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Jeudi de la 2ème semaine de Carême

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1960.


Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

Textes de la Messe

Feria Quinta
Jeudi de la deuxième semaine de Carême
III Classis
3 ème Classe
Statio ad S. Mariam trans Tiberim
Station à Ste Marie au-delà du tibre
Ant. ad Introitum. Ps. 69, 2 et 3.Introït
Deus, in adiutórium meum inténde : Dómine, ad adiuvándum me festína : confundántur et revereántur inimíci mei, qui quærunt ánimam meam.Dieu, venez à mon aide ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir. Qu’ils soient confondus et couverts de honte, ceux qui cherchent à m’ôter la vie.
Ps. ibid., 4.
Avertántur retrórsum et erubéscant : qui cógitant mihi mala.Qu’ils reculent en arrière et soient dans la confusion, ceux qui me veulent du mal.
V/.Glória Patri.
Oratio.Collecte
Præsta nobis, quǽsumus, Dómine, auxílium grátiæ tuæ : ut, ieiúniis et oratiónibus conveniénter inténti, liberémur ab hóstibus mentis et córporis. Per Dóminum.Daignez, Seigneur, nous accorder le secours de votre grâce, afin que, persévérant comme il convient dans le jeûne et la prière, nous soyons délivrés des ennemis de l’âme et du corps. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Léctio Ieremíæ Prophétæ.Lecture du Prophète Jérémie.
Ier. 17, 5-10.
Hæc dicit Dóminus Deus : Maledíctus homo, qui confídit in hómine, et ponit carnem bráchium suum, et a Dómino recédit cor eius. Erit enim quasi myrícæ in desérto, et non vidébit, cum vénerit bonum : sed habitábit in siccitáte in desérto, in terra salsúginis et inhabitábili. Benedíctus vir, qui confídit in Dómino, et erit Dóminus fidúcia eius. Et erit quasi lignum, quod transplantátur super aquas, quod ad humórem mittit radíces suas : et non timébit, cum vénerit æstus. Et erit fólium eius víride, et in témpore siccitátis non erit sollícitum, nec aliquándo de sinet fácere fructum. Pravum est cor ómnium et inscrutábile : quis cognóscet illud ? Ego Dóminus scrutans cor, et probans renes : qui do unicuique iuxta viam suam, et iuxta fructum adinventiónum suárum : dicit Dóminus omnípotens.Ainsi parle le Seigneur Dieu : Maudit soit l’homme qui se confie dans l’homme, qui se fait un bras de chair, et dont le cœur se retire du Seigneur. Il sera comme les bruyères dans le désert, et il ne verra pas arriver le bonheur ; mais il habitera au désert dans la sécheresse, dans une terre de sel et inhabitable, Béni soit l’homme qui se confie dans le Seigneur, et dont le Seigneur est l’espérance, il sera comme un arbre transplanté près des eaux qui étend ses racines vers l’humidité, et qui ne craint pas la chaleur lorsqu’elle est venue. Son feuillage sera toujours vert ; il ne sera point en peine au temps de la sécheresse, et il ne cessera jamais de porter du fruit. Le cœur de tous les hommes est mauvais et impénétrable ; qui pourra e connaître ? Moi, le Seigneur, je sonde le cœur, et j’éprouve les reins ; je rends à chacun selon sa voie et selon le fruit de ses pensées, dit le Seigneur tout-Puissant.
Graduale. Ps. 78, 9 et 10.Graduel
Propítius esto, Dómine, peccátis nostris : ne quando dicant gentes : Ubi est Deus eórum ?Seigneur, pardonnez-nous nos péchés : de peur qu’on ne dise parmi les nations : Où est leur Dieu ?
V/. Adiuva nos, Deus, salutáris noster : et propter honórem nóminis tui, Dómine, líbera nos.Aidez-nous, ô Dieu, notre Sauveur, et pour la gloire de votre nom, Seigneur, délivrez-nous.
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Lucam.Lecture du Saint Evangile selon saint Luc.
Luc. 16, 19-31.
In illo témpore : Dixit Iesus Pharisǽis : Homo quidam erat dives, qui induebátur púrpura et bysso : et epulabátur cotídie spléndide. Et erat quidam mendícus, nómine Lázarus, qui iacébat ad iánuam eius, ulcéribus plenus, cúpiens saturári de micis, quæ cadébant de mensa dívitis, et nemo illi dabat : sed et canes veniébant et lingébant úlcera eius. Factum est autem, ut morerétur mendícus, et portarétur ab Angelis in sinum Abrahæ. Mórtuus est autem et dives, et sepúltus est in inférno. Elevans autem óculos suos, cum esset in torméntis, vidit Abraham a longe, et Lázarum in sinu eius : et ipse clamans, dixit : Pater Abraham, miserére mei, et mitte Lázarum, ut intíngat extrémum dígiti sui in aquam, ut refrígeret linguam meam, quia crúcior in hac flamma. Et dixit illi Abraham : Fili, recordáre, quia recepísti bona in vita tua, et Lázarus simíliter mala : nunc autem hic consolátur, tu vero cruciáris. Et in his