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Sainte Radegonde, reine, veuve

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  

Née vers 519, et morte le 13 août 587 à Poitiers. Elle fut une reine des Francs, quatrième épouse du roi Clotaire Ier puis la fondatrice du monastère Sainte-Croix de Poitiers.

Elle fut déclarée sainte peu de temps après sa mort.

Textes de la Messe

‘Pro Gallia’, imprimatur Turonibus, die XXIX Aprilis MCMXXXIX + Ludovicus-Josephus, Archiepisc. Turon.

die 13 augusti
le 13 août
SANCTÆ RADEGUNDIS
SAINTE RADEGONDE
Reginæ, Viduæ
Reine, Veuve
Missa Cognóvi, de Communi non Virginum 2 loco, præter Orationem sequentem :Messe Cognóvi, du Commun des Saintes Femmes 2, avec l’oraison suivante :
Ant. ad Introitum. Ps. 118, 75 et 120.Introït
Cognóvi, Dómine, quia ǽquitas iudícia tua, et in veritáte tua humiliásti me : confíge timóre tuo carnes meas, a mandátis tuis tímui.J’ai reconnu, Seigneur, que vos jugements sont équitables, et que vous m’avez humilié selon votre justice : transpercez ma chair par votre crainte, je redoute vos jugements.
Ps. Ibid., 1.
Beáti immaculáti in via : qui ámbulant in lege Dómini.Heureux ceux qui sont immaculés dans la voie : qui marchent dans la loi du Seigneur.
V/.Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, cuius ope beáta Radegúndis aulæ delícias vitæ monásticæ austeritáte commutávit : da nobis, eius collucentíbus exémplis et suffragántibus méritis, terréna non sápere, sed amáre cæléstia. Per Dóminum.Dieu, vous avez, par votre grâce, amené la bienheureuse Radegonde à échanger les délices de la cour pour l’austérité de la vie monastique : faites qu’éclairés par ses exemples et soutenus par le suffrage de ses mérites, nous ne goûtions pas les biens terrestres mais aimions ceux du ciel.
Et fit commemoratio Ss. Hippolyti et Cassiani, Mm. :Et on fait mémoire des Sts Hippolyte et Cassien, Martyrs :
Oratio.Collecte
Da, quǽsumus, omnípotens Deus : ut beatórum Mártyrum tuórum Hippolýti et Cassiáni veneránda sollémnitas, et devotiónem nobis áugeat et salútem. Per Dóminum nostrum. Faites, s’il vous plaît, ô Dieu tout puissant, que la solennité vénérable de vos bienheureux Martyrs Hippolyte et Cassien, nous apporte un accroissement de dévotion et de salut.
Léctio libri Sapiéntiæ.
Prov. 31, 10-31.
Mulíerem fortem quis invéniet ? Procul et de últimis fínibus prétium eius. Confídit in ea cor viri sui, et spóliis non indigébit. Reddet ei bonum, et non malum, ómnibus diébus vitæ suæ. Quæsívit lanam et linum, et operáta est consílio mánuum suárum. Facta est quasi navis institóris, de longe portans panem suum. Et de nocte surréxit, dedítque prædam domésticis suis, et cibária ancíllis suis. Considerávit agrum, et emit eum : de fructu mánuum suárum plantávit víneam. Accínxit fortitúdine lumbos suos, et roborávit bráchium suum. Gustávit, et vidit, quia bona est negotiátio eius : non exstinguétur in nocte lucérna eius. Manum suam misit ad fórtia, et dígiti eius apprehénderent fusum. Manum suam apéruit ínopi, et palmas suas exténdit ad páuperem. Non timébit dómui suæ a frigóribus nivis : omnes enim doméstici eius vestíti sunt duplícibus. Stragulátam vestem fecit sibi : byssus et púrpura induméntum eius. Nóbilis in portis vir eius, quando séderit cum senatóribus terræ. Síndonem fecit et véndidit, et cíngulum tradidit Chananǽo. Fortitúdo et decor induméntum eius, et ridébit in die novíssimo. Os suum apéruit sapiéntiæ, et lex cleméntiæ in lingua eius. Considerávit sémitas domus suæ, et