de plus ; les quatre dimanches sont désormais tous de première classe : ils ne perdent plus leurs vêpres en concurrence, ils renvoient même la fête de l’Immaculée Conception au lundi lorsque le 8 décembre est un dimanche, et de même toute fête de première classe d’un calendrier local. Cependant, sauf au premier dimanche, les messes peuvent être de la fête ainsi éliminée, à l’exception de la messe conventuelle.
Il n’y a rien de changé à la vigile de Noël, et pas davantage, nous l’avons vu, à la façon de célébrer l’octave de Noël, sauf le rite double des jours dans l’octave.
Du 2 au 5 janvier, en dehors de la fête du Saint Nom de Jésus, les jours sont désormais vacants. Ce sont des féries de rite simple, traitées comme les anciens jours octaves simples : les messes votives lues y sont pareillement interdites. Les psaumes sont de la férie au psautier, les leçons de l’Écriture courante avec Te Deum à la troisième, tout le reste est de la fête du 1er janvier, sans Credo ni Communicantes à la messe, mais avec préface, doxologie et verset de Prime de Noël.
Même méthode pour les jours du 7 au l2 janvier, qui utilisent les formulaires de l’Epiphanie. Le dimanche, on fête la Sainte Famille, sans mémoire du dimanche [13]. Le 13 janvier, à moins que ce jour ne soit un dimanche, on célèbre la Commémoraison du Baptême de Notre-Seigneur sous le rite double majeur : l’office et la messe sont ceux de l’actuel jour octave de l’Epiphanie. Le maintien de ce formulaire sous le nouveau titre est une chose excellente, d’autant plus que les travaux de la patristique moderne nous invitent à prendre le mystère du baptême du Christ comme point de départ de la catéchèse des sacrements.
Les dimanches de la Septuagésime, Sexagésime et Quinquagésime demeurent dimanches majeurs de deuxième classe, sous le rite double (les antiennes n’étant pas doublées).
Le carême fait l’objet d’une révolution rubricale sans précédent. Alors que jusqu’ici la messe a toujours laissé au célébrant une certaine latitude (messes votives à certains jours ; choix entre la messe de la férié, de la vigile ou du saint, choix entre plusieurs saints à d’autres jours, troisième oraison au choix du célébrant, oraison de dévotion aux jours simples...), l’office ne comportait pas la moindre liberté du plus minime verset ou de la moindre commémoraison. Compte tenu des calendriers locaux, on pouvait savoir jusqu’au dernier détail l’organisation de l’office de n’importe quel clerc ou religieux de rite romain. Or désormais, pendant tous les jours de Carême en semaine, lorsque le calendrier indiquera l’office d’un saint double majeur ou mineur, on aura le choix entre l’office du saint et l’office de la férie. Mais cette faculté n’est donnée qu’à la récitation privée, et ceci est encore une grande nouveauté : pour la première fois une différence pourra se produire entre l’office choral et la récitation privée [14]. L’avantage est donné cette fois à la récitation privée, mais sans doute des demandes, d’indult se manifesteront pour faire bénéficier les convents de cet heureux choix. Je constate avec une douloureuse surprise que beaucoup de prêtres ignorent encore, après quarante ans, que la messe de la férie est, en carême, la messe normale, celle qui correspond à la messe conventuelle, et que la messe du saint (sauf le cas des première et deuxième classes) n’est permise que comme messe privée. L’adage de la messe conforme à l’office ; qui n’a aucune valeur et que ce cas contredit expressément, semble anachroniquement professé toujours par certains rédacteurs d’ordos ; mais pardessus ces considérations juridiques, il est navrant que des prêtres soient insensibles au magnifique contenu de ces messes stationales, malgré Dom Guéranger, le cardinal Schuster et Pius Parsch.
Du vendredi après l’Ascension jusqu’au vendredi suivant inclus, on suit les mêmes principes qu’au mois de janvier : fériés de rite simple du temps pascal, avec psaumes de la férié, leçons de l’Écriture courante avec leurs deux répons, Te Deum, et le resté à la fête de l’Ascension, sans Credo ni Communicantes, mais avec préface, doxologie et verset de prime. Les messes votives lues y sont interdites. Le dimanche se célèbre comme par le passé.
Rien de changé à la vigile de Pentecôte, sauf le rite qui est désormais double.
De l’octave de la Fête-Dieu et de celle du Sacré-Cœur, il ne reste que les dimanches, qui se célèbrent comme par le passé. Les autres jours sont des féries per annum : on y prendra les messes du premier, deuxième ou troisième dimanche après la Pentecôte, que l’on célébrera en vert et sans Gloria.
Le décret du 28 mars nous invite, disions-nous, à attendre des mesures ultérieures : donec aliter provisum fuerit. C’est la raison pour laquelle les rubriques ne sont pas refondues, mais juxtaposées, comme l’étaient déjà celles de Pie X.
