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04/08 St Dominique, confesseur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Messe au propre Dominicain  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses (3 février 2010)  

Né en 1170, fonde l’Ordre des Prêcheurs en 1215, meurt le 6 août 1221. Canonisé par Grégoire IX 1234, fête depuis 1254 (fixée au 5 août sous le rang de semidouble). Paul IV anticipa la fête au 4 août en 1558. St Pie V l’éleva au rang de double en 1568, puis Léon XIII au rand de double-majeur en 1883.

Textes de la Messe

die 4 augusti
le 4 août
SANCTI DOMINICI
SAINT DOMINIQUE
Conf.
Confesseur
III classis (ante CR 1960 : duplex maius)
IIIème classe (avant 1960 : double majeur)
Ant. ad Introitum. Ps. 36, 30-31.Introït
Os iusti meditábitur sapiéntiam, et lingua eius loquétur iudícium : lex Dei eius in corde ipsíus.La bouche du juste méditera la sagesse et sa langue proférera l’équité : la loi de son Dieu est dans son cœur.
Ps. Ibid., 1.
Noli æmulári in malignántibus : neque zeláveris faciéntes iniquitátem.Ne porte pas envie au méchant : et ne sois pas jaloux de ceux qui commettent l’iniquité.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui Ecclésiam tuam beáti Dominici Confessóris tui illumináre dignátus es méritis et doctrinis : concéde ; ut eius intercessióne temporalibus non destituatur auxiliis, et spiritualibus semper profíciat increméntis. Per Dóminum nostrum.Dieu, vous avez daigné éclairer votre Église par les mérites et les leçons du bienheureux Dominique, votre Confesseur : faites que, par son intercession, elle ne soit pas privée des secours temporels, et qu’elle fasse toujours de nouveaux progrès dans les voies spirituelles.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Timotheum.Lecture de l’Épître de Saint Paul Apôtre à Timothée.
2. Tim. 4, 1-8.
Caríssime : Testíficor coram Deo, et Iesu Christo, qui iudicatúrus est vivos et mórtuos, per advéntum ipsíus et regnum eius : prǽdica verbum, insta opportúne, importune : árgue, óbsecra, íncrepa in omni patiéntia, et doctrína. Erit enim tempus, cum sanam doctrínam non sustinébunt, sed ad sua desidéria, coacervábunt sibi magistros, pruriéntes áuribus, et a veritáte quidem audítum avértent, ad fábulas autem converténtur. Tu vero vígila, in ómnibus labóra, opus fac Evangelístæ, ministérium tuum ímpie. Sóbrius esto. Ego enim iam delíbor, et tempus resolutiónis meæ instat. Bonum certámen certávi, cursum consummávi, fidem servávi. In réliquo repósita est mihi coróna iustítiæ, quam reddet mihi Dóminus in illa die, iustus iudex : non solum autem mihi, sed et iis, qui díligunt advéntum eius.Mon bien-aimé : je t’adjure, devant Dieu et Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et par son règne, prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, supplie, menace, en toute patience et toujours en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre. Car pour moi, je vais être immolé, et le temps de ma dissolution approche, j’ai combattu le bon combat, j’ai achève ma course, j’ai gardé la foi. Reste la couronne de justice qui m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ; et non seulement à moi, mais aussi à ceux qui aiment son avènement.
Graduale. Ps. 91, 13 et 14.Graduel
Iustus ut palma florébit : sicut cedrus Líbani multiplicábitur in domo Dómini.Le juste fleurira comme le palmier : et il se multipliera comme le cèdre du Liban dans la maison du Seigneur.
V/. Ibid., 3. Ad annuntiándum mane misericórdiam tuam, et veritátem tuam per noctem.V/. Pour annoncer le matin votre miséricorde et votre vérité durant la nuit.
Allelúia. V/. Osee 14, 6. Iustus germinábit sicut lílium : et florébit in ætérnum ante Dóminum. Allelúia.Allelúia. V/. Le juste germera comme le lis : et il fleurira éternellement en présence du Seigneur. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Lucam.Suite du Saint Évangile selon saint Luc.
Luc. 12, 35-40.
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Sint lumbi vestri præcíncti, et lucernæ ardéntes in mánibus vestris, et vos símiles homínibus exspectántibus dóminum suum, quando revertátur a núptiis : ut, cum vénerit et pulsáverit, conféstim apériant ei. Beáti servi illi, quos, cum vénerit dóminus, invénerit vigilántes : amen, dico vobis, quod præcínget se, et fáciet illos discúmbere, et tránsiens ministrábit illis. Et si vénerit in secúnda vigília, et si in tértia vigília vénerit, et ita invénerit, beáti sunt servi illi. Hoc autem scitóte, quóniam, si sciret paterfamílias, qua hora fur veníret, vigiláret útique, et non síneret pérfodi domum suam. Et vos estóte paráti, quia, qua hora non putátis, Fílius hóminis véniet.En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Que vos reins soient ceints, et les lampes allumées dans vos mains. Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin que, lorsqu’il arrivera et frappera, ils lui ouvrent aussitôt. Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ; en vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera asseoir à table, et passant devant eux, il les servira. Et, s’il vient à la seconde veille, s’il vient à la troisième veille, et qu’il les trouve en cet état, heureux sont ces serviteurs ! Or, sachez que, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait certainement, et ne laisserait pas percer sa maison. Vous aussi, soyez prêts ; car, à l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra.
Ant. ad Offertorium. Ps. 88, 25.Offertoire
Véritas mea et misericórdia mea cum ipso : et in nómine meo exaltábitur cornu eius.Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui : et par mon nom s’élèvera sa puissance.
SecretaSecrète
Múnera tibi, Dómine, dicáta sanctífica : ut, méritis beáti Domínici Confessóris tui, nobis profíciant ad medélam. Per Dóminum.Rendez saints, ô Seigneur, les dons qui vous sont dédiés, afin que, par les mérites du bienheureux Dominique, votre Confesseur, ils nous servent de remède spirituels.
Ant. ad Communionem. Luc. 12, 42.Communion
Fidélis servus et prudens, quem constítuit dóminus super famíliam suam : ut det illis in témpore trítici mensúram.Voici le dispensateur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs : pour leur donner au temps fixé, leur mesure de blé.
PostcommunioPostcommunion
Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut, qui peccatórum nostrórum póndere prémimur, beáti Domínici Confessóris tui patrocínio sublevémur. Per Dóminum.Accordez-nous, nous vous le demandons, ô Dieu tout-puissant : qu’alors que nous nous sentons accablés sous le poids de nos péchés, nous soyons soulagés par le patronage du bienheureux Dominique, votre Confesseur.