panem otiósa non comédit. Surrexérunt fílii eius, et beatíssimam prædicavérunt : vir eius, et laudávit eam. Multæ fíliæ congregavérunt divítias, tu supergréssa es univérsas. Fallax grátia, et vana est pulchritúdo : mulier timens Dóminum, ipsa laudábitur. Date ei de fructu mánuum suárum, et laudent eam in portis ópera eius.Qui trouvera la femme forte ? C’est au loin et aux extrémités du monde qu’on doit chercher son prix. Le cœur de son mari se confie en elle, et il ne manquera point de dépouilles. Elle lui rendra le bien, et non le mal, tous les jours de sa vie. Elle a cherché la laine et le lin, et elle a travaillé avec des mains ingénieuses. Elle est comme le vaisseau d’un marchand, qui apporte son pain de loin. Elle se lève lorsqu’il est encore nuit, et elle donne la nourriture à ses domestiques, et les vivres à ses servantes. Elle a considéré un champ, et elle l’a acheté ; du fruit de ses mains elle a planté une vigne. Elle a ceint ses reins de force, et elle a affermi son bras. Elle a goûté, et elle a vu que son trafic est bon ; sa lampe ne s’éteindra point pendant la nuit. Elle a porté sa main à des choses fortes, et ses doigts ont saisi le fuseau. Elle a ouvert sa main à l’indigent, et elle a étendu ses bras vers le pauvre. Elle ne craindra point pour sa maison le froid de la neige, car tous ses domestiques ont un double vêtement. Elle s’est fait un vêtement de tapisserie ; elle se couvre de lin et de pourpre. Son mari est illustre aux portes de la ville, lorsqu’il est assis avec les anciens du pays. Elle a fait une tunique de lin et elle l’a vendue, et elle a livré une ceinture au Chananéen. Elle est revêtue de force et de beauté, et elle rira au dernier jour. Elle a ouvert sa bouche à la sagesse, et la loi de la clémence est sur sa langue. Elle a considéré les sentiers de sa maison, et elle n’a pas mangé son pain dans l’oisiveté. Ses fils se sont levés, et l’ont proclamée bienheureuse ; son mari s’est levé aussi, et l’a louée. Beaucoup de filles ont amassé des richesses ; toi, tu les as toutes surpassées. La grâce est trompeuse, et la beauté est vaine ; la femme qui craint le Seigneur est celle qui sera louée. Donnez-lui du fruit de ses mains, et que ses œuvres la louent aux portes de la ville.
Graduale. Ps. 44, 3 et 5.Graduel
Diffúsa est grátia in labiis tuis : proptérea benedíxit te Deus in ætérnum.La grâce est répandue sur vos lèvres : c’est pourquoi Dieu vous a bénie à jamais et pour tous les siècles.
V/. Propter veritátem et mansuetúdinem et iustítiam : et de ducet te mirabíliter déxtera tua.V/. Pour la vérité, la douceur et la justice : et votre droite voua conduira merveilleusement.
Allelúia, allelúia. V/. Ibid., 5. Spécie tua et pulchritúdine tua inténde, próspere procéde et regna. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. Avec votre gloire et votre majesté, avancez, marchez victorieusement et régnez. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Matthǽum.Suite du Saint Évangile selon saint Matthieu.
Matt 13, 44-52
