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Commentaire sur le Supplices

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Dans son Explication de la divine Liturgie (milieu XVe siècle), le byzantin Nicolas en commentant de manière polémique le Canon Romain, aborde la prière du Supplices.

Traduction du Père Salaville, Sources Chrétiennes 4bis, Editions du Cerf, 1967.

CHAPITRE XXX

Que dans l’Église latine la consécration se fait de la même manière que chez nous

1. Ce qui ferme décidément la bouche à nos adversaires, c’est que l’Église latine elle aussi, à laquelle ils prétendent s’en rapporter, ne se dispense pas, après les paroles du Seigneur, de prier pour les oblats. Un détail leur échappe, c’est que les Latins ne formulent pas cette prière immédiatement après les paroles (du Christ) et qu’ils ne demandent pas expressément la consécration et la transformation (des oblats) au corps du Seigneur ; mais ils emploient d’autres expressions qui ont la même portée et une signification identique.

2. Quelle est leur prière ? « Ordonne que ces dons soient portés par les mains de ton ange à ton autel supracéleste. »

3. Qu’ils me disent donc ce que veut dire l’expression : « que les dons soient portés ».

4. Ou bien ils sollicitent pour les oblats une translation locale, de la terre et des régions inférieures jusqu’au ciel ; ou bien une élévation de dignité, une transformation d’un état humble à un état éminent.

5. Dans le premier cas, quelle utilité y a-t-il pour nous à demander que soient emportées loin de nous les saintes espèces, que nos prières et notre foi nous assurent être chez nous et demeurer en nous, puisque c’est en cela même que consiste « la permanence du Christ avec nous jusqu’à la consommation des temps"« ? Et, s’ils reconnaissent que c’est le corps du Christ, comment peuvent-ils ne pas croire qu’il est tout à la fois et en nous et supracéleste, et qu’il est assis à la droite du Père d’une manière que, lui, il connaît ? Comment, ce qui n’est pas encore supracéleste serait-il le corps même du Christ, lequel est supracéleste ? Et comment pourra être emporté en haut, de la main d’un ange, ce qui est célébré comme étant au-dessous de toute autorité, de toute puissance, de toute domination, de tout nom ?

6. Si, au contraire, c’est une élévation de dignité que (cette prière latine) sollicite en même temps que leur transformation en une réalité supérieure, je ne vois pas comment ils échapperont à une monstreuse impiété, ceux qui, reconnaissant déjà la présence du corps du Christ, croient pourtant que cette réalité va passer à quelque chose de meilleur et de plus saint.

7. De toute évidence, les Latins savent donc fort bien que le pain et le vin n’ont pas encore reçu la consécration : c’est pourquoi ils prient pour ces oblats comme pour des éléments qui ont encore besoin de prières et ils demandent que ces oblats, comme se trouvant encore en bas, soient emportés en haut ; que, comme offrandes non encore offertes, ils soient portés à l’autel pour y devenir sacrifice. Et il est besoin d’une main angélique, en ce sens que, pour emprunter les expressions du divin Denys1, la première hiérarchie, la hiérarchie angélique, vient au secours de la seconde, la hiérarchie humaine.

8. Cette prière ne peut signifier rien d’autre pour les oblats que leur transformation au corps et au sang du Seigneur. L’autel en question ne doit pas être imaginé comme un lieu réservé à Dieu et situé au-dessus du ciel, un lieu où il faut offrir le sacrifice. S’il en était ainsi, nous ne différerions pas beaucoup de ceux qui disent que le lieu où il faut adorer Dieu se trouve à Jérusalem ou sur la mon tagne de Samarieb. Mais puisque, selon la parole du bien heureux Paul, « il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ0 », tout ce qui opère la médiation, tout ce qui nous confère la sanctification, c’est le Sauveur, lui seul. Or, quelles sont les choses qui opèrent la médiation et qui sanctifient ? Ce sont : le prêtre, la victime, l’autel. Car, suivant la parole du Seigneur, l’autel aussi sanctifie l’immolation : « L’autel, dit-il, sanctifie l’offrande11. »

9. Puisque c’est le Christ seul qui sanctifie, seul il peut être et le prêtre et la victime et l’autel.

10. Qu’il soit le prêtre et la victime, lui-même l’a dit : « Je me sacrifie moi-même pour eux. »

11. Qu’il soit aussi l’autel, le très saint Denys l’atteste dans son Traité sur le Chrême : « Si notre divin autel est Jésus, celui qui est la divine consécration des esprits célestes, en qui nous-mêmes, selon les termes de l’auteur, consacrés et mystiquement offerts en holocauste, nous bénéficions d’une présentation (à Dieu), contemplons avec des yeux tout spirituels cet autel divin. »

12. Le prêtre prie pour que les oblats soient transportés jusqu’à cet autel supracéleste, c’est-à-dire pour qu’ils soient consacrés, transformés au corps supracéleste lui-même du Seigneur sans changer de lieu et sans être passés de la terre au ciel, puisque nous continuons à les voir parmi nous et, même après la prière, tout aussi bien.

13. Puisque l’autel sanctifie les offrandes qu’on y a mises, demander pour les oblats d’être placés sur l’autel, c’est la même chose que de demander leur sanctification.

14. Or, quelle est la sanctification que confère l’autel ? C’est celle des offrandes qui y ont été placées, celle dont le (divin) prêtre s’est sanctifié lui-même’2 par le fait d’être offert à Dieu et immolé.

15. Puisque c’est le même (Christ) qui est prêtre, autel et victime, c’est la même chose pour les oblats d’être consacrés par ce prêtre, d’être transformés en cette victime et d’être transportés à cet autel supracéleste. Si donc, prenant à part l’un de ces trois faits vous en sollicitiez la réalisation, vous avez en fait sollicité le tout, vous possédez ce que vous demandiez, vous avez accompli le sacrifice.

16. Vos prêtres, considérant le Christ comme victime, demandent pour les oblats qu’ils soient placés en lui : c’est, par des expressions et des formules différentes, demander absolument la même chose que nous. Voilà pourquoi nos prêtres à nous, après avoir sollicité la transformation des oblats au corps et au sang divins, ayant fait mention de l’autel supracéleste, ne demandent plus que les oblats y soient transportés ; mais, puisqu’ils y ont déjà été portés et reçus, ils demandent que nous soient envoyés en retour la grâce et le don du Saint-Esprit. « Prions, dit (le diacre), pour les dons consacrés1. » Pour qu’ils soient consacrés ? Nullement, car ils le sont déjà ; mais afin qu’ils deviennent sanctifiants pour nous : afin que Dieu, qui les a sanctifiés, nous sanctifie nous-mêmes par eux.

17. Il est donc manifeste que mépriser la prière pour les oblats après les paroles du Sauveur, n’est point le fait de l’Église latine en général, mais seulement de quelques rares novateurs, qui lui ont causé des dommages sur d’autres points encore : ce sont des gens qui n’ont d’autre passe- temps que « de dire ou d’écouter quelque chose de nouveau. ».

18. Et voilà pour la prière (eucharistique).