Messe au propre Dominicain

l’article propre ici

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Office

Leçons des Matines avant 1960.

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Dominique naquit à Calahorra en Espagne, de la noble famille des Gusman. Il s’appliqua à Palencia à l’étude de la littérature et de la théologie ; et les grands succès qu’il y obtint lui valurent un bénéfice de Chanoine régulier de l’église d’Osma. Plus tard, il fonda l’Ordre des Frères Prêcheurs. Sa mère avait eu un songe pendant sa grossesse : il lui semblait porter en elle un petit chien tenant dans sa gueule une torche allumée avec laquelle, une fois sorti de son sein, il embraserait tout l’univers. Ce songe présageait que la sainteté et la doctrine éclatantes de Dominique enflammeraient les populations d’une grande ardeur pour la pratique de la piété chrétienne. Ce qui arriva dans la suite vérifia le présage ; lui-même en a commencé la réalisation, et il l’a continuée par les membres de son Ordre.

Cinquième leçon. Ce en quoi son talent et sa vigueur se signalèrent le plus, ce fut à combattre les hérétiques, qui essayaient de pervertir les Toulousains par de pernicieuses erreurs. Il employa sept ans à cette œuvre ; après quoi il se rendit à Rome, au concile de Latran, avec l’Évêque de Toulouse, pour obtenir d’Innocent III la confirmation de l’Ordre qu’il avait institué. Pendant qu’on en délibérait, Dominique retourna vers ses disciples, sur le conseil des Pontifes, afin de choisir une règle. Quand il revint à Rome, Honorius III, successeur immédiat d’Innocent, lui accorda la confirmation de l’Ordre des Prêcheurs. Il établit à Rome deux couvents, l’un d’hommes, l’autre de femmes. Il rappela trois morts à la vie et fit beaucoup d’autres miracles qui contribuèrent singulièrement à propager son Ordre.

Sixième leçon. Grâce à lui, des couvents s’étaient élevés partout, et un très grand nombre de personnes réglaient leur vie selon la religion et la piété, lorsqu’il fut pris de la fièvre à Bologne, l’an du Christ mil deux cent vingt et un. Comprenant qu’il allait mourir, il appela ses frères et ceux qui se formaient sous sa direction ; il les exhorta à l’innocence et à l’intégrité des mœurs. Enfin il leur laissa en testament, comme patrimoine assuré, la chanté, l’humilité et la pauvreté. Au moment où tous les frères en prières dirent ces mots ; « Saints de Dieu, venez à son secours ; Anges, venez à sa rencontre » il s’endormit dans le Seigneur, le huitième jour des ides d’août. Dans la suite, le Pape Grégoire IX le mit au nombre des Saints.

Au troisième nocturne.

Lecture du saint Évangile selon saint Luc. Cap. 12, 35-40.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Que vos reins soient ceints, et les lampes allumées dans vos mains. Et le reste.

Homélie de saint Grégoire, Pape. Homilia 13 in Evang.

Septième leçon. Mes très chers frères, le sens de la lecture du saint Évangile que vous venez d’entendre est très clair. Mais de crainte qu’elle ne paraisse, à cause de sa simplicité même, trop élevée à quelques-uns, nous la parcourrons brièvement, afin d’en exposer la signification à ceux qui l’ignorent, sans cependant être à charge à ceux qui la connaissent. Le Seigneur dit : « Que vos reins soient ceints ». Nous ceignons nos reins lorsque nous réprimons les penchants de la chair par la continence. Mais parce que c’est peu de chose de s’abstenir du mal, si l’on ne s’applique également, et par des efforts assidus, à faire du bien, notre Seigneur ajoute aussitôt : « Ayez en vos mains des lampes allumées ». Nous tenons en nos mains des lampes allumées, lorsque nous donnons à notre prochain, par nos bonnes œuvres, des exemples qui l’éclairent. Le Maître désigne assurément ces œuvres-là, quand il dit : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ».

