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22/06 St Paulin de Nole, confesseur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses, 12 décembre 2007  

Né à Bordeaux vers 353, mort à Nole en 431. Fête au XIIème siècle. Grade simple dans le calendrier de St Pie V, élevée au rang de double par St Pie X en 1908.

Avant la réforme du bréviaire de Jean XXIII, qui réduisit énormément les lectures patristiques, on lisait un texte de St Paulin pour sa propre fête (voir plus bas, au troisième nocturne). Les oraisons et l’Épître sont propres à la fête.

Textes de la Messe

Avant 1908, les oraisons étaient celles de la messe Státuit ei ; elles furent remplacées par des oraisons propres par St Pie X.

die 22 iunii
le 22 juin
SANCTI PAULINI
SAINT PAULIN
Ep. et Conf.
Évêque et Confesseur
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Ant. ad Introitum. Ps. 131, 9-10.Introït
Sacerdótes tui, Dómine, índuant iustítiam, et sancti tui exsúltent : propter David servum tuum, non avértas fáciem Christi tui.Que vos prêtres, Seigneur, revêtent la justice et que vos saints tressaillent de joie. En considération de David votre serviteur, ne repoussez pas la face de votre Christ.
Ps. Ibid, 1.
Meménto, Dómine, David : et omnis mansuetúdinis eius.Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui ómnia pro te in hoc sǽculo relinquéntibus, céntuplum in futúro et vitam ætérnam promisísti : concéde propítius ; ut, sancti Pontíficis Paulíni vestígiis inhæréntes, valeámus terréna despícere et sola cæléstia desideráre : Qui vivis.Dieu, vous avez promis à ceux qui abandonnent tout en ce siècle pour vous, le centuple dans le siècle à venir et la vie éternelle : accordez-nous, dans votre bonté ; que, suivant fidèlement les traces du saint Pontife Paulin, nous ayons la force de mépriser les biens de la terre et de désirer les seuls biens du ciel.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Corínthios.Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Corinthiens.
2. Cor. 8, 9-15.
Fratres : Scitis grátiam Dómini nostri Iesu Christi, quóniam propter vos egénus factus est, cum esset dives, ut illíus inópia vos dívites essétis. Et consílium in hoc do : hoc enim vobis útile est, qui non solum fácere, sed et velle coepistis ab anno prióre : nunc vero et facto perfícite : ut, quemádmodum promptus est ánimus voluntátis, ita sit et perficiéndi ex eo quod habétis. Si enim volúntas prompta est, secúndum id quod habet, accépta est, non secúndum id quod non habet. Non enim ut áliis sit remíssio, vobis autem tribulátio, sed ex æqualitáte. In præsénti témpore vestra abundántia illórum inópiam súppleat : ut et illórum abundántia vestræ inópiæ sit suppleméntum, ut fiat æquálitas, sicut scriptum est : Qui multum, non abundávit : et qui módicum, non minorávit.Mes frères : vous connaissez la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s’est fait pauvre pour vous, afin que vous fussiez riches par sa pauvreté. C’est un conseil que je donne sur ce point ; car cela vous convient, à vous qui n’avez pas seulement commencé à agir, mais qui en avez eu la volonté dès l’an passé. Maintenant donc, achevez votre œuvre, afin que, telle qu’a été la promptitude de la volonté, tel soit aussi l’accomplissement, selon vos moyens. Car lorsque la volonté est prompte, elle est agréée selon ce qu’elle a, et non selon ce qu’elle n’a pas. Car il n’est pas question de soulager les autres, et de vous surcharger vous-mêmes ; mais qu’il y ait égalité. Que, pour le moment présent, votre abondance supplée à leur indigence, afin que leur abondance supplée aussi à votre indigence, et qu’ainsi il y ait égalité, selon ce qu’il est écrit : Celui qui recueillait beaucoup n’avait pas plus ; et celui qui recueillait peu n’avait pas moins.
Graduale. Graduale. Eccli. 44, 16.Graduel
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo.Voici le grand Pontife qui dans les jours de sa vie a plu à Dieu.
V/. Ibid., 20. Non est invéntus símilis illi, qui conserváret legem Excélsi.V/. Nul ne lui a été trouvé semblable, lui qui a conservé la loi du Très-Haut.
Allelúia, allelúia. V/. Ps. 109, 4. Tu es sacérdos in ætérnum, secúndum órdinem Melchísedech. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. Vous êtes prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Lucam.Suite du Saint Évangile selon saint Luc.
Luc. 12, 32-34.
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Nolíte timére, pusíllus grex, quia complácuit Patri vestro dare vobis regnum. Véndite quæ possidétis, et date eleemósynam. Fácite vobis sácculos, qui non veteráscunt, thesáurum non deficiéntem in cælis : quo fur non apprópiat, neque tínea corrúmpit. Ubi enim thesáurus vester est, ibi et cor vestrum erit.En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Ne craignez point petit troupeau ; car il a plu à votre Père de vous donner le royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumônes ; faites-vous des bourses qui ne s’usent point, un trésor inépuisable dans les deux, dont le voleur n’approche pas et que le ver ne détruit pas. Car où est votre trésor, là sera aussi votre cœur.
Ant. ad Offertorium. Ps. 88, 21-22.Offertoire
Invéni David servum meum, oleo sancto meo unxi eum : manus enim mea auxiliábitur ei, et bráchium meum confortábit eum.J’ai trouvé David mon serviteur ; je l’ai oint de mon huile sainte ; car ma main l’assistera et mon bras le fortifiera.
SecretaSecrète
Da nobis, Dómine, perféctæ caritátis sacrifícium, exémplo sancti Pontíficis Paulíni, cum altáris oblatióne coniúngere : et beneficéntiæ stúdio sempitérnam misericórdiam promeréri. Per Dóminum nostrum.Donnez-nous, Seigneur, à l’exemple du Saint Pontife Paulin, de joindre le sacrifice d’une parfaite charité à l’offrande de l’autel : et de mériter l’éternelle miséricorde en nous appliquant aux bonnes œuvres.
Ant. ad Communionem. Luc. 12, 42.Communion
Fidélis servus et prudens, quem constítuit dóminus super famíliam suam : ut det illis in témpore trítici mensúram.Voici le dispensateur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs pour leur donner au temps fixé, leur mesure de blé.
PostcommunioPostcommunion
Tríbue nobis per hæc sancta, Dómine, illum pietátis et humilitátis afféctum, quem ex hoc divíno fonte hausit sanctus Póntifex tuus Paulínus : et, ipsíus intercessióne, in omnes, qui te deprecántur, grátiæ tuæ divítias benígnus effúnde. Per Dóminum. Accordez-nous par ces saints mystères, ô Seigneur, les sentiments de piété et d’humilité que puisa à cette source divine votre saint Pontife Paulin : et par son intercession, daignez, dans votre bonté, répandre sur tous ceux qui vous le demandent, les richesses de votre grâce.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Pontius Meropius Anicius Paulin, né l’an trois cent cinquante-trois de la Rédemption, d’une famille très distinguée de citoyens romains, à Bordeaux, en Aquitaine, fut doué d’une intelligence vive et de mœurs douces. Sous la direction d’Ausone [1], il brilla de la gloire de l’éloquence et de la poésie. Très noble et très riche, il entra dans la carrière des charges publiques et, à la fleur de l’âge, conquit la dignité de sénateur. Ensuite, en qualité de consul, il se rendit en Italie et, ayant obtenu la province de Campanie, il établit sa résidence à Nole [2]. Là, touché de la lumière divine, et à cause des signes célestes qui illustraient le tombeau de saint Félix, prêtre et martyr, il commença à s’attacher avec plus d’énergie à la véritable foi chrétienne, qu’il méditait déjà dans son esprit. Il renonça donc aux faisceaux et à la hache, qui n’avait encore été souillée par aucune exécution capitale [3] ; retourné en Gaule, il fut ballotté par diverses épreuves et par de grands travaux sur terre et sur mer et perdit un œil ; mais guéri par le bienheureux Martin, évêque de Tours, il fut lavé dans les eaux lustrales du baptême par le bienheureux Delphin, évêque de Bordeaux.