ómnibus, inter nos et vos chaos magnum firmátum est : ut hi, qui volunt hinc transíre ad vos, non possint, neque inde huc transmeáre. Et ait : Rogo ergo te, pater, ut mittas eum in domum patris mei. Hábeo enim quinque fratres, ut testétur illis, ne et ipsi véniant in hunc locum tormentórum. Et ait illi Abraham : Habent Móysen et Prophétas : áudiant illos. At ille dixit : Non, pater Abraham : sed si quis ex mórtuis íerit ad eos, pæniténtiam agent. Ait autem illi : Si Móysen et Prophétas non áudiunt, neque si quis ex mórtuis resurréxerit, credent.En ce temps-là, Jésus dit aux Pharisiens : Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de lin, et qui faisait chaque jour une chère splendide. Il y avait aussi un mendiant, nommé Lazare, qui était couché à sa porte, couvert d’ulcères, désirant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait ; mais les chiens venaient aussi, et léchaient ses plaies. Or il arriva que le mendiant mourut, et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli dans l’enfer. Et levant les yeux, lorsqu’il était dans les tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein ; et s’écriant, il dit : Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu’il trempe l’extrémité de son doigt dans l’eau, pour rafraîchir ma langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. Mais Abraham lui dit : Mon fils, souviens-toi que tu as reçu les biens pendant ta vie, et que Lazare a reçu de même les maux ; or maintenant il est consolé, et toi, tu es tourmenté. De plus, entre nous et vous un abîme a été établi ; de sorte que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous, où de là venir ici, ne le peuvent pas. Le riche dit : Je vous supplie donc, père, de l’envoyer dans la maison de mon père ; car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste ces choses, de peur qu’ils ne viennent eux aussi, dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent. Et il reprit : Non, père Abraham ; mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quand même quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne croiront pas.
Ant. ad Offertorium. Exodi 32, 11, 13 et 14.Offertoire
Precátus est Móyses in conspéctu Dómini, Dei sui, et dixit : Quare, Dómine, irascéris in pópulo tuo ? parce iræ ánimæ tuæ : meménto Abraham, Isaac et Iacob, quibus iurásti dare terram fluéntem lac et mel. Et placátus est Dóminus de malignitáte, quam dixit fácere pópulo suoMoïse pria en la présence du Seigneur son Dieu et dit : Pourquoi, Seigneur, êtes-vous irrité contre votre peuple ? Revenez de votre colère. Souvenez-vous d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob auxquels vous avez juré de donner la terre où coulent le lait et le miel. Et le Seigneur s’apaisa, et il ne fit point de mal qu’il avait parlé de faire à son peuple.
Secreta.Secrète
Præsénti sacrifício, nómini tuo nos, Dómine, ieiúnia dicáta sanctíficent : ut, quod observántia nostra profitétur extérius, intérius operétur efféctu. Per Dóminum.Que les jeûnes consacrés par le présent sacrifice à la gloire de votre nom, nous sanctifient, Seigneur, en sorte que ce que nous témoignons extérieurement vouloir faire en les observant, s’accomplisse intérieurement quant à leur effet en nos âmes. Par N.-S
Præfatio de Quadragesima. Préface du Carême .
Ant. ad Communionem. Ioann. 6, 57.Communion
Qui mandúcat meam carnem, et bibit meum sánguinem, in me manet, et ego in eo, dicit Dóminus.Celui qui mange ma chair, et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui, dit le Seigneur.
Postcommunio.Postcommunion
Grátia tua nos, quǽsumus, Dómine, non derelínquat : quæ et sacræ nos déditos fáciat servitúti, et tuam nobis opem semper acquírat. Per Dóminum.Nous vous en supplions, Seigneur, que votre grâce ne nous fasse point défaut, qu’elle nous attache à votre saint service et qu’elle nous procure toujours votre secours. Par Notre-Seigneur.
Super populum : Orémus. Humiliáte cápita vestra Deo.Sur le peuple : Prions. Humiliez vos têtes devant Dieu.
Oratio.Prière
Adésto, Dómine, fámulis tuis, et perpétuam benignitátem largíre poscéntibus : ut iis, qui te auctóre et gubernatóre gloriántur, ei congregáta restáures et restauráta consérves. Per Dóminum.Assistez, Seigneur, vos serviteurs et accordez-leur les incessantes marques de votre bonté qu’ils sollicitent, de sorte qu’en ceux qui se glorifient de vous avoir pour créateur et pour guide, vous restauriez les bons éléments que vous y aviez réunis et conserviez ce que vous aurez restauré. Par Notre-Seigneur.