Huitième leçon. Voilà donc les deux choses commandées : ceindre ses reins, et tenir des lampes ; ce qui signifie que la chasteté doit parer notre corps, et la lumière de la vérité briller dans nos œuvres. L’une de ces vertus n’est nullement capable de plaire à notre Rédempteur si l’autre ne l’accompagne. Celui qui fait des bonnes actions ne peut lui être agréable s’il n’a renoncé à se souiller par la luxure, ni celui qui garde une chasteté parfaite, s’il ne s’exerce à la pratique des bonnes œuvres. La chasteté n’est donc point une grande vertu sans les bonnes œuvres, et les bonnes œuvres ne sont rien sans la chasteté. Mais si quelqu’un observe les deux préceptes, il lui reste le devoir de tendre par l’espérance à la patrie céleste, et de prendre garde qu’en s’éloignant des vices, il ne le fasse pour l’honneur de ce monde.

Neuvième leçon. « Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin que lorsqu’il viendra et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt ». Le Seigneur vient en effet quand il se prépare à nous juger ; et il frappe à la porte, lorsque, par les peines de la maladie, il nous annonce une mort prochaine. Nous lui ouvrons aussitôt, si nous l’accueillons avec amour. Il ne veut pas ouvrir à son juge lorsqu’il frappe, celui qui tremble de quitter son corps, et redoute de voir ce juge qu’il se souvient avoir méprisé ; mais celui qui se sent rassuré, et par son espérance et par ses œuvres, ouvre aussitôt au Seigneur lorsqu’il frappe à la porte, car il reçoit son Juge avec joie. Et quand le moment de la mort arrive, sa joie redouble à la pensée d’une glorieuse récompense.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Aux lieux où protégée par le Lion de Castille est assise l’heureuse Callaroga, naquit l’amant passionné de la foi chrétienne, le saint athlète, doux aux siens et dur aux ennemis. A peine créée, son âme fut remplie d’une vertu si vive que, dans sa mère encore, il prophétisa. Quand sur les fonts sacrés furent conclues entre lui et la foi les fiançailles, la répondante qui pour lui donna consentement vit en songe le fruit merveilleux qui devait sortir de lui et de sa race. Dominique il fut appelé, étant tout au Seigneur ; ô bien nommé aussi son père Félix, ô bien nommée Jeanne sa mère, si ces noms signifient ce qu’on dit [1] ! Plein de doctrine et aussi d’énergie, sous l’impulsion apostolique, il fut le torrent qui s’échappe d’une veine profonde ; plus impétueux là où plus forte était la résistance, il s’élançait déracinant les hérésies ; puis il se partagea en plusieurs ruisseaux qui arrosent le jardin catholique et ravivent ses plantes » [2].

Éloge vraiment digne des cieux, placé par Dante, au paradis, sur les lèvres du plus illustre fils du pauvre d’Assise. Dans le voyage du grand poète à travers l’empyrée, il convenait que Bonaventure exaltât le patriarche des Prêcheurs, comme, au chant précédent, Thomas d’Aquin, fils de Dominique, avait célébré le père de la famille à l’humble cordon. François et Dominique donnés pour guides au monde « afin que s’approchât du Bien-Aimé, plus confiante et plus fidèle, l’Épouse de celui qui, jetant un grand cri vers son Père, s’unit à elle dans son sang béni ! parler de l’un, c’est célébrer les deux, tant leurs œuvres allèrent à même fin ; l’un fut tout séraphique en son ardeur, l’autre parut un rayonnement de la lumière des chérubins » [3]. Sagesse du Père, vous fûtes à tous deux leur amour ; pauvreté de François, vrai trésor de l’âme, foi de Dominique, incomparable splendeur de l’exil : deux aspects d’ici-bas traduisant, pour le temps de l’épreuve et de l’ombre, votre adorable unité.

En effet, dit avec non moins de profondeur et une autorité plus grande l’immortel Pontife Grégoire IX, « la source de la Sagesse, le Verbe du Père, notre Seigneur Jésus-Christ, dont la nature est bonté, dont l’œuvre est miséricorde, n’abandonne point dans la traversée des siècles la vigne qu’il a tirée de l’Égypte ; il subvient par des signes nouveaux à l’instabilité des âmes, il adapte ses merveilles aux défaillances de l’incrédulité. Lors donc que le jour penchait déjà vers le soir et que, l’abondance du mal glaçant la charité, le rayon de la justice inclinait au couchant, le Père de famille voulut rassembler les ouvriers propres aux travaux de la onzième heure ; pour dégager sa vigne des ronces qui l’avaient envahie et en chasser la multitude funeste des petits renards qui travaillaient à la détruire [4], il suscita les bataillons des Frères Prêcheurs et Mineurs avec leurs chefs armés pour le combat » [5].

Or, dans cette expédition du Dieu des armées, Dominique fut « le coursier de sa gloire, poussant intrépide, dans le feu de la foi, le hennissement de la divine prédication » [6]. Octobre dira la très large part qu’eut au combat le compagnon que lui donna le ciel, apparaissant comme l’étendard vivant du Christ en croix, au milieu d’une société où la triple concupiscence prêtait la main à toute erreur pour battre en brèche sur tous les points le christianisme même.