Cinquième leçon. Méprisant les richesses qu’il possédait en abondance, il vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres et, quittant sa femme Therasia, changeant de patrie et brisant les liens de la chair, il se retira en Espagne, s’attachant ainsi à la pauvreté admirable du Christ, plus précieuse à ses yeux que l’univers entier. Un jour qu’à Barcelone, il assistait dévotement aux sacrés mystères, le jour solennel de la naissance du Seigneur, le peuple, transporté d’admiration, l’entoure avec tumulte et, malgré ses résistances, il fut ordonné prêtre par l’évêque Lampidius. Il retourna ensuite en Italie, fonda à Nole, où il avait été amené par le culte de saint Félix, un monastère près du tombeau de ce saint ; s’étant adjoint des compagnons, il commença une vie cénobitique. Illustre déjà par la dignité sénatoriale et la dignité consulaire, embrassant la folie de la croix, à l’admiration du monde presque entier, Paulin, revêtu d’une robe sans valeur, demeurait, au milieu des veilles et des jeûnes, la nuit et le jour, les yeux fixés dans la contemplation des choses célestes. Mais, comme son renom de sainteté croissait de plus en plus, il fut élevé à l’évêché de Nole et, dans l’accomplissement de sa .charge pastorale, il laissa des exemples merveilleux de piété, de sagesse et surtout de charité.

Sixième leçon. Au cours de ces travaux, il avait composé des écrits remplis de sagesse, traitant de la religion et de la foi ; souvent aussi, se laissant aller à la versification, il avait célébré dans des poèmes les actes des saints, acquérant un renom supérieur de poète chrétien [4]. Il s’attacha par l’amitié et par l’admiration tout ce qu’il y avait à cette époque d’hommes éminents par la sainteté et la doctrine. Beaucoup affluaient de toutes parts vers lui, comme chez le maître de la perfection chrétienne. La Campanie ayant été ravagée par les Goths [5]1 il employa à nourrir les pauvres et à racheter les prisonniers tout son avoir, ne gardant pas même pour lui les choses nécessaires à la vie. Plus tard, lorsque les Vandales ravageaient le même pays, une veuve le supplia de racheter pour elle son fils, pris par les ennemis ; comme il avait absorbé tous ses biens dans l’exercice de la charité, il se livra lui-même en esclavage pour cet enfant, et, jeté dans les fers, il fut emmené en Afrique. Enfin, gratifié de la liberté, non sans le secours visible de Dieu et revenu à Nole, le bon pasteur retrouva ses brebis chéries et là, dans sa soixante dix-huitième année, s’endormit dans le Seigneur d’une fin très tranquille. Son corps, enseveli près du tombeau de saint Félix, fut plus tard, à l’époque des Lombards, transféré à Bénévent, puis sous l’empereur Othon III, à Rome, dans la basilique de Saint-Barthélemy en l’île du Tibre. Mais le pape Pie X ordonna que les dépouilles sacrées de Paulin fussent restituées à Nole et éleva sa fête au rite double pour toute l’Église.

Au troisième nocturne.

Lecture du saint Évangile selon saint Luc.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Ne craignez point, petit troupeau ; car il a plu à votre Père de vous donner son royaume. Et le reste.

Homélie de saint Paulin, Évêque.

Septième leçon. Le Seigneur tout-puissant aurait pu, très chers frères rendre tous les hommes également riches, de façon qu’aucun d’eux n’eût besoin d’un autre ; mais par un dessein de sa bonté infinie, le Seigneur miséricordieux et plein de pitié a ordonné les choses comme il l’a fait, afin d’éprouver vos dispositions. Il a fait le malheureux afin de pouvoir reconnaître celui qui est miséricordieux ; il a fait le pauvre afin de donner à l’homme opulent l’occasion d’agir. Le but des richesses, c’est, pour vous, la pauvreté de votre frère, « si vous avez l’intelligence de l’indigent et du pauvre », si vous ne possédez pas seulement pour vous ce que vous avez reçu ; et cela, parce que Dieu vous a remis en ce siècle la part de votre frère aussi, Dieu voulant vous devoir ce que vous aurez offert spontanément au moyen de ses dons aux indigents, et désirant vous enrichir en retour au jour éternel de la part qu’aura votre frère. C’est par les mains des pauvres, en effet, que le Christ reçoit maintenant, et alors, au jour éternel, il rendra pour eux en son nom.

Huitième leçon. Réconfortez celui qui a faim et vous n’aurez pas de crainte au jour mauvais de la colère qui doit venir. « Bienheureux, en effet, dit Dieu, celui qui a l’intelligence de l’indigent et du pauvre, au jour mauvais le Seigneur le délivrera. » Travaillez donc et cultivez avec soin cette partie de votre terre, mon frère, afin qu’elle fasse germer pour vous une moisson fertile, pleine de la graisse du froment, vous apportant, avec des intérêts élevés, le fruit au centuple de la semence qui se multiplie. Dans la recherche et la culture de cette possession et de ce travail, l’avarice est sainte et salutaire ; car une pareille avidité, qui mérite le royaume du ciel et soupire après le bien éternel, est la racine de tous les biens. Souhaitez donc ardemment de telles richesses et possédez un tel patrimoine que le créancier doit compenser en fruits centuplés, pour enrichir aussi vos héritiers avec vous des biens éternels. Car cette possession est vraiment grande et précieuse, qui ne charge pas son possesseur d’un fardeau temporel, mais l’enrichit d’un revenu éternel.

Neuvième leçon. Veillez donc, mes très chers, avec une sollicitude de tous les instants et un travail assidu pour la justice, non seulement à rechercher les biens éternels, mais à mériter d’éviter des maux sans nombre. Car nous avons besoin d’une grande aide et d’une grande protection ; nous avons besoin de nous appuyer sur des prières nombreuses et incessantes. Notre adversaire, en effet, ne se repose pas et l’ennemi très vigilant bloque toutes nos voies pour nous perdre. En outre, en ce siècle [6], se jettent sur nos âmes de nombreuses croix, des dangers innombrables, les fléaux des maladies, les feux des fièvres et les flèches des douleurs ; les torches des passions s’allument, partout sont cachés des filets tendus sous nos pas, de toutes parts nous voyons avec terreur des glaives tirés, la vie se passe en embûches et en combats et nous marchons sur des feux recouverts d’une cendre trompeuse. Avant donc de vous exposer, conduits par les circonstances ou par votre volonté, à quelque fléau de telles douleurs, hâtez-vous de devenir agréables et chers au médecin, afin qu’au temps où vous en aurez besoin, vous trouviez tout prêt le remède salutaire. Autre chose est de prier seul pour vous-même, autre chose d’avoir une multitude d’intercesseurs s’empressant pour vous auprès de Dieu.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Dans les jours de l’enfance du Sauveur, Félix de Nole était venu réjouir nos yeux par le spectacle de sa sainteté triomphante et si humble, qui nous révèle sous un de ses aspects les plus doux la puissance de notre Emmanuel. Illuminé de tous les feux de la Pentecôte, Paulin s’élève de cette même ville de Nole à son tour, faisant hommage de sa gloire à celui dont il fut la conquête. La voie sublime par laquelle il devait gagner les sommets des cieux, ne s’offrit point à lui, en effet, tout d’abord ; et ce fut Félix qui, sur le tard déjà, jeta dans son âme les premiers germes du salut.