Office

A MATINES

Ex more docti mýstico (matines du Carême)

Lectio i1ère leçon
Léctio sancti Evangélii secúndum Lucam.Lecture du saint Évangile selon saint Luc.
Cap. 16, 19-31
In illo témpore : Dixit Iesus pharisǽis : Homo quidam erat dives, qui induebátur púrpura et bysso : et epulabátur quotídie spléndide. Et réliqua.En ce temps-là, Jésus dit aux Pharisiens : Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de lin, et qui faisait chaque jour une chère splendide. Et le reste. [1]
Homilía sancti Gregórii PapæHomélie de saint Grégoire, pape
Homilía 40 in Evang.
Quem, fratres caríssimi, quem dives iste, qui induebátur púrpura et bysso, et epulabátur quotídie spléndide, nisi Iudáicum pópulum signat : qui cultum vitæ extérius hábuit, qui accéptæ legis delíciis ad nitórem usus est, non ad utilitátem ? Quem vero Lázarus ulcéribus plenus, nisi Gentílem pópulum figuráliter éxprimit ? Qui dum convérsus ad Deum peccáta confitéri sua non erúbuit, huic vulnus in cute fuit. In cutis quippe vúlnere virus a viscéribus tráhitur, et foras erúmpit.Que signifie, frères très chers, que signifie ce riche « qui s’habillait de pourpre et de linge fin et faisait chaque jour des festins splendides », sinon le peuple juif qui eut extérieurement un culte de vie ; qui se servit des délices de la loi reçue pour s’en faire gloire et non pour agir ? Et Lazare, couvert d’ulcères, qu’exprime-t-il en figure, sinon le peuple des nations ? S’étant converti à Dieu, il n’a pas rougi de confesser ses péchés, ce lui fut une lésion sur la peau. Car le virus est attiré des organes internes et se déclare au-dehors par une lésion de la peau.
R/. Tolle arma tua, pháretram et arcum, et affer de venatióne tua, ut cómedam : * Et benedícat tibi ánima mea.R/. Prends tes armes [2], ton carquois et ton arc, et apporte-moi de ta chasse afin que je mange. *
V/. Cumque venatu áliquid attúleris, fac mihi inde pulméntum, ut cómedam.V/. Quand à la chasse tu auras pris quelque chose, fais-m’en un mets, afin que je mange.
R/. Et benedícat tibi ánima mea.R/. Et que mon âme te bénisse.
Lectio ii2e leçon
Quid est ergo peccatórum conféssio, nisi quædam vúlnerum rúptio ? Quia peccáti virus salúbriter aperítur in confessióne, quod pestífere latébat in mente. Vúlnera étenim cutis in superfíciem trahunt humórem putrédinis. Et confiténdo peccáta, quid áliud ágimus, nisi malum, quod in nobis latébat, aperímus ? Sed Lázarus vulnerátus cupiébat saturári de micis, quæ cadébant de mensa dívitis, et nemo illi dabat : quia Gentílium quemque ad cognitiónem legis admíttere supérbus ille pópulus despiciébat.Qu’est donc la confession des péchés sinon une sorte d’ouverture des lésions ? Parce que le virus du péché se déclare salutairement par la confession alors qu’il couvait pernicieusement dans l’âme. Car, les lésions de la peau attirent en surface l’humeur putride. Et, en confessant nos péchés) que faisons-nous d’autre que de déclarer le mal qui couvait en nous ? Mais Lazare, couvert de plaies, « aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; et personne ne le lui offrait. » Car ce peuple superbe dédaignait d’admettre un païen à la connaissance de la loi.
R/. Ecce odor fílii mei sicut odor agri pleni, cui benedíxit Dóminus : créscere te fáciat Deus meus sicut arénam maris : * Et donet tibi de rore cæli benedictiónem.R/. Voici que l’odeur [3] qui s’exhale de mon fils est comme l’odeur d’un champs plein, qu’a béni le Seigneur : que le Seigneur te fasse croître comme le sable de la mer ; *
V/. Deus autem omnípotens benedícat tibi, atque multíplicet.V/. Que le Dieu tout-puissant te bénisse, et qu’il te multiplie.
R/. Et donet tibi de rore cæli benedictiónem.R/. Et qu’il te donne la bénédiction de la rosée du ciel.
Lectio iii3e leçon
Qui dum doctrínam legis non ad caritátem hábuit, sed ad elatiónem, quasi de accéptis ópibus túmuit : et quia ei verba defluébant de sciéntia, quasi micæ cadébant de mensa. At contra, iacéntis páuperis vúlnera lingébant canes. Nonnúmquam solent in sacro elóquio, per canes prædicatóres intélligi. Canum étenim lingua, vulnus dum lingit, curat : quia et doctóres sancti, dum in confessióne peccáti nostri nos ínstruunt, quasi vulnus mentis per linguam tangunt.Puisque la doctrine de la loi portait ce peuple à l’élèvement, non à la charité, il s’enflait comme d’une richesse reçue ; et parce que les paroles débordaient de sa science, elles tombaient comme des miettes de la table. D’autre part, les chiens venaient lécher les plaies de ce pauvre qui gisait là. Souvent, dans le langage sacré, les chiens désignent les prédicateurs ; car la langue des chiens, en léchant une plaie, la guérit. De la même manière, les saints docteurs, quand ils nous instruisent lors de la confession de notre péché, touchent, pour ainsi dire, la plaie de notre âme avec la langue.
R/. Det tibi Deus de rore cæli et de pinguédine terræ abundántiam : sérviant tibi tribus et pópuli : * Esto dóminus fratrum tuórum.R/. Que Dieu te donne de la rosée du ciel [4], et l’abondance des graisses de la terre, que les tribus et les peuples te servent : *
V/. Et incurvéntur ante te fílii matris tuæ.V/. Et que les fils de ta mère se courbent devant toi.
* Esto dóminus fratrum tuórum. Glória Patri. * Esto dóminus fratrum tuórum.* Sois le maître de tes frères. Gloire au Père. * Sois le maître de tes frères.

A LAUDES

O sol salútis, íntimis (laudes du Carême)

Ad Bened. Ant. Fili, recordáre, * quia recepísti bona in vita tua, et Lázarus simíliter mala. Ant. au Bénédictus Fils, souviens-toi * que pendant ta vie, tu as reçu les biens, de même que Lazare les maux.