Comme François, Dominique, rencontrant partout cette complicité de la cupidité avec l’hérésie qui sera désormais la principale force des faux prédicants, prescrivit aux siens la plus absolue désappropriation des biens de ce monde et se fit lui aussi mendiant pour le Christ. Le temps n’était plus où les peuples, acclamant toutes les conséquences de la divine Incarnation, constituaient à l’Homme-Dieu le plus immense domaine territorial qui fut jamais, en même temps qu’ils plaçaient son vicaire à la tête des rois. Après avoir tenté vainement d’humilier l’Épouse en soumettant le sacerdoce à l’empire, les descendants indignes des fiers chrétiens d’autrefois reprochaient à l’Église la possession de ces biens dont elle n’était que la dépositaire au nom du Seigneur ; pour la Colombe du saint Cantique, l’heure avait sonné de commencer par l’abandon du sol son mouvement de retraite vers les cieux.

Mais si les deux princes de la lutte mémorable qui enraya un temps le progrès de l’ennemi se rencontrèrent dans l’accueil fait par eux à la sainte pauvreté, celle-ci pourtant resta plus spécialement la souveraine aimée du patriarche d’Assise, Dominique, qui comme lui n’avait en vue que l’honneur de Dieu et le salut des âmes, reçut à cette fin en partage plus direct la science ; partage excellent [7], plus fertile que celui de la fille de Caleb [8] : moins de cinquante ans après que Dominique en eut transmis l’héritage à sa descendance, l’irrigation sagement combinée des eaux inférieures et supérieures de la raison et de la foi y amenait à plein développement l’arbre de la science théologique, aux racines puissantes, aux rameaux plus élevés que tout nuage montant de la terre, où les oiseaux de toutes les tribus qui sont sous le ciel aiment à venir se poser sans crainte et fixer le soleil.

Ce fut bien « sur la lumière », dit Dieu à sainte Catherine de Sienne, « que le père des Prêcheurs établit son principe, en en faisant son objet propre et son arme de combat ; il prit pour lui l’office du Verbe mon Fils, semant ma parole, dissipant les ténèbres, éclairant la terre ; Marie, par qui je le présentai au monde, en fit l’extirpateur des hérésies » [9]. Ainsi, nous l’avons vu, disait de son côté un demi-siècle plus tôt le poète florentin ; l’Ordre appelé à devenir le principal appui du Pontife suprême dans la poursuite des doctrines subversives devait, s’il se peut, justifier l’expression mieux encore que son patriarche : le premier des tribunaux de la sainte Église, la sainte Inquisition romaine universelle, le Saint-Office, investi en toute vérité de l’office du Verbe au glaive à deux tranchants [10]) pour convertir ou châtier, n’eut pas d’instrument plus fidèle et plus sûr.

Pas plus que la vierge de Sienne, l’illustre auteur de la Divine Comédie n’eût soupçonné qu’un temps dût venir, où le premier titre de la famille dominicaine à l’amour reconnaissant des peuples serait discuté en certaine école apologétique, et là écarté comme une insulte ou dissimulé comme une gêne. Le siècle présent met sa gloire dans un libéralisme qui a fait ses preuves en multipliant les ruines et, philosophiquement, ne repose que sur l’étrange confusion de la licence avec la liberté ; il ne fallait rien moins que cet affaissement intellectuel de nos tristes temps, pour ne plus comprendre que, dans une société où la foi est la base des institutions comme elle est le principe du salut de tous, nul crime n’égale celui d’ébranler le fondement sur lequel repose ainsi avec l’intérêt social le bien le plus précieux des particuliers. Ni l’idéal de la justice, ni davantage celui de la liberté, ne consiste à laisser à la merci du mal ou du mauvais le faible qui ne peut se garder lui-même : la chevalerie fit de cette vérité son axiome, et ce fut sa gloire ; les frères de Pierre Martyr dévouèrent leur vie à protéger contre les surprises du fort armé [11] et la contagion qui se glisse dans la nuit [12] la sécurité des enfants de Dieu : ce fut l’honneur « de la troupe sainte que Dominique conduit par un chemin où l’on profite, si l’on ne s’égare pas » [13].

Et quels plus vrais chevaliers que ces athlètes de la foi [14], prenant leur engagement sacré sous forme d’hommage lige [15], et choisissant pour Dame celle qui, puissante comme une armée [16], extermine seule les hérésies dans le monde entier [17] ? Au bouclier de la vérité [18]) au glaive de la parole [19], celle qui garde en Sion les armures des forts [20] joignait pour ses dévoués féaux le Rosaire, signe plus spécial de sa propre milice ; elle leur assignait l’habit de son choix comme étant leur vrai chef de guerre, et les oignait de ses mains pour la lutte dans la personne du Bienheureux Réginald. Elle-même encore veillait au recrutement de la sainte phalange, prélevant pour elle dans la jeunesse d’élite des universités les âmes les plus pures, les plus généreux dévouements, les plus nobles intelligences ; Paris, la capitale de la théologie, Bologne, celle de la jurisprudence et du droit, voyaient maîtres, écoliers, disciples de toute science, poursuivis et atteints par la douce souveraine au milieu d’incidents plus du ciel que de la terre.

Que de grâce dans ces origines où la sérénité virginale de Dominique semblait entourer tous ses fils ! C’était bien dans cet Ordre de la lumière qu’apparaissait la vérité de la parole évangélique : Heureux les purs de cœur, car ils verront Dieu [21]. Des yeux éclairés d’en haut apercevaient sous la figure de champs de lis les fondations des Prêcheurs ; aussi Marie, par qui nous est venue la splendeur de la lumière éternelle [22], se faisait leur céleste maîtresse et, de toute science, les conduisait à la Sagesse, amie des cœurs non souillés [23].