Héritier d’une fortune immense, à vingt-cinq ans préfet de Rome, sénateur et consul, Paulin était loin de penser qu’il pût y avoir une carrière plus honorable pour lui, plus profitable au monde, que celle où l’engageaient ainsi les traditions de son illustre famille. Et certes alors, au regard des sages de ce siècle, c’était une vie intègre, s’il en fut, que la sienne, entourée des plus nobles amitiés, soutenue par l’estime méritée des petits et des grands, trouvant son repos dans ce culte des lettres qui, dès les années de son adolescence, l’avait rendu l’honneur de la brillante Aquitaine où Bordeaux lui donna le jour. Combien, qui ne le valaient pas, sont aujourd’hui encore proposés pour modèles d’une vie laborieuse et féconde ?

Un jour, cependant, voici que ces existences qui semblent si remplies, n’offrent plus à Paulin lui-même que le spectacle d’hommes « tourbillonnant au milieu de jours vides, et, pour trame de leur vie, tissant d’œuvres vaines une toile d’araignée » [7] ! Que s’est-il donc passé ? C’est qu’un jour, dans la fertile Campanie soumise à son gouvernement, Paulin s’est rencontré près de la tombe de l’humble prêtre proscrit jadis par cette Rome, dont les terribles faisceaux qu’on porte devant lui signifient la puissance ; et les flots d’une lumière nouvelle ont envahi son âme ; Rome et sa puissance sont rentrées dans la nuit, devant l’apparition « des grands droits du Dieu redoutable » [8]. A plein cœur, le descendant des vieilles races qui soumirent le monde donne sa foi à Dieu ; le Christ qui se révèle à lui dans la lumière de Félix, a conquis son amour [9]. Assez cherché, assez couru vainement : il trouve enfin ; et ce qu’il trouve, c’est que rien ne vaut mieux que de croire à Jésus-Christ [10].

Dans la droiture de sa grande âme, il ira jusqu’aux dernières conséquences de ce principe nouveau qui remplace pour lui tous les autres. Jésus a dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; et puis viens, suis-moi » [11]. Paulin n’hésite pas. Ce n’est pas lui qui négligera le meilleur, et préférera le moindre [12] ; parfait jusque-là pour le monde, pourrait-il maintenant ne point l’être pour Dieu ? A l’œuvre donc ! déjà ne sont plus à lui ces possessions immenses, que l’on appelait des royaumes [13] ; les divers peuples de l’empire, chez qui s’étendaient au soleil ces incalculables richesses, sont dans la stupeur d’un commerce nouveau : Paulin vend tout, pour acheter la croix et suivre avec elle son Dieu [14]. Car, il le sait : l’abandon des biens de ce monde n’est que l’entrée du stade, et non la course elle-même ; l’athlète n’est pas vainqueur par le seul fait qu’il laisse ses habits, mais il ne se dépouille que pour commencer à combattre ; et le nageur a-t-il donc passé le fleuve, parce que déjà il est nu sur le bord [15] ?

Paulin, dans son empressement, a coupé plutôt qu’il n’a détaché le câble qui retenait sa barque au rivage [16]. Le Christ est son nautonier [17]. Aux applaudissements de sa noble épouse Thérasia, qui ne sera plus que sa sœur et son émule, il vogue jusqu’au port assuré de la vie monastique, ne songeant qu’à sauver son âme [18]. Un seul point le tient encore en suspens : se retirera-t-il à Jérusalem, où tant de souvenirs semblent appeler un disciple du Christ ? Mais, avec la franchise de sa forte amitié, Jérôme qu’il a consulté lui répond : « Aux clercs les villes, aux moines la solitude. Ce serait une suprême folie que de quitter le monde, pour vivre au milieu d’une foule plus grande qu’auparavant. Si vous voulez être ce qu’on vous nomme, c’est-à-dire moine, c’est-à-dire seul, que faites-vous dans les villes, qui, à coup sûr, ne sont pas l’habitation des solitaires, mais de la multitude ? Chaque vie a ses modèles. Nos chefs à nous sont les Paul et les Antoine, les Hilarion et les Macaire ; nos guides, Élie, Élisée, tous ces fils des Prophètes qui habitaient dans la campagne et les solitudes, et dressaient leurs tentes près des bords du Jourdain » [19].

Paulin suivit les conseils du solitaire de Bethléhem ; préférant son titre de moine à l’habitation même de la cité sainte, il chercha le petit champ dont lui parlait Jérôme, au territoire de Nole, mais en dehors de la ville, près de la glorieuse tombe où il avait vu la lumière. Jusqu’à son dernier jour, Félix lui tiendra lieu ici-bas de patrie, d’honneurs, de fortune, de parenté. C’est dans son sein, comme dans un nid très doux, qu’il fera sa croissance, changeant par la vertu de la divine semence du Verbe qui est en lui sa forme terrestre, et recevant dans son être nouveau les célestes ailes, objet de son ambition, qui relèveront jusqu’à Dieu [20]. Que le monde ne compte plus sur lui pour relever ses fêtes, ou lui confier ses charges : absorbé dans la pénitence et l’humiliation volontaire, l’ancien consul n’est plus que le dernier des serviteurs du Christ et le gardien d’un tombeau [21].

A la nouvelle d’un pareil renoncement donné en spectacle au monde, la joie fut grande parmi les saints du ciel et de la terre ; mais non moindre se manifesta l’étonnement indigné, le scandale [22] des politiques, des prudents du siècle, de tant d’hommes pour qui l’Évangile ne vaut, qu’autant qu’il ne heurte pas les préjugés à courte vue de leur sagesse mondaine. « Que vont dire les grands ? écrivait saint Ambroise. D’une telle famille, d’une telle race, si bien doué, si éloquent, quitter le sénat, arrêter la succession d’une pareille suite d’ancêtres : cela ne se peut supporter. Voilà bien ces hommes, qui, quand il s’agit de leurs fantaisies, ne trouvent point étrange de s’infliger les transformations les plus ridicules ; arrive-t-il qu’un chrétien soucieux de la perfection change de costume, ils crient à l’indignité [23] ! »

Paulin ne s’émut point de ces attaques, pas plus qu’il ne compta que son exemple serait suivi d’un grand nombre. Il savait que Dieu manifeste en quelques-uns ce qui pourrait profiter à tous, s’ils le voulaient, et que cela suffit à justifier sa Providence [24]. Comme le voyageur ne se laisse point détourner de sa route par les aboiements des chiens qui le regardent passer, ceux, disait-il, qui s’engagent dans les étroits sentiers du Seigneur doivent négliger les réflexions des profanes et des sots, se félicitant de déplaire à qui Dieu déplaît ; l’Écriture nous suffit pour savoir que penser d’eux et de nous [25].

Résolu de ne point répondre, et de laisser les morts ensevelir leurs morts [26], une exception toutefois s’imposa au cœur de notre saint, par le côté des sentiments les plus délicats, en faveur d’Ausone son ancien maître. Paulin était resté l’élève préféré du rhéteur fameux à l’école de qui venaient se former, dans ces temps, les empereurs eux-mêmes ; Ausone toujours s’était montré pour lui un ami, un père ; l’âme transpercée par le départ de ce fils de sa tendresse, le vieux poète avait exhalé ses plaintes en des accents qui touchèrent celui-ci.

Paulin voulut tâcher d’élever cette âme qui lui était chère au-dessus des futilités de la forme, et des mythologiques vanités où continuait de s’enfermer sa vie ; il justifia donc sa démarche dans un poème dont la grâce exquise devait charmer Ausone, et l’amener peut-être à goûter la profondeur du sens chrétien, qui inspirait à son ancien élève une poésie si nouvelle pour le disciple attardé d’Apollon et des Muses.