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis parábolam me : Símile est regnum cælórum thesáuro abscóndito in agro : quem qui invénit homo, abscóndit, et præ gáudio illíus vadit, et vendit univérsa, quæ habet, et emit agrum illum. Iterum símile est regnum cælórum hómini negotiatóri, quærénti bonas margarítas. Invénta autem una pretiósa margaríta, ábiit, et véndidit ómnia, quæ hábuit, et emit eam. Iterum símile est regnum cælórum sagénse, missæ in mare et ex omni génere píscium congregánti. Quam, cum impléta esset, educéntes, et secus litus sedéntes, elegérunt bonos in vasa, malos autem foras misérunt. Sic erit in consummatióne sǽculi : exíbunt Angeli, et separábunt malos de médio iustórum, et mittent eos in camínum ignis : ibi erit fletus et stridor déntium. Intellexístis hæc ómnia ? Dicunt ei : Etiam. Ait illis : Ideo omnis scriba doctus in regno cælórum símilis est hómini patrifamílias, qui profert de thesáuro suo nova et vétera.En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples cette parabole : "Le Royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ. Quand un homme le trouve, il le cache, puis, dans sa joie, il s’en va, il vend tout ce qu’il possède, et il achète ce champ. Ou encore : Le Royaume des Cieux est comparable à un marchand qui recherche des perles fines. Quand il trouve une perle de grand prix, il s’en va, il vend tout ce qu’il possède, et il l’achète. Ou encore : Le Royaume des Cieux est comparable à un filet qu’on jette dans la mer et qui ramasse des poissons de toutes sortes. Quand il est rempli, on le tire sur le rivage ; on s’assied, et on recueille dans des paniers ce qui est bon, mais le mauvais, on le jette. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront, ils sépareront les méchants d’avec les justes, et ils les jetteront dans la fournaise de feu. Là, seront les pleurs et les grincements de dents. Avez-vous compris tout cela ?" Ils répondirent : "Oui". Il leur dit : "C’est pourquoi tout scribe instruit du Royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien."
Ant. ad Offertorium. Ps. 44. 3.Offertoire
Diffúsa est grátia in lábiis tuis : proptérea benedíxit te Deus in ætérnum, et in sǽculum sǽculi.La grâce est répandue sur vos lèvres : c’est pourquoi Dieu vous a bénie à jamais et pour tous les siècles.
Secreta.Secrète
Accépta tibi sit, Dómine, sacrátæ plebis oblátio pro tuórum honóre Sanctórum : quorum se méritis de tribulatióne percepísse cognóscit auxílium. Per Dóminum nostrum.Qu’elle vous soit agréable, Seigneur, l’offrande que vous fait votre peuple saint en l’honneur de vos Saints, par les mérites desquels il reconnaît avoir reçu du secours dans la tribulation.
Pro Ss MartyribusPour les Sts Martyrs
SecretaSecrète
Réspice, Dómine, múnera pópuli tui, Sanctórum festivitáte votíva : et tuæ testificátio veritátis nobis profíciat ad salútem. Per Dóminum.Regardez, Seigneur, les oblations que vous offre votre peuple en la fête des Saints, et faites que la confession de la vérité serve à nous obtenir à nous aussi le salut éternel.
Ant. ad Communionem. Ps. 44, 8.Communion
Dilexísti iustítiam, et odísti iniquitátem : proptérea unxit te Deus, Deus tuus, óleo lætítiæ præ consórtibus tuis.Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité : c’est pourquoi Dieu, votre Dieu, vous a ointe d’une huile d’allégresse d’une manière plus excellente que toutes vos compagnes.
Postcommunio.Postcommunion
Satiásti, Dómine, famíliam tuam munéribus sacris : eius, quǽsumus, semper interventióne nos réfove, cuius sollémnia celebrámus. Per Dóminum.Vous avez, Seigneur, nourri votre famille de dons sacrés ; ranimez-nous toujours grâce à l’intervention de la sainte dont nous célébrons la fête.
Pro Ss MartyribusPour les Sts Martyrs
PostcommunioPostcommunion
Sacramentórum tuórum, Dómine, commúnio sumpta nos salvet : et in tuæ veritátis luce confírmet. Per Dóminum.Que la participation à vos sacrements, Seigneur, nous sauve et nous confirme dans la lumière de votre vérité.