En la compagnie de Cécile et de Catherine, elle descendait pour bénir leur repos de la nuit, mais ne partageait avec aucune de ses nobles suivantes le soin de les couvrir de son royal manteau près du trône du Seigneur. Comment dès lors s’étonner de la limpidité suave qui après Dominique, et durant les généralats des Jourdain de Saxe, Raymond de Pegnafort, Jean le Teutonique, Humbert de Romans, continue de régner dans ces Vies des Frères et ces Vies des Sœurs dont des plumes heureuses ont transmis jusqu’à nous les récits d’une exquise fraîcheur ? Discrète leçon, en môme temps que secours puissant pour les Frères : dans la famille dominicaine vouée à l’apostolat par essence, les Sœurs furent de dix ans les aînées, comme pour marquer que, dans l’Église de Dieu, l’action ne peut être féconde, si elle n’est précédée et ne demeure accompagnée de la contemplation qui lui vaut bénédiction et toute grâce.

Notre-Dame de Prouille, au pied des Pyrénées, ne fut pas seulement par ce droit de primogéniture le principe de tout l’Ordre ; c’est à son ombre protectrice que les premiers compagnons de Dominique arrêtèrent avec lui le choix de leur Règle et se partagèrent le monde, allant de là fonder Saint-Romain de Toulouse, puis Saint-Jacques de Paris, Saint-Nicolas de Bologne, Saint-Sixte et Sainte-Sabine dans la Ville éternelle. Vers la même époque, l’établissement de la Milice de Jésus-Christ plaçait sous la direction des Prêcheurs les séculiers qui, en face de l’hérésie militante, s’engageaient à défendre par tous les moyens en leur pouvoir les biens de l’Église et sa liberté ; quand les sectaires eurent posé les armes, laissant la paix au monde pour un temps, l’association ne disparut pas : elle porta le combat sur le terrain de la lutte spirituelle, et changea son nom en celui de Tiers-Ordre des Frères et Sœurs de la Pénitence de saint Dominique.

Quel cortège est celui que vous forment vos fils et vos filles sur le Cycle sacré ! Accompagné en ce mois même de Rose de Lima et d’Hyacinthe, voilà que dès longtemps vous annonçaient au ciel de la Liturgie les Raymond de Pegnafort, les Thomas d’Aquin, les Vincent Ferrier, les Pierre Martyr, les Catherine de Sienne, les Pie V, les Antonin. Enfin brille au firmament l’astre nouveau dont la splendeur écarte l’ignorance, confond l’hérésie, accroît la foi des croyants. O Dominique, votre bienheureuse mère d’ici-bas, qui vous a devancé dans les cieux, pénètre maintenant dans sa plénitude le sens fortuné de la vision mystérieuse qui jadis excitait ses craintes ; et cet autre Dominique, gloire de l’antique Silos, au tombeau duquel elle reçut la promesse de votre bénie naissance, applaudit à l’éclat décuplé dont ce beau nom qu’il vous transmit resplendira par vous dans les siècles éternels. Mais quel accueil surtout vous est fait par la Mère de toute grâce, elle qui naguère, embrassant les pieds du Seigneur irrité, se portait garante que vous ramèneriez le monde à son Sauveur ! à peine quelques années ont passé : et partout l’erreur en déroute pressent qu’une lutte à mort est engagée entre elle et les vôtres ; et l’Église du Latran, maîtresse et mère, a vu ses murs menaçant ruine raffermis pour un temps ; et les deux princes des Apôtres, qui vous avaient dit Va et prêche, applaudissent à la Parole qui de nouveau parcourt la terre et retentit sur toute plage [24].

Frappées déjà de stérilité, les nations, que l’Apocalypse assimile aux grandes eaux [25], semblaient se corrompre pour toujours ; la prostituée de Babylone, devançant l’heure, y dressait son trône : lorsqu’à l’imitation d’Élisée [26], mettant le sel de la Sagesse dans le vase neuf de l’Ordre par vous fondé, vous avez répandu dans les eaux malades ce sel divin, neutralisé les poisons de la bête de blasphème si tôt reparue, et, en dépit d’embûches qui ne cesseront plus, rendu de nouveau la terre habitable. Mais comme, une fois de plus, votre exemple nous montre que ceux-là seuls sont puissants pour Dieu sur les peuples, qui se livrent à lui sans chercher rien autre et ne donnent à autrui que de leur plénitude ! Dédaignant toute rencontre et toute science où ne se montrait pas l’éternelle Sagesse, nous disent vos historiens, ce fut d’elle uniquement que s’éprit votre adolescence [27] ; elle qui prévient ceux qui la désirent [28] vous inonda dès ces premiers ans de la lumière et des suavités anticipées de la patrie. C’était d’elle que s’écoulait sur vous la sérénité radieuse qui frappait vos contemporains et qu’aucun événement n’altéra jamais. Dans une paix des cieux, vous buviez à longs traits l’eau de ce puits sans fond qui rejaillit à la vie éternelle [29] ; mais en même temps qu’au plus intime secret de l’âme vous abreuvait ainsi son amour, une fécondité merveilleuse se déclarait dans la source divine, et ses ruisseaux devenus vôtres s’échappaient au dehors et les places publiques bénéficiaient des flots de votre surabondance [30].