« Père, lui disait-il, pourquoi vouloir me rappeler au culte des Muses ? Une autre puissance domine aujourd’hui mon âme, un Dieu plus grand qu’Apollon. Le vrai, le bon, je l’ai trouvé à la source même du bien et de la vérité, en Dieu vu dans son Christ. Échangeant sa divinité pour notre humanité dans un commerce sublime, homme et Dieu, ce maître des vertus transforme notre être, et remplace par de chastes voluptés les plaisirs d’autrefois. Par la foi dans la vie future, il dompte en nous les vaines agitations de la vie présente. Ces richesses que nous semblons mépriser, il ne les rejette pas comme impures ou sans prix ; mais, apprenant à les mieux aimer, il nous les fait confiera Dieu qui, en retour, promet davantage. N’appelez pas stupide celui qui s’adonne au plus avantageux, au plus sûr des négoces. Et la piété, pourrait-elle donc être absente d’un chrétien ? et pourrais-je ne pas vous la témoigner, ô père à qui je dois tout : science, honneurs, renommée ; qui, par vos soins, m’avez, en cultivant ses dons, préparé pour le Christ ! Oui ; le Christ s’apprête à vous récompenser, pour ce fruit qu’a nourri votre sève : ne rejetez pas sa louange, ne reniez pas les eaux parties de vos fontaines. Mon éloignement irrite votre tendresse ; mais pardonnez à qui vous aime, si je fais ce qui est expédient.

J’ai voué mon cœur à Dieu, j’ai cru au Christ ; sur la foi des divins conseils, j’ai acheté des biens du temps la récompense éternelle. Père, je ne puis croire que cela soit par vous taxé de folie. Pareils errements ne m’inspirent aucun repentir, et il me plaît d’être tenu pour insensé par ceux qui suivent une voie contraire ; il me suffit que mon sentiment soit tenu pour sage par le Roi éternel. Tout ce qui est de l’homme est court, infirme, caduc, et, sans le Christ, poussière et ombre ; qu’il approuve ou condamne, tant vaut le jugement que le juge : il meurt, et son jugement passe avec lui. Au moment du dépouillement suprême, elle sera tardive la lamentation, et peu recevable l’excuse de celui qui aura craint les vaines clameurs des langues humaines, et n’aura point redouté la vengeresse colère du Juge divin. Pour moi, je crois, et la crainte est mon aiguillon : je ne veux pas que le dernier jour me saisisse endormi dans les ténèbres, ou chargé de poids tels que je ne puisse m’envoler d’une aile légère au-devant de mon Roi dans les cieux. C’est pourquoi, coupant court aux hésitations, aux attaches, aux plaisirs de ce monde, j’ai voulu parer à tout événement ; vivant encore, j’en ai fini des soucis de l’a vie ; j’ai confié à Dieu mes biens pour les siècles à venir, afin de pouvoir d’un cœur tranquille attendre la terrible mort. Si vous l’approuvez, félicitez un ami riche d’espérances ; sinon, souffrez que je m’en tienne à l’approbation de Jésus-Christ » [27].

Rien mieux qu’un tel langage ne saurait nous donner une idée de ce qu’étaient nos pères du vieil âge, avec leur simplicité si pleine en même temps de grâce et de force, et cette logique de la foi qui, s’appuyant de la parole de Dieu, n’avait besoin d’aucune autre chose pour atteindre d’un bond tous les héroïsmes. Où trouver rien qui, on peut le dire, se déduise plus naturellement que les résolutions dont Paulin nous fait part ? Quel sens pratique, dans toute la vraie et grande signification du mot, ce Romain garde dans sa sainteté ! On reconnaît bien là l’aimable correspondant de saint Augustin, qui, interrogé par le grand docteur sur son opinion touchant certains points douteux de la vie future, lui répondait d’une façon si charmante : « Vous daignez me demander mon avis sur ce que sera l’occupation des bienheureux, après la résurrection de la chair. Mais si vous saviez comme je m’inquiète bien plus de la vie présente, de ce que j’y suis, de ce que j’y puis faire ! Soyez mon maître et mon médecin ; apprenez-moi à faire la volonté de Dieu, à marcher sur vos traces à la suite du Christ ; que, tout d’abord, j’arrive à mourir comme vous de cette mort évangélique qui précède et assure l’autre » [28].

Cependant notre saint, qui ne voulait qu’imiter et apprendre, apparaissait bientôt comme l’un des plus lumineux flambeaux de l’Église. L’humble retraite où il prétendait se cacher, était devenue le rendez-vous des plus illustres patriciens et patriciennes, le centre d’attraction de toutes les grandes âmes de ce siècle. Des points les plus divers, Ambroise, Augustin, Jérôme, Martin, et leurs disciples, élevaient la voix dans un concert de louange que nous allions dire unanime, si, pour la plus grande sainteté de son serviteur, Dieu n’avait permis, au commencement, une exception douloureuse. Certains membres du clergé de Rome, émus dans un autre sens qu’il ne convenait des marques de vénération données à ce moine, s’étaient efforcés, non sans succès, de circonvenir sous un prétexte spécieux le Pontife suprême ; Sirice en vint presque à séparer Paulin de sa communion [29]. La mansuétude, la longanimité du serviteur de Dieu, ne tardèrent pas au reste à ramener Sirice lui-même de l’erreur où l’avait mis son entourage, et l’envie dut porter ses morsures ailleurs.

L’espace nous fait défaut pour esquisser plus longuement cette noble existence. La Légende qui lui est consacrée, si courte qu’elle soit, complétera ces pages. Rappelons, en finissant, que la Liturgie est grandement redevable à saint Paulin pour les détails précieux que renferment ses lettres et ses poèmes, principalement sur l’architecture chrétienne et le symbolisme de ses diverses parties, le culte des images, l’honneur rendu aux Saints et à leurs reliques sacrées. Une tradition, qui malheureusement n’est point suffisamment établie pour exclure tous les doutes, fait également remonter jusqu’à lui l’usage liturgique des cloches ; agrandissant les dimensions de la clochette antique, il l’aurait transformée dans ce majestueux instrument si bien digne de devenir le porte-voix de l’Église elle-même, et auquel la Campanie et Nole ont donné leur nom (nolæ, campanæ).

Paulin évêque de Nole, instruit dans les lettres humaines et les saintes Écritures, composa en vers et en prose beaucoup d’œuvres remarquables. Sa charité surtout fut célèbre. Lorsque les Goths ravageaient la Campanie, il consacra tout ce qui lui restait à la nourriture des pauvres et au rachat des captifs, ne se réservant pas même le nécessaire pour vivre. Ce fut alors, raconte saint Augustin, que réduit volontairement à la dernière pauvreté après une extrême opulence, mais immensément riche de sainteté, il fut pris par les barbares et fit cette prière : Seigneur, ne permettez pas que je sois tourmenté pour de l’or ou de l’argent ; car vous savez où sont tous mes biens. Dans la suite, les Vandales infestant ces mêmes contrées, une veuve vint le supplier de lui racheter son fils, et, comme il avait tout dépensé en œuvres de miséricorde, il se livra lui-même en servitude à titre d’échange.