Benedictus

AUX VÊPRES

Audi, benígne Cónditor (vêpres du Carême)

Ad Magnificat Ant. Dives ille * guttam aquæ pétiit, qui micas panis Lázaro negávit. Ant. au Magnificat Ce riche * demanda une goutte d’eau à Lazare, lui qui lui avait refusé quelques miettes de pains.

Magnificat

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

La Station est aujourd’hui dans la célèbre basilique de Sainte-Marie-au-delà-du Tibre, la première église de Rome consacrée à Marie, dès le IIIe siècle, sous le pontificat de saint Calliste.

LEÇON.

Les lectures de ce jour sont consacrées à fortifier dans nos cœurs les principes de la morale chrétienne. Détournons un instant les yeux du triste spectacle que nous offre la malice des ennemis du Sauveur ; reportons-les sur nous-mêmes, afin de connaître les plaies de nos âmes et d’en préparer le remède. Le prophète Jérémie nous présente aujourd’hui le tableau de deux situations pour l’homme ; laquelle des deux est la nôtre ? Il y a l’homme qui met sa confiance dans un bras de chair, c’est-à-dire qui ne considère sa vie que dans les conditions du présent, qui voit tout dans les créatures, et se trouve par là même entraîné à violer la loi du Créateur. Tous nos péchés sont venus de cette source ; nous avons perdu de vue nos fins éternelles, et la triple concupiscence nous a séduits. Hâtons-nous de revenir au Seigneur notre Dieu : autrement, nous aurions à craindre le sort dont le Prophète menace le pécheur : Quand le bien arrivera, il ne le verra pas. La sainte Quarantaine avance dans son cours ; les grâces les plus choisies se multiplient à chaque heure ; malheur à l’homme qui, distrait par la vaine figure de ce monde qui passe [5], ne s’aperçoit de rien, et demeure, en ces saints jours, stérile pour le ciel, comme la bruyère du désert l’est pour la terre ! Qu’il est grand, le nombre de ces aveugles volontaires, et que leur insensibilité est effrayante ! Enfants fidèles de la sainte Église, priez pour eux, priez sans cesse ; offrez au Seigneur à leur intention les œuvres de votre pénitence, les largesses de votre charité. Chaque année, plusieurs d’entre eux rentrent au bercail, dont la porte leur a été ouverte par les pieux suffrages de leurs frères ; faisons violence à la divine miséricorde.

Le Prophète nous dépeint ensuite l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur, et qui, n’ayant pas d’autre espérance que lui, veille sans cesse à lui être fidèle. C’est un bel arbre au bord des eaux, dont le feuillage est toujours vert, et dont les fruits sont abondants. « Je vous ai établis, dit le Sauveur, afin que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure [6]. » Devenons cet arbre béni et toujours fécond. L’Église, en ce saint temps, répand sur ses racines l’eau de la componction ; laissons agir cette eau bienfaisante. Le Seigneur pénètre nos cœurs ; il sonde nos désirs de conversion ; et, quand la Pâque sera venue, « il rendra à chacun selon sa voie ».

ÉVANGILE.

Nous voyons dans ce récit la sanction des lois divines, le châtiment du péché ; combien le Seigneur nous y apparaît redoutable ! et « qu’il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ! » Un homme est aujourd’hui dans le repos, dans les jouissances, dans la sécurité ; l’inévitable mort vient fondre sur lui, et le voilà enseveli tout vivant dans l’enfer. Haletant au milieu des flammes éternelles, il implore une goutte d’eau, et cette goutte d’eau lui est refusée. D’autres hommes, ses semblables, qu’il a vus de ses yeux, il y a peu d’heures, sont dans un autre séjour, dans le séjour d’une félicité éternelle, et un immense abîme le sépare d’eux pour jamais. Sort effroyable ! Désespoir sans fin ! Et des hommes, sur la terre, vivent et meurent souvent sans avoir un seul jour sondé cet abîme, même de leur simple pensée ! Heureux donc ceux qui craignent ! Car cette crainte peut les aider à soulever le poids qui les entraînerait dans le gouffre sans fond. Quelles épaisses ténèbres le péché a répandues dans l’âme de l’homme ! Des gens sages, prudents, qui ne commettront jamais une faute dans la gestion de leurs affaires de ce monde, sont insensés, stupides, quand il s’agit de l’éternité. Quel affreux réveil ! Et le malheur est sans remède. Afin de rendre la leçon plus efficace, le Sauveur ne nous a pas raconté la réprobation d’un de ces grands scélérats dont les crimes font horreur, et que les mondains eux-mêmes regardent comme la proie de l’enfer ; il nous représente un de ces hommes tranquilles, d’un commerce aimable, faisant honneur à leur position. Ici, point de forfaits, point d’atrocités ; le Sauveur nous dit simplement qu’il était vêtu avec luxe, qu’il faisait tous les jours bonne chère. Il y avait bien un pauvre mendiant à sa porte ; mais il ne le maltraitait pas ; il eût pu le chasser plus loin ; il le souffrait sans insulter à sa misère. Pourquoi donc ce riche sera-t-il dévoré éternellement par les ardeurs de ce feu que Dieu a allumé dans sa colère ? C’est parce que l’homme qui vit dans le luxe et la bonne chère, s’il ne tremble pas à la pensée de l’éternité, s’il ne comprend pas qu’il doit « user de ce monde comme n’en usant pas [7] », s’il est étranger à la croix de Jésus-Christ, est déjà vaincu par la triple concupiscence. L’orgueil , l’avarice, la luxure, se disputent son cœur, et finissent par y dominer d’autant plus qu’il ne songe pas même à rien faire pour les abattre. Cet homme ne lutte pas : c’est qu’il est vaincu ; et la mort s’est établie dans son âme. Il ne maltraite pas le pauvre ; mais il se souviendra trop tard que le pauvre est plus que lui, et qu’il fallait l’honorer et le soulager. Ses chiens ont eu plus d’humanité que lui ; et voilà pourquoi Dieu l’a laissé s’endormir jusqu’au bord de l’abîme où il doit tomber. Dira-t-il qu’il n’a pas été averti ? Il avait Moïse et les Prophètes ; plus que cela, il avait Jésus et son Église. Il a en ce moment la sainte Quarantaine qui a été annoncée pour lui ; mais se donne-t-il la peine de savoir même ce que c’est que ce temps de grâce et de pardon ? Il l’aura traversé sans s’en être douté ; mais il aura en même temps fait un pas de plus vers l’éternel malheur.