Vous aviez accueilli la Sagesse, et elle vous exaltait [31] ; non contente d’orner votre front des rayons de l’étoile mystérieuse [32], elle vous donnait la gloire des patriarches et multipliait de toutes celles de vos fils vos années et vos œuvres [33]. Vous n’avez point cessé d’être en eux l’un des puissants contreforts de l’Église. La science a rendu leur nom illustre parmi les peuples, et à cause d’elle leur jeunesse fut honorée des vieillards [34] : qu’elle soit toujours pour eux, comme elle le fut pour leurs aînés, et le fruit de la Sagesse, et le chemin qui y conduit ; qu’elle s’alimente à la prière, dont la part est demeurée si belle en votre saint Ordre, que plus qu’aucun autre il se rapproche par ce côté des anciens Ordres monastiques Louer, bénir et prêcher sera jusqu’à la fin sa devise aimée, l’apostolat devant être chez lui, selon le mot du Psaume, l’effusion débordante du souvenir des suavités goûtées dans le commerce divin [35]. Ainsi affermie en Sion, ainsi bénie dans son glorieux rôle de propagatrice et de gardienne de la vérité [36], votre noble descendance méritera d’entendre toujours de la bouche de Notre-Dame même cet encouragement au-dessus de toute louange : « Fortiter, fortiter, viri fortes ! Courage, courage, hommes courageux ! »

Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

On ne saurait faire un plus bel éloge de saint Dominique que celui que, dans son Paradis, Dante a placé sur les lèvres de saint Bonaventure. De même qu’au temps des Apôtres la grande tâche de l’apostolat fut divisée — à Pierre les circoncis, à Paul les Gentils — ainsi, au XIIIe siècle, la Providence sembla partager le champ de l’Église entre saint Dominique et saint François. Au Poverello d’Assise, les petites gens, —les Minores de l’époque communale, — chez lesquels, grâce à l’exemple de la pauvreté évangélique et d’une tendre dévotion aux mystères de l’Humanité du Rédempteur, il fallait retarder de quelques siècles le déchaînement de l’incendie socialiste. A Dominique au contraire, magister generalis d’un Ordre de savants prédicateurs, la défense de la doctrine catholique et la guerre contre les hérésies naissantes.

Dès leurs débuts, la vie de ces deux patriarches fut une prophétie ; ils occupèrent respectivement la place providentielle que Dieu, à travers les siècles, réservait à leurs Ordres. Le Poverello soutient sur ses épaules le Latran ébranlé ; puis il s’en va, pèlerin, en Terre sainte, pour commencer les missions d’Orient. Quant à Dominique, avant que soit confiée à ses fils la sainte Inquisition, il exerce le premier, dans le Palais apostolique même, la charge de maître et de censeur.

Rome est riche de souvenirs de saint Dominique, en particulier dans les titres de Saint-Sixte et de Sainte-Sabine, où il vécut et opéra des miracles éclatants. Il mourut le 6 août 1221, mais ce jour étant dédié à une autre fête, son office fut anticipé au 4.

La messe emprunte presque tous ses chants et l’Évangile à celle des Confesseurs.

Prière. — « Seigneur qui avez daigné éclairer votre Église par les mérites et l’enseignement de votre bienheureux confesseur Dominique, faites que, par son intercession, elle ne soit pas privée des secours temporels, et qu’elle avance de plus en plus dans les voies spirituelles ». On demande donc ici deux choses : les temporalia auxilia pour le corps, et les spiritualia incrementa pour l’âme. Remarquons le langage significatif de l’Église. Les temporalia auxilia sont demandés en vue des spiritualia incrementa, car toutes les choses créées sont des moyens et non une fin. Elles ont pour but d’aider l’âme à atteindre Dieu, sa fin dernière surnaturelle.

La première lecture est celle de la messe des Docteurs et prédicateurs.

Sur les oblations. — « Sanctifiez, Seigneur, l’offrande que nous vous consacrons, afin que, par les mérites du bienheureux Dominique, elle apporte le remède à nos maux ». Que veut dire la liturgie, quand elle demande la sanctification des offrandes ? Deux choses : d’abord une préparation convenable de la matière du sacrifice, de même qu’on bénit l’eau baptismale, qu’on consacre le chrême, etc., avant de les employer à l’administration des Sacrements. En second lieu, la grâce divine sur ceux qui offrent le Sacrifice, pour que celui-ci, en tant qu’il est leur sacrifice, soit agréable à Dieu, et profitable à eux.

On observera peut-être : mais les Sacrements opèrent ex opere operato, et pour cette raison la messe est toujours agréable au Seigneur. Nous répondrons en faisant une distinction : le Sacrifice eucharistique, en tant que Sacrifice de Jésus, Souverain Prêtre et Victime, est toujours agréable et cher à l’Auguste Trinité. Mais quant au ministère de celui qui l’offre à la manière d’un instrument, la messe peut être plus ou moins agréable à Dieu, selon les dispositions du célébrant. Il est certain que la messe d’un prêtre qui célébrerait en état de péché mortel, offenserait le Seigneur et chargerait la conscience de ce prêtre d’un affreux sacrilège.

Après la Communion. — « Faites, ô Dieu tout-puissant, que le patronage de votre bienheureux confesseur Dominique soulage notre conscience du poids des fautes dont nous sommes accablés ». Le remords et la contrition sont un principe de salut, car tant qu’une plaie est douloureuse, elle réclame remède et soin. C’est un signe terrible pour une âme, d’arriver à un tel point d’éloignement de Dieu qu’elle n’éprouve plus aucun remords de ses fautes, selon cette parole de l’Esprit Saint : « quand l’insensé est tombé dans l’abîme du péché, alors il devient moqueur » [37].

Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique

Il embrasera le globe terrestre avec une torche ardente.

1. Saint Dominique. — Jour de mort : 6 août 1221. Tombeau : à Bologne, primitivement dans l’église Saint-Nicolas, et, depuis 1267, dans celle qui porte ; son nom. Image : Un dominicain, le rosaire à la main, ou avec un chien tenant une torche dans sa gueule, Vie : Voici son éloge d’après le martyrologe : « A Boulogne (Italie supérieure), saint Dominique, le pieux et savant fondateur des Frères prêcheurs. Il conserva toujours une virginité parfaite et obtint, par ses mérites de rappeler trois morts à la vie. Par sa parole, il étouffa les hérésies en germe, et amena beaucoup dames à la piété et à la vie religieuse, jusqu’à ce qu’il s’endormît paisiblement dans la mort ». Dominique naquit en Espagne (1170) de la noble famille des Guzman. Il fut d’abord chanoine régulier, et fonda plus tard l’institut religieux le plus puissant au moyen âge avec celui des Franciscains, l’Ordre des Dominicains qui produisit des prédicateurs et des savants éminents (saint Vincent Ferrier, saint Thomas d’Aquin, saint Pie V). Il contribua beaucoup à préserver la pureté de la foi. Le nom de Dominique rappelle l’origine de la dévotion du Rosaire qu’il travailla avec succès à répandre. Par leur prestige personnel et celui de leurs instituts, saint Dominique et saint François d’Assise furent simultanément les plus remarquables promoteurs du grand mouvement intellectuel du moyen âge. – « La mère de Dominique, eut un songe pendant sa grossesse ; il lui sembla qu’elle portait en son sein un petit chien tenant entre les dents une torche avec laquelle, après sa naissance, il embraserait tout l’univers. C’était le présage que, par l’éclat de sa sainteté et de ses enseignements, son fils enflammerait les populations d’une vive piété » (Légende du Bréviaire). — Saint Dominique mourut à Bologne, au moment où on prononçait ces mots de la prière pour les agonisants : « Saints de Dieu, venez à son secours, Anges, venez à sa rencontre ! »

2. La Messe (Os justi). — Elle est formée de textes du commun des confesseurs et de textes d’autres communs (Épître et communion). L’Épître (commun des docteurs) fait allusion au zèle de saint Dominique comme prédicateur, et parle de la « couronne de justice » accordée au fidèle soldat après sa mort.

3. La liturgie et les Ordres religieux. — La fête de saint Dominique, fondateur d’un Ordre religieux, fait naturellement songer aux rapports de la vie conventuelle avec la liturgie. Une communauté est une société liturgique idéale. Par suite de leurs soucis domestiques et des exigences de leur condition, les gens du monde ne sont pas à même de s’associer au rythme liturgique de la journée et de l’année chrétienne. Les religieux, au contraire, ont le bonheur d’y adapter chacun de leurs instants. Ils peuvent faire de la messe le centre de leur journée, ils peuvent faire graviter les heures de l’office comme des planètes autour du soleil du Saint-Sacrifice, transformer leur repas en commun en agapes fraternelles, suite du banquet eucharistique. Ils peuvent observer, de point en point et à cœur joie, les fêtes et les saisons du calendrier ecclésiastique. Les ordres religieux sont ainsi les modèles des sociétés liturgiques dans le monde, avec tout ce qu’elles comportent d’instructif et d’édifiant pour les individus. Une tâche nouvelle leur incombe actuellement : celle d’être pour les pieux laïcs, fervents de la liturgie, des guides avertis. Beaucoup de communautés ont reconnu cette mission, et organisent des fêtes et des journées liturgiques pour les gens du monde qu’ils initient ainsi au charme de leur vie intime. Ces exercices sont, pour un grand nombre, une révélation : ils y apprennent pour eux-mêmes le secret de la véritable vie liturgique. Puissent les cloîtres cultiver de plus en plus cette nouvelle méthode d’apostolat ! Il n’en est pas de meilleure.

Benoît XVI, catéchèses (3 février 2010)

Chers frères et sœurs,

La semaine dernière, j’ai présenté la figure lumineuse de François d’Assise et aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un autre saint qui, à la même époque, a apporté une contribution fondamentale au renouveau de l’Église de son temps. Il s’agit de saint Dominique, le fondateur de l’Ordre des prêcheurs, connus également sous le nom de Frères dominicains.

Son successeur à la tête de l’Ordre, le bienheureux Jourdain de Saxe, offre un portrait complet de saint Dominique dans le texte d’une célèbre prière : « Enflammé par le zèle de Dieu et par l’ardeur surnaturelle, par ta charité sans fin et la ferveur de ton esprit véhément, tu t’es consacré tout entier par le vœu de la pauvreté perpétuelle à l’observance apostolique et à la prédication évangélique ». C’est précisément ce trait fondamental du témoignage de Dominique qui est souligné : il parlait toujours avec Dieu et de Dieu. Dans la vie des saints, l’amour pour le Seigneur et pour le prochain, la recherche de la gloire de Dieu et du salut des âmes vont toujours de pair.