Office

L’année liturgique donne les leçons suivantes, tirées d’un office bénédictin (4 leçons au lieu de 3 pour le second nocturne).

Cinquième leçon. Radegonde était fille de Berthaire, roi des Thuringiens. A dix ans, elle fut emmenée captive par les Francs dont les rois se la disputèrent pour son insigne et royale beauté. Le sort la donna à Clotaire de Soissons qui confia son éducation à d’excellents maîtres. Plus que toutes sciences l’enfant reçut avidement les notions de la foi chrétienne, et abjurant le culte des fausses divinités qu’elle avait reçu de ses pères, elle résolut d’observer non seulement les préceptes de l’Évangile, mais aussi ses conseils. Lorsqu’elle eut grandi, Clotaire, dont c’était depuis longtemps l’intention, la voulut pour épouse. Malgré son refus, malgré ses tentatives de fuite, elle fut donc aux applaudissements de tous proclamée reine. Élevée aux honneurs du trône, la dignité royale dut se plier à ses charités, à ses continuelles oraisons, à ses veilles fréquentes, à ses jeûnes, à ses autres macérations, si bien que, par dérision pour une telle piété, les courtisans disaient d’elle que c’était, non une reine, mais une nonne que le roi avait épousée.

Sixième leçon. Les dures épreuves, les chagrins de plus d’une sorte que lui infligeait le prince, firent briller grandement sa patience. Mais ayant un jour appris que son frère germain venait d’être par ordre de Clotaire injustement mis à mort, elle quitta aussitôt la cour, du consentement du roi lui-même, et se rendant auprès du bienheureux évêque Médard, elle le supplia instamment de la consacrer au Seigneur. Or les grands s’opposaient vivement à ce que le pontife donnât le voile à celle que le roi s’était solennellement unie. Elle donc aussitôt pénétrant dans la sacristie, se revêt elle-même du vêtement monastique, et de là se rendant à l’autel interpelle ainsi l’évêque : « Si vous différez de me consacrer, craignant plus un homme que Dieu, il y aura quelqu’un pour vous demander compte de mon âme ». Médard, ému de ces paroles, mit le voile sacré sur la tête de la reine, et par l’imposition de la main la consacra diaconesse. Elle alla ensuite à Poitiers, où elle fonda un monastère de vierges qui fut plus tard appelé de Sainte-Croix. L’éclat de ses vertus éminentes y attira, pour embrasser la vie de la sainte religion, des vierges presque innombrables. A cause des témoignages singuliers de la divine grâce qui était en elle, le désir de toutes la mettait à la tête ; mais elle aimait mieux servir que commander.

Septième leçon. Bien que la multitude de ses miracles, eût répandu au loin sa renommée, cependant oublieuse de la première dignité, elle ambitionnait les plus vils et les plus abjects offices. Le soin des malades, des pauvres, des lépreux surtout, faisait ses principales délices ; souvent ils étaient miraculeusement guéris par elle. Telle était sa piété envers le divin sacrifice de l’autel, qu’elle faisait de ses mains les pains à consacrer, et en fournissait diverses églises. Mais si parmi les délices royales elle s’était toute adonnée à mortifier sa chair, si dès son adolescence elle avait brûlé du désir du martyre : maintenant qu’elle menait la vie monastique, de quelles rigueurs ne devait-elle pas affliger son corps ? Ceignant ses reins de chaînes de fer, elle allait jusqu’à poser ses membres sur des charbons ardents pour les mieux tourmenter, à fixer intrépidement sur sa chair des lames incandescentes, pour qu’ainsi cette chair elle-même fût à sa manière embrasée par l’amour du Christ. Clotaire ayant résolu de la reprendre et de l’enlever à son cloître, étant même déjà en marche pour venir à Sainte-Croix, elle sut si bien l’en détourner par des lettres adressées à saint Germain évêque de Paris, que le prince, prosterné aux pieds du saint prélat, le supplia d’implorer de la pieuse reine pardon pour son roi et son époux.