Terminons aujourd’hui l’Hymne de Prudence que nous avons suivie avec tant d’intérêt depuis plusieurs jours.

HYMNE.
Hoc nos sequamur quisque nunc pro viribus,
Quod consecrati tu magister dogmatis
Tuis dedisti, Christe, sectatoribus ;
Ut quum vorandi vicerit libidinem,
Late triumphet imperator spiritus.
Puissions-nous, ô Christ ! ô Maître de la doctrine sacrée ! imiter selon nos forces l’exemple que tu donnas à tes disciples, afin que, victorieuse des appétits brutaux, notre âme, devenue maîtresse, triomphe dans tout son empire.
Hoc est, quod atri livor hostis invidet,
Mundi, polique quod gubernator probat,
Altaris aram quod facit placabilem,
Quod dormientis excitat cordis fidem,
Quod limat ægram pectorum rubiginem.
C’est là ce que nous envie la noire jalousie de notre adversaire ; c’est là ce qui plaît au Maître souverain de la terre et des cieux, ce qui rend propice l’autel mystérieux, ce qui réveille la foi d’un cœur qui s’endormait, ce qui enlève la rouille d une âme languissante.
Perfusa non sic amne flamma exstinguitur,
Nec sic calente sole, tabescunt nives,
Ut turbidarum scabra culparum seges
Vanescit almo trita sub jejunio,
Si blanda semper misceatur largitas.
Comme la flamme s’éteint sous les eaux qu’elle rencontre, comme la neige se fond sous un ardent soleil ; ainsi la triste moisson de nos péchés s’anéantit broyée par le jeûne sacré, quand l’aumône vient y joindre sa bienveillance.
Est quippe et illud grande virtutis genus
Operire nudos, indigentes pascere,
Opem benignam ferre supplicantibus,
Unam, paremque sortis humanæ vicem
Inter potentes, atque egenos ducere.
Car c’est aussi une grande œuvre de vertu de couvrir celui qui est nu, de repaître l’indigent, de porter aux suppliants un bienfaisant secours, de reconnaître une seule et même destinée humaine entre le pauvre et le puissant.
Satis beatus quisque dextram porrigit
Laudis rapacem, prodigam pecuniæ,
Cujus sinistra dulce factum nesciat.
Illum perennes protinus complent opes.
Ditatque fructus fœnerantem centuplex.
Assez heureux est celui qui, ravissant la vraie gloire, étend sa main droite pour prodiguer l’argent, tandis que sa main gauche ignore ce bienfait. Un trésor éternel est là pour le dédommager ; il prête, et ce qu’il avance lui rendra au centuple.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Collecte à Saint-Chrysogone.
Station à Sainte-Marie au delà du Tibre.

La basilique de Saint-Chrysogone au Transtévère s’élève sur l’emplacement de l’habitation de ce martyr, dont les salles furent transformées en sanctuaire ou en hypogée sous l’autel majeur. Ce temple prétend remonter à Constantin, et le culte de saint Chrysogone était très célèbre à Rome au IVe siècle, à ce point que son nom se trouve encore dans les diptyques du canon romain.

La basilique stationnale transtévérine de la Vierge est une des plus antiques de la Ville, et peut être considérée comme une continuation et une extension du titulus Callisti qui s’élève à côté.

Nous savons en effet par Lampride que, par une sentence légale, Alexandre Sévère maintint les chrétiens en possession d’un lieu de réunion au Transtévère, possession qui leur était contestée par les tenanciers de la Taberna emeritoria. Or, d’anciens documents identifient ce lieu avec le titre de Callixte, duquel, en toute rigueur, l’on distinguerait l’actuelle basilica Iulii, érigée par le pape Jules Ier iuxta Callistum. Mais les deux édifices étaient si voisins qu’au moyen âge ils formèrent un seul corps de bâtiment, et que précédemment, l’emplacement avait été intitulé, du nom du premier fondateur, Area Callisti.