Commode par son efficacité immédiate, la réforme actuelle du Sanctoral ne peut être considérée que comme provisoire. Elle rabaisse d’une façon un peu mécanique les semi-doubles en simples et les simples en mémoires. Je plaiderais la cause de certains, en particuliers Corneille et Cyprien. Mais, ce qui est plus grave, elle laisse intact le bloc énorme des doubles, qui s’accroît d’ailleurs sans cesse. Or c’est là que désormais devra être fait le travail le plus délicat : il faut élaguer impitoyablement dès fêtes qui font double emploi ou qui ne répondent pas à un besoin universel de la piété, et en même temps assurer aux fêtes que l’on garde un formulaire savoureux et varié dans son choix biblique, vrai dans son légendier. C’est-à-dire que l’on doit aller à contre-courant de la tendance inquiétante, qui se manifeste depuis trois siècles, à multiplier les fêtes universelles pour satisfaire les groupements particuliers, et à donner à toutes uniformément des formulaires communs ! La messe In medio [15] et la messe Si diligis, répétées de façon de plus en plus fréquente, appauvrissent et dessèchent le Sanctoral, tandis que les somptueuses messes des martyrs au temps pascal servent de moins en moins. Le légendier suppose non seulement la rigueur de la vérité historique, mais aussi et surtout une saine conception de la sainteté : par delà les poncifs d’une mauvaise hagiographie, qui soupçonnerait donc l’originalité merveilleuse, le lumineux message de tant de saints que nous ne découvrons... qu’après avoir fermé notre bréviaire. Je m’expliquerai sur ce sujet dans un article ultérieur. Il faut reconsidérer aussi le cursus de l’Écriture ; : les Macchabées occupent un mois, l’Exode n’a que deux ou trois leçons.
Même complétée par une refonte du calendrier et du formulaire des saints, la réforme du bréviaire ne sera pas terminée, tant s’en faut. Peut-être que pour aller plus avant, elle exigera des études plus approfondies sur l’histoire de l’office. Les contributions récentes du P. Hanssens, du P. Raes, de Dom Salmon, du P. Jungmann montrent qu’il y a beaucoup à faire et qu’il serait faux de croire acquise une connaissance suffisante des dix premiers siècles de la prière publique et de son esprit : un travail de longue haleine sur l’ensemble des sources, occupant un « séminaire » pendant des années, réservera bien des surprises. Seule, pourtant, une telle étude peut garantir la rectitude des choix que l’on sera amené à faire.
Ce ne sera pas l’étude des historiens qui aura la plus grande influence sur le succès des réformes ultérieures, mais l’effort de prière de ceux qui pratiquent l’office et en font leur vie. Recta sapere : c’est le don de l’Esprit-Saint, qui a parlé par les Prophètes, qui a inspiré les psaumes, celui en qui nous crions : Abba, Père.
Aimé-Georges Martimort
[1] L’assemblée des Cardinaux et Archevêques de France avait chargé en 1950 le Cardinal Archevêque de Toulouse de lui faire à sa session d’octobre un rapport sur le bréviaire en vue de préparer une telle supplique.
[2] 63, 1949, pp. 166-184.
[3] Je dis « pratiquement », parce qu’il faut laisser la place des oraisons de dévotion, et surtout de celles prévues par les rubriques pour certains cas : anniversaire du pape et de l’évêque, anniversaire de l’ordination, etc.
[4] On excusera la façon dont je simplifie les choses : car certaines commémoraisons font exception, celles du titre III, n. 2, et les oraisons à dire sub unica conclusions cum prima au titre des Add. et var.
[5] Certains diocèses ont un induit permettant aux prêtres, qui célèbrent trois messes le jour des Rameaux, de ne lire qu’une fois la Passion, et de se contenter aux deux autres messes de la partie Altera die. C’est peu logique et peu expressif : pourquoi ne pas prescrire l’évangile des Rameaux ?
[6] Règle, ch. XIII.
[7] A deux exceptions près : l’Incipit du dernier dimanche d’octobre transféré de façon stable au lundi depuis l’institution de la fête du Christ-Roi, et celui de la 1ère Epître aux Corinthiens qui se dira le 12 janvier, lorsque ce jour-là est un samedi, la fête de la sainte Famille n’étant plus déplacée par l’octave de l’Epiphanie.
[8] Le texte dit seulement elevantur ad ritum duplicem, mais leur confère tous les privilèges de la première classe : « Festis quibuslibet praeferuntur et non admittunt commemorationes. »
[9] 9. Mais quand ces fêtes tombent un dimanche, devra-t-on dire à Prime le psaume Confitemini, et quelles antiennes accompagneront ces psaumes des petites Heures : celles du dimanche, ou celles du saint ? Je pense, celles du saint.
[10] Avec peut-être une restriction, car le texte dit : « Festum cuiusvis tituli aut mysterii Domini », et non plus : « Festum Domini ».
[11] Sauf sans doute les fêtes du Seigneur lorsqu’elles remplacent le dimanche.
[12] Sauf l’exception, apparente, des jours allant du 2 au 13 janvier et des jours entre l’Ascension et la Pentecôte ; mais ce sont des « temps » et non des « fêtes ».
[13] 13. C’est ce qui semble se déduire du n. 16
[14] Les deux seuls points sur lesquels, jusqu’ici, différaient l’office choral et la récitation privée étaient la célébration de Matines, qu’on ne pouvait au chœur ni anticiper ni séparer des Laudes, et l’obligation au choeur de l’antienne finale à la Vierge aux petites Heures et à Vêpres.
[15] Pourquoi ne pas laisser les docteurs au calendrier propre des Ordres religieux ? Quatre ou cinq suffiraient comme doctores universæ ecclesiæ.