Huitième leçon. Elle enrichit son monastère de reliques saintes apportées de divers pays. Ayant même envoyé dans ce but des clercs à l’empereur Justin, elle en obtint une partie insigne du bois de la Croix du Seigneur, qui fut reçue en grande solennité par la ville de Poitiers, le clergé et le peuple entier tressaillant d’allégresse. On chanta en cette occasion les hymnes composées à la louange de la Croix auguste par Venance Fortunat, qui fut depuis évêque, et jouissait alors de l’intimité sainte de Radegonde, dont il administrait le monastère. Enfin la très sainte reine étant mûre pour le ciel, peu de jours avant qu’elle ne sortit de cette vie, le Seigneur daigna lui apparaître sous les traits d’un jeune homme éclatant de beauté, et elle mérita d’entendre de sa bouche ces mots : « Pourquoi ce désir insatiable de jouir ? Pourquoi te répandre en tant de gémissements et de larmes ? Pourquoi ces supplications répétées à mes autels ? Pourquoi sous tant de travaux briser ton pauvre corps ? Quand je te suis uni toujours ! Ma noble perle, sache qu’entre les pierres sans prix du diadème de ma tête tu es une des premières ». L’année donc 587, elle exhala son âme très pure dans le sein du céleste Époux qu’elle avait uniquement aimé. Elle fut ensevelie, selon son désir, dans la basilique de la bienheureuse Marie par saint Grégoire de Tours.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Jamais butin n’égala celui que l’expédition de Thuringe valut, vers l’an 530, aux fils de Clovis. Recevez cette bénédiction des dépouilles de l’ennemi [1], pouvaient-ils dire en présentant aux Francs l’orpheline recueillie à la cour du prince fratricide qu’ils venaient de châtier. Radegonde voyait Dieu se hâter de mûrir son âme. Après la mort tragique des siens, était venue pour son pays l’heure de la ruine ; longtemps après, la mémoire en restait toute vive au cœur de l’enfant d’alors, suscitant chez la reine et la sainte des retours d’exilée que l’amour seul du Christ-Roi pouvait dompter : « J’ai vu les morts couvrir la plaine, et l’incendie ravager les palais ; j’ai vu les femmes, l’œil sec d’effroi, mener le deuil de la Thuringe tombée ; moi seule ai survécu pour pleurer pour tous » [2].

Près des rois francs, dont la licence sauvage rappelait trop celle de ses pères, la captive rencontra cependant le christianisme qu’elle ne connaissait point encore. La foi eut pour cette âme que la souffrance avait creusée de quoi remplir ses abîmes. En la donnant à Dieu, le baptême consacra sans les briser les élans de sa fière nature. Affamée du Christ [3], elle eût voulu aller à lui par le martyre, elle le cherchait sur la croix de tous les renoncements, elle le trouvait dans ses membres souffrants et pauvres ; du visage des lépreux, qui était pour elle la face défigurée de son Sauveur, elle s’élevait à l’ardente contemplation de l’Époux triomphant dont la face glorieuse illumine l’assemblée des Saints.

Quelle répulsion quand, lui offrant les honneurs de reine, le destructeur de sa patrie prétendit partager avec Dieu la possession d’un cœur que le ciel seul avait pu consoler et combler ! La fuite d’abord, le refus de plier ses mœurs aux convenances d’une cour où tout heurtait pour elle aspirations et souvenirs, l’empressement à briser au premier jour des liens que la violence avait seule noués, montrèrent bien si l’épreuve avait eu d’autre effet, comme dit sa Vie, que de tendre son âme [4] toujours plus à l’objet de son unique amour.

Cependant, près du tombeau de Martin, une autre reine, la mère du royaume très chrétien, Clotilde allait mourir. Malheur aux temps où les personnages de la droite du Très-Haut, disparaissant, ne sont pas remplacés sur la terre, où le Psalmiste s’écrie dans son juste effroi : Sauvez-moi, à Dieu, parce qu’il n’y a plus de Saint [5] ! Car si au ciel les élus prient toujours, ils ne fournissent plus dans leur chair le supplément qui manque aux souffrances du Seigneur pour son corps qui est l’Église [6]. La tâche commencée au baptistère de Reims n’était pas achevée ; l’Évangile, qui régnait par la foi sur notre nation, était loin d’avoir encore assoupli ses mœurs. A la prière suprême de celle qu’il nous avait donnée pour mère, le Christ qui aime les Francs ne refusa point la consolation de savoir qu’elle allait se survivre ; Radegonde, délivrée juste à temps pour ne point laisser vaquer l’œuvre laborieuse de former à l’Église sa fille aînée, reprenait avec Dieu dans la solitude la lutte de prière et d’expiation commencée par la veuve de Clovis.