Une ancienne tradition veut que Callixte, jeté dans un puits, ait consommé précisément ici son martyre. Dans son libelle contre le pape Callixte, Hippolyte tait complètement ce détail. Pourtant il est démontré souverainement probable par le fait que le Pontife fut enterré sur la voie Aurélia, dans le cimetière de Callépode, contrairement à l’usage papal du IIIe siècle, qui voulait qu’il fût enseveli dans le vaste cimetière que Callixte lui-même avait fait agrandir sur la voie Appia, et qui, pour cette raison, porte son nom. De graves raisons durent conseiller cette mesure, et peut-être ne s’éloignerait-on pas de la vérité, en pensant que le Pape, très connu au Transtévère avant même son admission dans le clergé, aura péri victime d’une émeute populaire, et que l’agitation des païens aura déterminé les fidèles à déposer son corps dans le cimetière voisin, sur la voie Aurélia, car il aurait semblé trop risqué en ce jour de faire son transport funèbre jusqu’au second mille de la voie Appia.

Le corps de Callixte, uni à ceux du prêtre martyr Callépode et du pape Jules Ier, repose maintenant sous l’autel majeur de la splendide basilique de la Vierge où se célèbre aujourd’hui la station.

L’introït est pris du psaume 69, si cher aux anciens Pères du désert, qui en récitaient très souvent le verset initial en guise d’oraison jaculatoire avant toute action de la journée, en toute tentation, devant tout péril : « Levez-vous, ô Dieu, à mon aide ; hâtez-vous de me porter secours ; que mes ennemis soient confus et couverts de honte. »

Dans la prière, nous supplions Dieu, afin que, adonnés comme il convient à la prière et à l’abstinence, nous puissions tenir loin de nous cette terrible engeance des démons qui, selon la parole évangélique, ne peut se chasser précisément que oratione et ieiunio.

La lecture de Jérémie (XVII, 5-10) prépare la parabole évangélique du mauvais riche. Ici aussi se trouvent en regard deux sortes de personnes : celles qui cherchent leur paradis en ce monde et placent leur espérance dans la chair et dans les plaisirs de la vie ; et celles qui s’appuient, comme sur une colonne inébranlable, sur le bras du Seigneur. Qui s’appuie à la chair pourrira avec la chair, tandis que celui qui espère dans le Seigneur ne sera jamais confondu.

Le répons-graduel Propitius est celui de la Ire lecture de la Pannuchis dominicale après les Quatre-Temps de Carême.

Si le souvenir de la Taberna Emeritoria a suggéré aujourd’hui le choix de la parabole du mauvais riche, l’application ne pouvait en être plus à propos. A l’égal de ceux qui, au dire de l’Apôtre, se font un Dieu de leur ventre, les païens passent leur vie plongés dans l’abondance de tout bien sensuel, tandis que la famille chrétienne, déshéritée le plus souvent des biens temporels, va, déchirée, affligée, jeûnant, et toute courbée sous le poids de la croix.

Voilà l’histoire de l’Église durant ses dix-neuf siècles et plus. Elle est une greffe de la Croix de Jésus, et il ne peut se faire que la vie chrétienne change de nature et soit heureuse selon le monde. Mais le dernier jour viendra rétablir la justice foulée aux pieds. Lazare est porté par les anges dans le sein d’Abraham, tandis que le mauvais riche orgueilleux est enseveli dans l’enfer.

L’antienne de l’offertoire est celle du XIIe dimanche après la Pentecôte ; mais le texte seul, quelque sublime qu’il soit, ne dit pas tout et il faut l’entendre, revêtu des mélodies de la Schola grégorienne : « Moïse se tenant devant son Dieu, se mit a le conjurer : « Pourquoi, Seigneur, êtes-vous irrité contre votre » peuple ? Retenez votre colère et souvenez-vous d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, auxquels vous avez promis avec serment » de leur accorder une terre sur laquelle couleraient le lait et le » miel. » Et l’indignation du Seigneur s’apaisa, alors qu’elle était prête à se décharger sur son peuple... » Ce texte (Exod., XXXII) est très important, même au point de vue théologique, puisqu’il démontre contre les protestants avec quelle efficacité sont invoqués par les fidèles les mérites des saints, pour se rendre propice la miséricorde divine.

L’Évangile avait rappelé au mauvais riche Moïse et les prophètes à qui il convient de prêter foi, sans attendre de nouveaux prodiges de morts venant nous apporter des nouvelles de l’enfer ; et voici que Grégoire II trouve un gracieux moyen d’introduire également le souvenir de ces anciens patriarches dans l’offertoire.

La collecte sur les offrandes a toujours en vue le but de sacrifice stationnal, qui est celui de consacrer le jeûne. Aussi à Rome dès l’antiquité, le principe prévalut-il, qu’il n’y eût pas de jeûne sans que sa cessation en fût sanctifiée par l’oblation eucharistique. Messe et jeûne sont comme deux termes corrélatifs. La messe indique toujours la cessation du jeûne — aussi durant le jeûne ne célèbre-t-on pas le banquet eucharistique — mais on ne conçoit pas un jeûne ne se terminant pas par la Messe.

La collecte d’aujourd’hui reflète fort bien cette conception des anciens : « Que par les mérites de ce sacrifice les jeûnes entrepris en votre honneur opèrent notre sanctification, afin qu’intérieurement s’accomplisse dans l’âme ce qu’à l’extérieur nous exprimons par ces rites. »

L’antienne ad Communionem, comme il arrive souvent en ces messes de Grégoire II, est tirée de l’Évangile ; pourtant, contrairement à la règle, elle provient d’une péricope tout à fait différente de celle qui a été lue aujourd’hui à la messe. C’est une antienne eucharistique : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeurera en moi et moi en lui, dit le Seigneur. » (Ioan., VI.)