Étant donc passé en Afrique, on lui donna à cultiver le jardin de son maître qui était le gendre du roi. Or il arriva qu’ayant prophétisé à ce maître la mort de son beau-père, et le roi lui-même ayant vu en songe Paulin assis au milieu de deux autres juges, qui lui enlevait un fouet des mains, on reconnut quel grand personnage était ainsi captif ; il fut renvoyé comblé d’honneurs et accompagné de tous les prisonniers de sa ville, dont il obtint la liberté. De retour à Noie, il avait repris sa charge d’évêque, enflammant tout le monde et d’exemple et de parole pour les pratiques de la piété chrétienne, lorsqu’il fut saisi d’une douleur de côté ; bientôt la chambre où il était couché fut ébranlée par un tremblement de terre, et peu après il rendit son âme à Dieu. [30]

Vos biens vous sont maintenant rendus, ô vous qui avez cru à la parole du Seigneur ! Lorsque tant d’autres, en ce siècle qui vit les barbares, cherchèrent vainement à garder leur trésor, le vôtre était en sûreté. Que de lamentations parvinrent jusqu’à vous, dans l’effroyable écroulement de cet empire dont vous aviez été l’un des premiers magistrats ! Assurément ceux de vos collègues dans les honneurs, ceux de vos compagnons d’opulence qui n’avaient point imité votre renoncement volontaire, n’étaient en cela coupables d’aucune faute ; mais à l’heure terrible où la puissance n’était qu’un titre à de plus grands maux, où la richesse ne valait plus à ses possesseurs que désespoir et tortures, combien, même pour ce monde, votre prudence apparut la meilleure ! Vous vous étiez dit que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent [31] ; mais la violence que vous vous étiez imposée, en brisant pour de meilleures attaches vos liens d’ici-bas, était-elle comparable à celle que plus d’un de vos détracteurs d’alors eut à subir, sans profit pour cette vie et pour l’autre ? Ainsi en arrive-t-il souvent, même en dehors de ces temps lamentables où la ruine semble s’abattre sur l’univers. Les privations que Dieu réclame des siens pour les conduire dans les sentiers de la vie parfaite, n’égalent point la souffrance fréquemment rencontrée par les mondains dans le chemin de leur préférence.

Et combien étaient mal venus à vous reprocher comme une désertion la retraite où vous conviait Jésus-Christ, ces hommes, les Albinus, les Symmaque, dont l’attachement obstiné au paganisme expirant amenait sur Rome ce déluge de colère ! Si l’empire eût pu être sauvé, il l’eût été par vos imitateurs, Pammachius, Aper, et d’autres, trop peu nombreux, qui vous faisaient dire : « O Rome, tu pourrais ne point craindre les menaces portées contre toi dans l’Apocalypse, si tes sénateurs comprenaient toujours ainsi le devoir de leur charge » [32]. Quel contrepoids, en effet, n’eussent pas offert à la vengeance, si le spectacle en eût été moins rare, des réunions pareilles à celle que vous chantez dans l’un de vos plus beaux poèmes [33] ! C’était au lendemain de la formidable invasion de Radagaise ; la vieille Rome, mourante, invoquait plus follement que jamais ses faux dieux ; mais, de Noie, la louange montait vers le Très-Haut, puissante comme le vivant psaltérion dont les accords la faisaient s’élever jusqu’au ciel. Noble instrument, dont les dix cordes s’appelaient, d’une part, Aemilius, Paulin, Apronianus, Pinianus, Asterius ; de l’autre, Albina, Therasia, Avita, Mélanie, Eunomia : tous clarissimes, suivant les traces de Cécile et de Valérien ou voués à Dieu dès l’enfance ; tous semblables en vertu dans un sexe dissemblable, et ne formant qu’un chœur au tombeau de Félix pour l’exécution des hymnes sacrées. A leur suite et avec eux, une troupe nombreuse d’illustres personnages et de vierges chantaient de même au Seigneur, apaisant son courroux contre une terre maudite, et retardant du moins ses coups [34]. Dix justes auraient sauvé Sodome ; mais il fallait plus pour la Babylone ivre du sang des martyrs, pour la mère des fornications et des abominations du monde entier [35].

La récompense ne vous en est pas moins acquise ; et, même en dehors de vous, votre labeur n’a point été stérile. Stérile, jamais la foi ne peut l’être ; depuis le temps d’Abraham [36], elle n’a point cessé d’être le grand élément de la fécondité pour le monde. Si les Romains dégénérés n’ont point voulu comprendre, en ce IVe siècle, la leçon qui leur était donnée par les héritiers des plus nobles familles de leur empire, s’ils n’ont point su voir où était le salut, de votre foi et de celle de vos illustres compagnons est née pour le ciel une nouvelle race, honneur d’une Rome nouvelle, et dépassant les hauts faits du vieux patriciat. Comme vous, « contemplant à la divine lumière les premiers âges et ceux qui suivirent, nous admirons l’œuvre profonde du Créateur, et cette lignée mystérieuse préparée dans la nuit des siècles antiques aux Romains d’autrefois » [37].

Gloire donc à vous, qui n’avez point écouté d’une oreille sourde l’Évangile [38], et, fort de la foi, l’avez emporté sur le prince de ce monde. Rendez à nos temps, si semblables aux vôtres du côté de la ruine, ce franc amour de la vérité, cette simplicité de la foi qui, dans les IVe et Ve siècles, sauvèrent du naufrage la société baptisée. La lumière n’est pas moindre aujourd’hui qu’alors ; elle a même grandi, incessamment accrue par le travail des docteurs et les définitions des pontifes. Mais la vérité, toujours également puissante à sauver les hommes [39], ne délivre pourtant que ceux qui vivent d’elle ; et voilà pourquoi, hélas ! le dogme, toujours mieux et plus pleinement défini, ne relève pas le monde en nos jours. C’est qu’il ne devrait pas rester lettre morte ; ce n’est point à l’état de théorie spéculative que Jésus-Christ l’a transmis à son Église, et cette Église, quand elle l’expose à ses fils, n’entend pas davantage charmer simplement, par des agréments de style ou l’ampleur de ses développements, les oreilles de ceux qui l’écoutent. La parole de Dieu est une semence [40] ; on la jette en terre, non pour l’y cacher, mais pour qu’elle germe et se fasse jour, dominant toute autre germination autour d’elle [41] parce que son droit comme sa puissance est de s’approprier tous les sucs du sol qui l’a reçue, pour transformer la terre même et lui faire rendre ce que Dieu en attend. Puisse-t-elle du moins, cette divine semence, ô Paulin, produire son plein effet dans tous ceux qui maintenant vous admirent et vous prient ! Sans diminuer l’Écriture, sans prétendre interpréter au gré de nos terrestres penchants ce que disait le Seigneur, vous avez pris à la lettre dans votre loyauté ce qui devait l’être ; et c’est pourquoi, aujourd’hui, vous êtes saint. Que toute parole de Dieu soit également pour nous sans appel ; qu’elle demeure la règle suprême de nos actes et de nos pensées.

En ce jour qui précède immédiatement la vigile de la fête consacrée à honorer la naissance de Jean-Baptiste, nous ne saurions oublier votre dévotion si profonde à l’Ami de l’Époux. La place que vous occupez sur le Cycle vous rend pour nous l’avant-coureur de celui qui fut le précurseur de Dieu en terre. Préparez nos âmes à saluer l’apparition de cet astre éclatant ; puissent-elles, comme la vôtre, être échauffées par ses rayons, et célébrer dignement les grandeurs que vous avez chantées en lui [42].

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Le nom de Paulin, ou plutôt de Pontius Meropius Anicius Paulinus se trouve bien à ce jour dans le Hiéronymien, mais son insertion dans le Calendrier romain ne remonte qu’à la fin du moyen âge, après qu’Othon III eut transporté son corps de Bénévent à Rome, pour le déposer dans la nouvelle basilique de Saint-Adalbert érigée par lui dans l’île Licaonia. Sous Pie X, les ossements du saint évêque de Nole furent triomphalement rapportés dans sa ville épiscopale, après cet exil dans la petite île romaine où peu de fidèles les vénéraient. Cependant, afin de rendre la perte de ces saintes reliques moins sensible pour Rome qui l’avait vu Consul suffectus en 378 après la mort de l’empereur Valens, on inséra dans le Missel une nouvelle messe de saint Paulin, et sa fête fut élevée au rite double pour l’Église universelle.