La joie d’avoir rompu un joug odieux rendit le pardon facile à sa grande âme [7] ; dans son monastère de Poitiers, elle manifesta pour ces rois qu’elle tenait à distance un dévouement qui ne devait plus leur faire un seul jour défaut. C’est qu’à leur sort était lié celui de la France, cette patrie de sa vie surnaturelle où l’Homme-Dieu s’était révélé à son cœur, et qu’à ce titre elle aimait d’une partie de l’amour qu’elle portait au ciel, l’éternelle patrie. La paix, la prospérité de cette terre natale de son âme occupaient jour et nuit sa pensée. Survenait-il quelque amertume entre les princes, disent les récits contemporains, on la voyait trembler de tous ses membres a la seule crainte des dangers du pays. Elle écrivait selon leurs dispositions diverses à tous et chacun des rois, les adjurant de songer au salut de la nation ; à ses démarches pour écarter la guerre elle intéressait les principaux leudes. Elle imposait à sa communauté des veilles assidues, l’exhortant avec larmes à prier sans trêve ; quant à elle-même, les tourments qu’elle s’infligeait dans ce but sont inexprimables [8].

L’unique victoire ambitionnée de Radegonde était donc la paix entre les rois de la terre ; quand elle l’avait remportée dans sa lutte avec le Roi du ciel, son allégresse redoublait au service du Seigneur [9], et la tendresse qu’elle ressentait pour ses auxiliaires dévouées, les moniales de Sainte-Croix, trouvait à peine d’expression suffisante : « Vous les filles de mon choix, répétait-elle, mes yeux, ma vie, mon doux repos, ma félicité, vivez avec moi de telle sorte en ce siècle, que nous nous retrouvions dans le bonheur de l’autre » [10]. Mais combien cet amour lui était rendu !

« Par le Dieu du ciel, c’est la vérité que tout en elle reflétait la splendeur de l’âme » [11]. Cri spontané et plein de grâce de sa fille Baudonivie, auquel fait écho la voix plus grave de l’évêque historien, Grégoire de Tours, attestant la permanence jusque dans le trépas de la surnaturelle beauté de la sainte [12] ; éclat d’en haut qui purifiait autant qu’il retenait les cœurs, qui fixait l’inconstance voyageuse de l’italien Venance Fortunat [13] appelait sur son propre front l’auréole des Saints avec l’onction des Pontifes, et lui inspirait ses plus beaux chants.

Comment n’eût-elle pas réfléchi la lumière de Dieu, celle qui, tournée vers lui dans une contemplation ininterrompue, redoublait de désirs à mesure que la fin de l’exil approchait ? Ni les reliques des Saints, qu’elle avait tant recherchées parce qu’elles lui parlaient de la vraie patrie [14], ni son plus cher trésor, la Croix du Seigneur, ne lui suffisaient plus : c’était le Seigneur même qu’elle eût voulu ravir au trône de sa majesté, pour le faire habiter visiblement ici-bas [15].

Faisait-elle diversion à ses soupirs sans fin, c’était pour exciter dans les autres les mêmes aspirations, le même besoin du rayon céleste. Elle exhortait ses filles à ne rien négliger des divines connaissances, leur expliquant avec sa science profonde et son amour de mère les difficultés des Écritures. Comme elle multipliait dans le même but pour la communauté les lectures saintes : « Si vous ne comprenez pas, disait-elle, interrogez ; que craignez-vous de chercher la lumière de vos âmes [16] ? » Puis, insistant : « Moissonnez, moissonnez le froment du Seigneur ; car, je vous le dis en vérité , vous n’aurez plus longtemps à le faire : moissonnez , car l’heure approche où vous voudrez rappeler à vous ces jours qui vous sont donnés présentement, et vos regrets ne les ramèneront pas » [17].