Dans la collecte après la communion nous prions Dieu de ne pas nous laisser manquer de sa grâce, afin que nous nous appliquions toujours plus volontiers au service divin, et que nous en ressentions ces effets salutaires que l’on peut attendre du contact intime avec Dieu.

La bénédiction finale sur le peuple se propose d’obtenir du Seigneur qu’il accepte avec bienveillance les supplications de ses fidèles ; et, puisque ceux-ci se glorifient d’être l’œuvre de ses mains, et d’être gouvernés par sa Providence, que cette même Providence répare donc les défauts de la famille chrétienne, et, l’ayant renouvelée selon la plénitude de son type, qu’elle la conserve perpétuellement telle, une, sainte, catholique et apostolique dans la charité divine.

Le mauvais riche vient de mourir, et il est enseveli dans l’enfer ! Quel sujet de terreur pour tous ceux qui trouvent leur bonheur dans les jouissances de la vie mondaine ! Recepisti bona in vita tua. Voilà la part que la justice divine réserve à Ésaü et à ceux qui, sans se rendre indignes de la vie éternelle en raison de leurs fautes, attendent une récompense temporelle quelconque du peu de vertus ou du peu de bien qu’ils auront à leur actif.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

STATION A SAINTE MARIE DU TRANSTEVERE

Le riche, qui refusa à Lazare un morceau de pain, dut implorer une goutte d’eau.

La messe d’aujourd’hui est nettement une messe de pénitents. La pensée principale est claire et précise. L’Église montre les deux voies : la voie de la vie et la voie de la mort.

1. Le thème des pénitents. — Transportons-nous dans l’Église primitive. Nous apercevons une troupe de pénitents, vêtus d’habits en poil de chèvre, agenouillés, pleins de repentir et de componction. Jusqu’à l’Évangile, ils sont autorisés à demeurer dans la maison de Dieu, mais ensuite ils sont renvoyés. Ils n’ont pas droit de s’asseoir à la table du Père de famille. Devant la porte de l’église, ils implorent une goutte d’eau pour rafraîchir leur langue. C’est dans ce sens que nous entendons la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, c’est ainsi également qu’il faut entendre la double image de la leçon. L’Église, dans ces deux lectures, caractérise le ciel et l’enfer dans l’autre monde et le ciel et l’enfer ici-bas.

Le ciel et l’enfer dans l’autre monde. — L’image du ciel, c’est Lazare dans le sein d’Abraham. L’image de l’enfer, c’est le mauvais riche dans les tourments, la langue desséchée, implorant une goutte d’eau fraîche ; c’est aussi l’arbre du désert desséché et aride.

Le ciel et l’enfer ici-bas. — Le ciel sur la terre, c’est la filiation divine, la vie dans le sein de l’Église avec la consolation et le rafraîchissement mystérieux des sacrements. C’est le ciel, alors même que la vie extérieure serait aussi misérable que celle du mendiant Lazare. L’enfer sur la terre, c’est d’être exclu de l’Église, séparé de la source de la vie divine. L’âme de celui qui est dans cet enfer terrestre ressemble au mauvais riche tourmenté par la soif, à l’arbre desséché du désert. — C’est l’état actuel des pénitents.

L’Église chante les antiennes suivantes au commencement et à la fin du jour : « Songe, mon fils, que tu as eu du bonheur dans ta vie, mais que Lazare n’a eu que du malheur » (Ant. Ben.). « Ce riche implorait une goutte d’eau, lui qui avait refusé à Lazare un morceau de pain » (Ant. Magn.).

Nous allons vivre, aujourd’hui, la parabole du mauvais riche. Remarquons que la liturgie dirige surtout nos pensées vers le mauvais riche. Dès le matin, il nous semble que nous sommes le mauvais riche dans l’enfer et que nous entendons les douces paroles de reproche du Christ. Le soir, on nous montre la dureté impitoyable du mauvais riche, mais, en même temps, son terrible châtiment. Ce passage nous présente une belle antithèse, comme le remarque le pape saint Grégoire dans son livre de Morale (1 Mor. I, 18, c. 19 et 30).

2. Thème de la station. — L’église de station, Sainte-Marie au-delà du Tibre, une des plus anciennes églises mariales de Rome, se trouvait dans le grand quartier juif de l’antique Rome. C’est cette circonstance qui a déterminé le choix de l’Évangile du mauvais riche et du pauvre Lazare. Dans l’Église primitive, on voyait volontiers dans le mauvais riche l’image du peuple juif, alors que le pauvre Lazare était le symbole du peuple chrétien formé de petites gens. Saint Grégoire donne la même interprétation dans l’homélie d’aujourd’hui. « Que représente, mes frères, ce riche vêtu de pourpre et de soie... si ce n’est le peuple juif qui s’adonna au soin extérieur de la vie terrestre ?... Et que signifie le pauvre Lazare tout couvert d’ulcères, sinon le peuple des païens ? » Les blessures purulentes signifient la confession des péchés. « En confessant nos péchés, que faisons-nous autre chose que de découvrir le mal qui est en nous ? »

3. La messe (Deus in adjutorium). — Le psaume d’Introït (69) se récite, encore aujourd’hui, à la fin des litanies des saints. C’est donc la véritable conclusion d’une procession de station et, en même temps, une belle transition du monde pécheur au sanctuaire. Nous nous sentons, comme le pauvre Lazare, à la porte d’entrée du vrai et bon riche : le Christ.