La figure de saint Paulin offre quelques points de ressemblance avec celle de saint Grégoire de Nazianze. Caractère doux, attaché à la solitude, adonné à la prière, ami de la poésie et des beaux-arts, Paulin est une des figures les plus attirantes de l’antiquité. Il n’est guère homme d’action, comme le furent Ambroise et Jérôme, il est le Saint de la contemplation, de l’art, de la poésie. Aussi ne sort-il ordinairement pas de sa retraite monastique près du cimetière du martyr de Nole, Félix ; ce sont au contraire tous les plus grands personnages de l’époque qui ont besoin de consulter l’illustre Paulin, d’aller à lui, d’être honorés de l’amitié d’un tel homme, loué par les plus grands docteurs de l’Église. Paulin mourut en 431 et ses dernières paroles furent celles du psaume lucernaris : Paravi lucernam Christo meo.

L’introït est emprunté à la fête de saint Damase le 11 décembre. La collecte est de composition récente, et selon la remarque d’un théologien, elle donne à la promesse évangélique un sens différent de celui qui lui fut attribué communément par les saints Pères. En effet, Jésus a promis le centuple à la pauvreté évangélique, non seulement dans l’autre monde, mais même en celui-ci : Centies tantum, nunc in tempore hoc... et in sæculo futuro vitam æternam [43]. « O Dieu qui, à ceux qui abandonnent tout pour votre amour, avez promis dans l’autre monde le centuple et la vie éternelle : faites que, suivant les traces du saint pontife Paulin, nous méprisions les biens caducs de la terre pour désirer seulement ceux du ciel ».

La première lecture se rapporte aux collectes ordonnées par saint Paul aux Corinthiens en faveur des églises pauvres de la Palestine (II Cor. VIII, 9-15). Jésus-Christ doit être le modèle de tous ceux qui font l’aumône, lui qui pour nous s’est fait pauvre, tout riche qu’il fût, afin de nous enrichir des mérites de sa pauvreté. En outre, la charité chrétienne rétablit dans le monde l’équilibre entre le riche et le pauvre ; en sorte que le premier supplée par son abondance à la misère de celui qui n’a rien, et que le pauvre trouve dans le riche le ministre de la magnifique Providence divine en laquelle il espère.

Cette lecture fait allusion à la renonciation de Paulin à toutes ses richesses, qu’il distribua aux pauvres quand il voulut partager avec eux jusqu’au misérable costume des moines. C’est pourquoi saint Augustin, tout pénétré d’admiration, écrivait à son ami Licentius : Vade in Campaniam, disce Paulinum :... disce quibus opibus ingenii sacrificia laudis Christo offerat, refundens illi quidquid accepit ex illo, ne amittat omnia, si non in eo reponat a quo hæc habet [44].

Néanmoins, la captivité de Paulin en Afrique, aux mains des Vandales, auxquels le saint Évêque se serait vendu lui-même pour libérer le fils d’une veuve de Noie, ne trouve aucune confirmation dans l’histoire. En 410, Nole fut occupée par les Goths et non par les Vandales. L’Évêque fut momentanément arrêté par les soldats avides de pillage, mais, comme nous le tenons de saint Augustin lui-même [45], ils ne lui firent aucun mal. La prière de Paulin au Seigneur, en cette circonstance, est remarquable : Domine, non excruciar propter aurum et argentum ; ubi enim sunt omnia mea tu scis [46].

Le répons-graduel et le verset alléluiatique sont communs à la fête de saint Pierre Chrysologue, le 4 décembre. La lecture évangélique est identique à celle de la messe de saint Pierre Nolasque, le 31 janvier. Les antiennes de l’offertoire et de la Communion sont tirées de la messe des Confesseurs pontifes, comme le 4 février.

Les deux collectes sont spéciales. Elles accusent un rédacteur moderne. Elles sont remplies de bonnes pensées, mais il leur manque, en même temps que le cursus, cette rotunditas et cette concinnitas qui distinguent les collectes des Sacramentaires romains.

Sur les oblations : « Faites, Seigneur, que, à l’exemple de votre saint pontife Paulin, nous joignions à l’oblation déposée sur le saint autel le sacrifice d’une charité parfaite ; afin que, par les mérites de notre bienfaisance envers les pauvres, nous puissions nous-mêmes être dignes de votre miséricorde ». Après la Communion : « Par les mérites de ce Sacrifice, accordez-nous, Seigneur, ces sentiments de piété et d’humilité qu’à la même source divine puisait votre saint pontife Paulin ; par l’intercession de celui-ci, soyez généreux pour répandre les richesses de votre grâce sur tous ceux qui vous invoquent ».

Nous aimons à rapporter ici la belle inscription que Paulin fit peindre sous la croix qui ornait les deux côtés de la façade de la basilique de saint Félix de Nole :

ARDVA • FLORIFERA • CRVX • CINGITVR • ORBE • CORONÆ
ET • DOMINI • FVSO • TINCTA • CRVORE • RVBET
QVÆQVE - SVPER • SIGNVM • RESIDENT • CÆLESTE • COLVMBÆ
SIMPLICIBVS • PRODVNT • REGNA • PATERE • DEI
La haute croix est entourée d’une couronne de fleurs.
Elle est rouge à cause du Sang répandu par le Seigneur.
Quant aux colombes, posées sur le céleste trophée,
Elles indiquent que le royaume de Dieu est ouvert aux âmes simples.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

Je prépare un flambeau pour mon oint.

1. Saint Paulin. — Jour de mort : 22 juin 431. Tombeau : d’abord à Nole, ensuite à Bénévent, et plus tard à Rome. Pie X fit reporter ses reliques à Nole. Vie : Pontius Meropius Anicius Paulinus naquit à Bordeaux, en 353, d’une famille distinguée. Il fut formé à l’école du rhéteur Ausone. Tout jeune, il parvint à la dignité de sénateur et même de consul. Nommé gouverneur de Campanie, il choisit comme résidence la ville de Nole. C’est là qu’il fut converti par saint Félix de Nole à la foi chrétienne. Il renonça à ses dignités et retourna en Gaule. Devenu aveugle, il fut guéri par saint Martin de Tours. En Espagne, il fut ordonné prêtre malgré sa résistance. D’Espagne, il revint à Nole sur le tombeau du saint à qui il devait la foi. Il devint évêque de Nole en 409. C’était un écrivain et un poète. Il fut en relation avec les hommes de science et de vertu de son temps, comme saint Ambroise et saint Augustin. Au moment de l’invasion des Vandales, il employa tous les moyens pour nourrir les pauvres. Une veuve lui ayant demandé une rançon pour racheter son fils, il se laissa emmener lui-même comme prisonnier. Grâce au secours de Dieu, il put revenir vers son troupeau. Il mourut en 431, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Ses dernières paroles furent celles-ci : « Je prépare un flambeau pour mon oint » (Ps. 131). Sa vertu particulière fut l’amour du prochain.

2. La messe (Sacerdótes). — Elle est composée de différents textes du Commun et reflète en partie la vie de notre saint. A l’Introït et au Graduel, nous voyons devant nous le vénérable évêque. A l’Épître, Paulin nous prêche la pauvreté du Christ : « bien qu’il fût riche, il s’est fait pauvre à cause de vous pour vous enrichir par sa pauvreté ». Dans l’Évangile, nous entendons encore la même doctrine de la bouche du Seigneur : « Vendez ce que vous avez et donnez-en le prix aux pauvres ». Notre saint a réalisé ce conseil à la lettre ; sa prédication en est d’autant plus efficace. Il fut aussi « le bon et fidèle serviteur que le Seigneur a établi sur sa famille » ; il ne se contenta pas de lui donner la mesure de froment eucharistique, mais, « au temps » de la famine, il lui donna aussi la mesure de blé terrestre et, quand il n’eut plus rien à donner, il se donna lui-même comme prisonnier. La Secrète propre (le sacrifice de la charité parfaite en union avec le sacrifice de l’autel) et la Postcommunion (c’est à la source divine de l’Eucharistie que saint Paulin a puisé l’amour compatissant et l’humilité) méritent d’être méditées attentivement.