Et la pieuse narratrice à qui nous devons ces détails d’une intimité si vivante et si suave, poursuit en effet : « Il est venu trop tôt ce temps dont notre indolence d’alors écoutait si tièdement l’annonce. L’oracle s’est réalisé pour nous, qui dit : Je vous enverrai la famine sur la terre, famine non du pain ni de l’eau, mais de la divine parole [18]. Car bien qu’on nous lise encore ses conférences d’autrefois, elle s’est tue cette voix qui ne cessait pas, elles sont fermées ces lèvres toujours prêtes aux sages conseils, aux douces effusions. Quelle expression, quels traits, ô Dieu très bon, quelle attitude vous lui aviez donnés ! Non, personne ne pourra jamais le décrire. Vrai supplice, que ce souvenir ! Cet enseignement, cette grâce, ce visage, ce maintien, cette science, cette piété, cette bonté, cette douceur, où les chercher maintenant [19] ? »

Douleur touchante, toute à l’honneur des enfants et de la mère, mais qui ne pouvait retarder pour celle-ci la récompense. Le matin des ides d’août de l’année 587, au milieu des lamentations qui s’élevaient de Sainte-Croix, un ange avait été entendu, disant à d’autres dans les hauteurs : « Laissez-la encore, car les pleurs de ses filles sont montés jusqu’à Dieu ». Mais ceux qui portaient Radegonde avaient répondu : « Il est trop tard, elle est déjà en paradis » [20].

L’exil a pris fin ; l’éternelle possession succède au désir ; le ciel entier resplendit des feux de la pierre précieuse qui vient d’enrichir le diadème de l’Époux. O Radegonde, la Sagesse de Dieu, qui récompense vos travaux à cette heure, vous a conduite par des voies admirables [21]. Votre héritage devenu, selon l’expression du prophète, comme le lion de la forêt semant autour de vous la mort [22], votre captivité bientôt loin du sol natal : qu’était-ce que les moyens de l’amour vous retirant des cavernes des lions, des retraites des léopards [23], où les faux dieux avaient retenu vos premiers ans ? L’épreuve devait vous suivre aussi sur la terre étrangère ; mais la lumière d’en haut, révélée à votre âme, l’avait stabilisée. En vain un roi puissant voulut vous faire partager avec lui son trône ; vous fûtes reine, mais pour le Christ dont la bonté daignait confier à votre maternité ce royaume de France qui est à lui avant d’être à nul prince. Pour lui vous l’avez aimée, cette terre devenue vôtre par le droit de l’Épouse à qui le sceptre de l’Époux appartient ; pour lui cette nation, sur laquelle vous présagiez ses desseins glorieux, a eu sans compter vos travaux, vos indicibles macérations, vos prières et vos larmes.

O vous qui, comme le Christ est toujours notre Roi, restez aussi toujours notre Reine, ramenez à lui le cœur des Francs que de néfastes errements ont découronné de leur gloire, en faisant que leur glaive ne soit plus celui du soldat de Dieu. Gardez entre toutes votre ville de Poitiers, qui vous honore d’un culte si spécial en la compagnie de son grand Hilaire. Bénissez vos filles de Sainte-Croix, toujours fidèles à vos grands souvenirs, toujours prouvant la puissance de la tige féconde [24] qui, par delà tant de siècles et de ruines, n’a point cessé de produire ses fleurs et ses fruits. Montrez-nous à chercher le Seigneur, à le rencontrer dans son Sacrement, dans les reliques de ses Saints, dans ses membres souffrants sur terre ; que tout chrétien apprenne de vous à aimer.

[1] I Reg. XXX, 26.

[2] De excidio Thuringiae, I, V. 5-36, Fortunatus ex persona Radegundis.

[3] Fortunatus, Vita Radegundis, 6.

[4] Baudonivia, Vita Radegundis, 2.

[5] Psalm. XI, 2.

[6] Col. I, 24.

[7] Baudonivia, 7.

[8] Ibid. 11.

[9] Baudonivia, 11.

[10] Ibid. 8.

[11] Ibid. 16.

[12] Greg. Turon. De gloria Confessorum, CVI.

[13] Fortunat. Miscellanea, VIII, I, II, etc.

[14] Baudonivia, 14.

[15] Ibid. 17.

[16] Baudonivia, 9.

[17] Ibid. 24.

[18] Amos. VIII, 11.

[19] Baudonivia, 24.

[20] Ibid. 26.

[21] Sap. X, 17.

[22] Jerem. XII, 8.

[23] Cant. IV, 8.

[24] Sanctarum monialium mater et radix antiquissima, ora pro nobis. La preuve historique des Litanies de sainte Radegonde, p. 293, édition D. H. Beauchet-Filleau.