L’oraison demande que le jeûne et la prière triomphent des ennemis de l’âme et du corps.

Les deux lectures forment un parallèle voulu, et nous montrent les deux camps : le bien et le mal. Dans la leçon nous entendons Jérémie, le prédicateur du Carême : « Maudit soit le méchant qui met sa confiance dans le monde, il ressemble à l’arbre aride du désert ; béni soit le bon, il ressemble à l’arbre vert, planté sur les bords du ruisseau. » L’image de l’arbre est une image très aimée. Sur les anciennes mosaïques, l’olivier et le palmier symbolisent les enfants de Dieu ; les textes liturgiques comparent souvent le juste au palmier, au cèdre, à l’olivier. Le Prophète gémit sur le cœur pervers et inconnaissable de l’homme. Mais ce cœur impénétrable, quelqu’un le pénètre, un seul, celui qui sonde les reins et les cœurs.

Le Graduel est l’écho de la leçon : « Aie pitié, ô Dieu ! »

L’Évangile nous présente la même image dans la magnifique parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare. Cet Évangile peut nous enseigner beaucoup de choses :
- 1. La véritable valeur du malheur et du bonheur terrestres. N’est-ce pas précisément le bonheur et le malheur qui constituent pour beaucoup un terrible écueil ? Nous devons nous rendre compte de ceci : une vie remplie de joie terrestre, de richesse et de jouissance, quelle que soit sa durée et l’abondance de ses plaisirs, n’est qu’un bonheur apparent, si elle doit être suivie de l’enfer éternel ; une vie chargée de privations, de souffrances, de maladies, d’humiliations, est une vie heureuse, si elle conduit à l’éternel bonheur. Deux classes d’hommes, surtout, ont besoin de la protection de la foi : les fortunés et les infortunés du monde. (« Ne me donne pas la richesse, ni la pauvreté, donne-moi juste autant qu’il me faut »). Les premiers chrétiens ne pensaient pas comme les hommes d’aujourd’hui. Ils vivaient dans l’au-delà, ils étaient des étrangers, leur patrie était dans le ciel. Le martyre était la conclusion désirée d’une vie de privations.
- 2. Celui qui n’emploie pas les moyens ordinaires de la foi et de la piété n’a pas à espérer de conversion ; il ne doit pas attendre que Dieu fasse un miracle en sa faveur. « Ils ne croient pas l’Église ; ils ne croiront pas, même si quelqu’un ressuscite des morts. »
- 3. L’Église nous fait jeter un regard sur le triste séjour de l’enfer. Il y a un enfer et il nous menace tous, il me menace, il vous menace. Terrible vérité ! Le Christ ne veut pas nous effrayer, mais nous avertir.

L’Offertoire n’est pas un psaume, mais une prière (comme lundi et mercredi, dans la leçon). Ici, Moïse est l’image du Christ ; Moïse prie pour le peuple infidèle et Dieu se laisse apaiser. Cela se réalise au Saint-Sacrifice : Dieu se laisse toujours apaiser par l’offrande présente de son Fils.

A la communion, nous nous rappelons que c’est aujourd’hui le jour de l’institution de l’Eucharistie. Quelle consolation de réciter le psaume 69 ! « Je suis indigent et pauvre », « il demeure avec moi et moi en lui » (même dans la tentation, toute la vie). La demande du pauvre Lazare est surabondamment exaucée. L’oraison sur le peuple est une belle prière de Carême : Que Dieu créateur et conducteur renouvelle, dans le temps de Carême, le bien de la foi et de la vertu, péniblement acquis au cours de notre vie précédente ; qu’il le renouvelle, mais aussi qu’il le conserve ; que notre travail de conversion soit une œuvre permanente !

[1] Il y avait aussi un mendiant, nommé Lazare, qui était couché à sa porte, couvert d’ulcères, désirant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait ; mais les chiens venaient aussi, et léchaient ses plaies. Or il arriva que le mendiant mourut, et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli dans l’enfer. Et levant les yeux, lorsqu’il était dans les tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein ; et s’écriant, il dit : Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare, afin qu’il trempe l’extrémité de son doigt dans l’eau, pour rafraîchir ma langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. Mais Abraham lui dit : Mon fils, souviens-toi que tu as reçu les biens pendant ta vie, et que Lazare a reçu de même les maux ; or maintenant il est consolé, et toi, tu es tourmenté. De plus, entre nous et vous un abîme a été établi ; de sorte que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous, où de là venir ici, ne le peuvent pas. Le riche dit : Je vous supplie donc, père, de l’envoyer dans la maison de mon père ; car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste ces choses, de peur qu’ils ne viennent eux aussi, dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent. Et il reprit : Non, père Abraham ; mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quand même quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne croiront pas.

[2] Gen. 27, 3

[3] Gen. 27, 27

[4] Gen. 27, 28

[5] I Cor. VII, 31.

[6] Johan. XV, 16.

[7] I Cor. VII, 31.