3. La prière des Heures. — Les leçons du deuxième nocturne, qui nous racontent la vie de saint Paulin, sont empruntées au bref du pape Pie X (1908). C’est un modèle classique de biographie liturgique conforme aux règles de la critique historique. Les leçons du troisième nocturne sont tirées d’une homélie de saint Paulin lui-même. Le saint parle de sa vertu de prédilection, de la pauvreté : « Le Seigneur tout-puissant aurait pu rendre tous les hommes également riches en biens de la terre de sorte que personne n’aurait eu besoin d’un autre ». Mais il ne le voulut pas parce qu’il voulait éprouver les dispositions des hommes. « Il créa les pauvres pour provoquer la miséricorde des hommes ; il créa les faibles pour mettre à l’épreuve les puissants. La pauvreté de ton frère est pour toi un capital si tu prends soin du pauvre et du nécessiteux ».

Benoît XVI, catéchèses, 12 décembre 2007

Chers frères et sœurs, Le Père de l’Église sur lequel nous portons aujourd’hui notre attention est saint Paulin de Nole. Contemporain de saint Augustin, auquel il fut lié par une vive amitié, Paulin exerça son ministère en Campanie, à Nole, où il fut moine, puis prêtre et Évêque. Il était cependant originaire d’Aquitaine, dans le sud de la France et précisément de Bordeaux, où il était né dans une famille de haut rang. Il y reçut une bonne formation littéraire, ayant pour maître le poète Ausone. Il s’éloigna une première fois de son pays natal pour suivre une carrière politique précoce, qui le vit accéder, encore à un jeune âge, à la charge de gouverneur de la Campanie. Dans cette carrière publique, il fit admirer ses dons de sagesse et de douceur. Ce fut au cours de cette période que la grâce fit germer dans son cœur la semence de la conversion. L’impulsion vint de la foi simple et intense avec laquelle le peuple honorait la tombe d’un saint, le martyr Félix, dans le Sanctuaire de l’actuel Cimitile. En tant que responsable du bien public, Paulin s’intéressa à ce Sanctuaire et fit construire un hospice pour les pauvres et une route pour rendre l’accès aux nombreux pèlerins plus aisé.

Tandis qu’il œuvrait pour construire la cité terrestre, il découvrait la route vers la cité céleste. La rencontre avec le Christ fut le point d’arrivée d’un chemin difficile, semé d’épreuves. Des circonstances douloureuses, à commencer par la disparition des faveurs de l’autorité politique, lui firent toucher du doigt l’aspect éphémère des choses. Après avoir découvert la foi, il écrira : « L’homme sans le Christ n’est que poussière et ombre » [47]. Souhaitant faire la lumière sur le sens de l’existence, il se rendit à Milan pour se mettre à l’école d’Ambroise. Il compléta ensuite sa formation chrétienne dans sa terre natale, où il reçut le baptême des mains de l’Évêque Delphin de Bordeaux. Sur son parcours de foi se trouve également le mariage. Il épousa en effet Teresia, une pieuse noble dame de Barcelone, dont il eut un fils. Il aurait continué à vivre en bon laïc chrétien, si la mort de son enfant après quelques jours ne fût pas arrivée pour l’ébranler, lui montrant que le dessein de Dieu pour sa vie était un autre. Il se sentit en effet appelé à se donner au Christ dans une vie ascétique rigoureuse.

En plein accord avec son épouse Teresia, il vendit ses biens au profit des pauvres et, avec elle, quitta l’Aquitaine pour Nole, où les deux époux établirent leur demeure à côté de la Basilique du protecteur saint Félix, vivant désormais dans une chasteté fraternelle, selon une forme de vie que d’autres personnes adoptèrent. Le rythme communautaire était typiquement monastique, mais Paulin, qui avait été ordonné prêtre à Barcelone, commença également à s’engager dans le ministère sacerdotal en faveur des pèlerins. Cela lui valut la sympathie et la confiance de la communauté chrétienne, qui, à la mort de l’Évêque, vers 409, voulut le choisir comme successeur sur la chaire de Nole. Son action pastorale s’intensifia, se caractérisant par une attention particulière à l’égard des pauvres. Il laissa l’image d’un authentique pasteur de la charité, comme le décrivit saint Grégoire le Grand dans le chapitre III de ses Dialogues, où Paulin est décrit alors qu’il accomplit le geste héroïque de s’offrir comme prisonnier à la place du fils d’une veuve. L’épisode est historiquement controversé, mais il nous reste la figure d’un Évêque au grand cœur, qui sut rester proche de son peuple face aux tristes événements des invasions barbares.

La conversion de Paulin impressionna ses contemporains. Son maître Ausone, un poète païen, se sentit "trahi", et lui adressa des paroles amères, lui reprochant d’une part le "mépris", jugé insensé, des biens matériels et, de l’autre, l’abandon de la vocation de lettré. Paulin répliqua que son don aux pauvres ne signifiait pas le mépris des choses terrestres, mais plutôt leur valorisation pour l’objectif plus élevé de la charité. Quant aux engagements littéraires, ce dont Paulin avait pris congé n’était pas le talent poétique, qu’il aurait continué à cultiver, mais les thèmes poétiques inspirés de la mythologie et des idéaux païens. Une nouvelle esthétique gouvernait désormais sa sensibilité : il s’agissait de la beauté du Dieu incarné, crucifié et ressuscité, dont il se faisait maintenant le chantre. En réalité, il n’avait pas abandonné la poésie, mais il puisait désormais son inspiration dans l’Évangile, comme il le dit dans ce vers : « Pour moi l’unique art est la foi, et le Christ est ma poésie » [48].

Ses chants sont des textes de foi et d’amour, dans lesquels l’histoire quotidienne des petits et des grands événements est comprise comme l’histoire du salut, comme l’histoire de Dieu parmi nous. Un grand nombre de ces compositions, intitulées "Chants de Noël", sont liées à la fête du martyr Félix, qu’il avait élu comme Patron céleste. En rappelant saint Félix, il entendait glorifier le Christ lui-même, ayant la ferme conviction que l’intercession du saint lui avait obtenu la grâce de la conversion : « Dans ta lumière, joyeux, j’ai aimé le Christ » [49]. Il voulut exprimer ce même concept en agrandissant les dimensions du sanctuaire avec une nouvelle Basilique, qu’il fit décorer de manière à ce que les peintures, expliquées par des légendes appropriées, puissent constituer une catéchèse visible pour les pèlerins. Il expliquait ainsi son projet d’un Chant consacré à un autre grand catéchète, saint Nicetas de Remesiana, alors qu’il l’accompagnait pendant la visite dans ses Basiliques : « Je désire à présent que tu contemples les peintures qui se déroulent en une longue série sur les murs des portiques peints... Il nous a semblé utile de représenter grâce à la peinture des thèmes sacrés dans toute la maison de Félix, dans l’espérance que, à la vue de ces images, la figure peinte suscite l’intérêt des esprits émerveillés des paysans » [50]. Aujourd’hui encore, on peut admirer les restes de ces réalisations, qui placent à juste titre le saint de Nole parmi les figures de référence de l’archéologie chrétienne.

Dans la retraite ascétique de Cimitile, la vie s’écoulait dans la pauvreté, dans la prière, entièrement plongée dans la "lectio divina". L’Écriture lue, méditée, assimilée, était la lumière sous le rayon de laquelle le saint de Nole examinait son âme, dans une tension vers la perfection. A ceux qui l’admiraient d’avoir pris la décision d’abandonner les biens matériels, il rappelait que ce geste était bien loin de représenter la pleine conversion : « L’abandon ou la vente des biens temporels possédés dans ce monde ne constitue pas l’accomplissement, mais seulement le début de la course dans le stade ; ce n’est pas, pour ainsi dire, le but, mais seulement le départ. En effet, l’athlète ne gagne pas au moment où il se déshabille, car il dépose ses vêtements précisément pour commencer à lutter ; mais il n’est digne d’être couronné comme vainqueur qu’après avoir combattu comme il se doit » [51].

A côté de l’ascèse et de la parole de Dieu, la charité : dans la communauté monastique les pauvres étaient chez eux. Paulin ne se limitait pas à leur faire l’aumône : il les accueillait comme s’ils étaient le Christ lui-même. Il leur avait réservé une partie du monastère et, en agissant ainsi, il ne lui semblait pas tant donner que recevoir, dans un échange de don entre l’accueil offert et la gratitude orante des assistés. Il appelait les pauvres ses "patrons" [52] et, observant qu’ils étaient logés à l’étage inférieur, il aimait dire que leur prière servait de fondement à sa maison [53].

Saint Paulin n’écrivit pas de traités de théologie, mais ses chants et sa correspondance intense sont riches d’une théologie vécue, imprégnée par la Parole de Dieu, constamment étudiée comme une lumière pour la vie. Le sens de l’Église comme mystère d’unité apparaît en particulier. Il vivait surtout la communion à travers une intense pratique de l’amitié spirituelle. Paulin fut un véritable maître à cet égard, faisant de sa vie un carrefour d’esprits élus : de Martin de Tours à Jérôme, d’Ambroise à Augustin, de Delphin de Bordeaux à Nicetas de Remesiana, de Victrix de Rouen à Rufin d’Aquilée, de Pammachius à Sulpice Sévère, et à tant d’autres encore, plus ou moins célèbres. C’est dans ce climat que naissent les pages intenses écrites à Augustin. Au-delà du contenu de chaque lettre, on est impressionné par la chaleur avec laquelle le saint de Nole célèbre l’amitié elle-même, en tant que manifestation de l’unique Corps du Christ animé par l’Esprit Saint. En voici un passage significatif, au début de la correspondance entre les deux amis : « Il ne faut pas s’émerveiller si, bien qu’étant loin, nous sommes présents l’un à l’autre et sans nous être connus nous nous connaissons, car nous sommes les membres d’un seul corps, nous avons un unique chef, nous sommes inondés par une unique grâce, nous vivons d’un seul pain, nous marchons sur une unique voie, nous habitons la même maison » [54]. Comme on peut le voir, il s’agit d’une très belle description de ce que signifie être chrétiens, être Corps du Christ, vivre dans la communion de l’Église. La théologie de notre époque a précisément trouvé dans le concept de communion, la clef pour approcher du mystère de l’Église. Le témoignage de saint Paulin de Nole nous aide à percevoir l’Église, telle que nous la présente le Concile Vatican II, comme un sacrement de la communion intime avec Dieu et ainsi de l’unité de nous tous et enfin de tout le genre humain [55].

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[1] Ausone, qui professait à Bordeaux, devint précepteur du fils de Valentinien II et fut élevé aux plus hautes dignités. Paulin fut son élève et le remercia dans une pièce de vers qui a été conservée.

[2] Paulin devint sénateur, charge correspondante à cette époque à celle de conseiller communal, dans le sens où, à Rome, à l’époque du pouvoir temporel, existait le sénateur de Rome. Il fut ensuite consul. Les provinces romaines étaient tirées au sort entre les consuls, qui, d’ailleurs, s’arrangeaient souvent entre eux pour prévenir le sort. C’est ainsi que Paulin reçut la Campanie (pays voisin de Naples) et établit sa résidence au chef-lieu, qui était Nole.

[3] Le consul était accompagné de licteurs, sorte d’huissiers qui portaient les faisceaux, formés de verges, et la hache. C’était le signe du pouvoir suprême du consul qui faisait exécuter la peine de mort. Paulin n’avait pas encore voulu l’exécuter ou n’avait pas eu l’occasion de le faire.

[4] Un bon nombre de ses œuvres ont été conservées. (Voir l’homélie au Second Nocturne et la note).

[5] A cette époque, on est aux invasions des barbares : les Ostrogoths, puis les Vandales, qui allèrent s’établir en Afrique. Plus tard, les Lombards ou Loagobards envahirent l’Italie.

[6] Toute cette homélie a, dans l’original latin, un caractère poétique ; notamment la fin qui est, pour ainsi dire, versifiée ; elle abonde en images, ce qui est le caractère du style de l’époque où elle fut écrite.

[7] Paulin. Ep. XXXVI, 3, ad Amandum.

[8] Poema XXII, ad Jovium, vers. 83-85.

[9] Poem. XXI, natalit. XIII, v. 365-374.

[10] Poem. ultimum, v. 1-3.

[11] Matth. XIX, 21.

[12] Epist. XXXV, ad Delphinum.

[13] Auson. Ep. XXIII, ad Paulin., v. 116.

[14] Poem. XXI, natal, XIII, v. 426-427.

[15] Ep. XXIV, 7, ad Severum.

[16] Hieron. Ep. LIII, 10, ad Paulin.

[17] Poem. ultim., v. 158.

[18] Ep. XVI, 8, ad Jovium.

[19] Hieron. Ep. LVIII, 4-5, ad Paulin.

[20] Poem. XV, natal, IV, V. 15-20.

[21] Poem. XII, natal. I, v. 31 -38.

[22] I Cor. I, 23.

[23] Ambr. Ep. LVIII, 3, ad Sabinum.

[24] Paulin. Ep. XXXVIII, 7, ad Apruni.

[25] Ep. 1, 2, 6, ad Severum.

[26] Matth. VIII, 22.

[27] Poema X, ad Ausonium, passim.

[28] Ep. XLV, 4, ad Augustinum.

[29] Ep. V, 13-14, ad Severum.

[30] Ces textes du 2nd nocturne de la fête de St Paulin furent modifiés en 1908.

[31] Matth. XI, 12.

[32] Ep. XIII, 15, ad Pammachium.

[33] Poema XXI, natal, XIII, v. 60-99, 203-343.

[34] Prima chori Albina est, compar et Hærasia,
Jungitur hoc germana jugo, ut sit tertia princeps
Agminis, hymnisonis mater Avita choris.

Has procerum numerosa cohors, et concolor uno
Vellere virginea : sequitur sacra turba catervæ.

[35] Apoc. XVII, 5-6.

[36] Rom. IV, 16-21.

[37] Poema XXI, natal. XIII, v. 227-240.

[38] Ep. v, 6, ad Severum.

[39] Johan. VIII, 32.

[40] Luc. VIII, 11.

[41] Marc, IV, 22.

[42] Poema VI, de S. Johanne Baptista.

[43] Marc., X, 30 : cent fois autant, maintenant, en ce temps présent, … et, dans le siècle futur, la vie éternelle.

[44] P. L., XXXIII, col. 107. Allez en Campanie, apprenez de Paulin… apprenez de quelle richesse d’esprit il fait à Dieu des sacrifices de louange, lui rapportant ce qu’il en a reçu de bon, de peur de tout perdre s’il ne le rend pas à celui de qui il le tient.

[45] Lib. I. De Civit. Dei, c. X, P. L., XLI, col. 24.

[46] Seigneur, ne permettez pas que je sois tourmenté pour de l’or ou de l’argent ; car vous savez où sont tous mes biens.

[47] Chant X, 289.

[48] « At nobis ars una fides, et musica Christus » : Chant XX, 32.

[49] Chant XXI, 373.

[50] Chant XXVII, vv. 511.580-583.

[51] Cf. Ep. XXIV, 7 à Sulpice Sévère.

[52] Cf. Ep. XIII, 11 à Pammachius.

[53] Cf. Chant XXI, 393-394.

[54] Ep. 6, 2.

[55] Cf. Lumen gentium, n. 1.