Dominique est né en Espagne, à Caleruega, aux alentours de 1170. Il appartenait à une noble famille de la Vieille Castille et, soutenu par un oncle prêtre, il fut formé dans une célèbre école de Palencia. Il se distingua immédiatement par son intérêt pour l’étude de l’Écriture Sainte et par son amour envers les pauvres, au point de vendre ses livres, qui à l’époque représentaient un bien d’une grande valeur, pour venir en aide, grâce à l’argent qu’il en tira, aux victimes d’une famine.

Ordonné prêtre, il fut élu chanoine du chapitre de la cathédrale de son diocèse d’origine, Osma. Même si cette nomination pouvait représenter pour lui un motif de prestige dans l’Église et dans la société, il ne l’interpréta pas comme un privilège personnel, ni comme le début d’une brillante carrière ecclésiastique, mais comme un service à rendre avec dévouement et humilité. La tentation de la carrière n’est-elle pas une tentation dont ne sont pas même exempts ceux qui ont un rôle d’animation et de gouvernement dans l’Église ? C’est ce que je rappelais, il y a quelques mois, à l’occasion de la consécration de plusieurs évêques : « Ne recherchons pas le pouvoir, le prestige, l’estime pour nous-mêmes... Nous savons que dans la société civile, et souvent, même dans l’Église, les affaires souffrent du fait que beaucoup de personnes, auxquelles a été confiée une responsabilité, œuvrent pour elles-mêmes et non pas pour la communauté » [38].

L’évêque d’Osma, qui se nommait Diego, un véritable pasteur zélé, remarqua très tôt les qualités spirituelles de Dominique, et voulut bénéficier de sa collaboration. Ils allèrent ensemble en Europe du nord, pour accomplir des missions diplomatiques qui leur avaient été confiées par le roi de Castille. En voyageant, Dominique se rendit compte de deux immenses défis pour l’Église de son temps : l’existence de peuples pas encore évangélisés, aux frontières nord du continent européen et le déchirement religieux qui affaiblissait la vie chrétienne dans le sud de la France, où l’action de certains groupes hérétiques créait des troubles et éloignait de la vérité de la foi. L’action missionnaire envers ceux qui ne connaissaient pas la lumière de l’Évangile et l’œuvre de réévangélisation des communautés chrétiennes devinrent ainsi les objectifs apostoliques que Dominique se proposa de poursuivre. Ce fut le Pape, auprès duquel l’évêque Diego et Dominique se rendirent pour lui demander conseil, qui demanda à ce dernier de se consacrer à prêcher aux Albigeois, un groupe hérétique qui soutenait une conception dualiste de la réalité, c’est-à-dire à travers deux principes créateurs également puissants, le Bien et le Mal. Ce groupe, par conséquent méprisait la matière comme provenant du principe du mal, refusant également le mariage, allant jusqu’à nier l’incarnation du Christ, les sacrements dans lesquels le Seigneur nous « touche » à travers la matière et la résurrection des corps. Les Albigeois privilégiaient la vie pauvre et austère, – dans ce sens, ils étaient également exemplaires – et ils critiquaient la richesse du clergé de l’époque. Dominique accepta avec enthousiasme cette mission, qu’il réalisa précisément à travers l’exemple de son existence pauvre et austère, à travers la prédication de l’Évangile et les débats publics. Il consacra le reste de sa vie à cette mission de prêcher la Bonne Nouvelle. Ses fils devaient réaliser également les autres rêves de saint Dominique : la mission ad gentes, c’est-à-dire à ceux qui ne connaissaient pas encore Jésus, et la mission à ceux qui vivaient dans les villes, surtout les villes universitaires, où les nouvelles tendances intellectuelles étaient un défi pour la foi des personnes cultivées.

Ce grand saint nous rappelle que dans le cœur de l’Église doit toujours brûler un feu missionnaire, qui incite sans cesse à apporter la première annonce de l’Évangile et, là où cela est nécessaire, une nouvelle évangélisation : en effet, le Christ est le bien le plus précieux que les hommes et les femmes de chaque époque et de chaque lieu ont le droit de connaître et d’aimer ! Il est réconfortant de voir que dans l’Église d’aujourd’hui également il existe tant de personnes – pasteurs et fidèles laïcs, membres d’antiques ordres religieux et de nouveaux mouvements ecclésiaux – qui donnent leur vie avec joie pour cet idéal suprême : annoncer et témoigner de l’Évangile !

A Dominique Guzman s’associèrent ensuite d’autres hommes, attirés par sa même aspiration. De cette manière, progressivement, à partir de la première fondation de Toulouse, fut créé l’ordre des prêcheurs. Dominique, en effet, en pleine obéissance aux directives des Papes de son temps, Innocent III et Honorius III, adopta l’antique Règle de saint Augustin, l’adaptant aux exigences de vie apostolique, qui le conduisaient, ainsi que ses compagnons, à prêcher en se déplaçant d’un lieu à l’autre, mais en revenant ensuite dans leurs propres couvents, lieux d’étude, de prière et de vie communautaire. Dominique voulut souligner de manière particulière deux valeurs considérées indispensables pour le succès de la mission évangélisatrice : la vie communautaire dans la pauvreté et l’étude.

Dominique et les frères prêcheurs se présentaient tout d’abord comme mendiants, c’est-à-dire sans de grandes propriétés foncières à administrer. Cet élément les rendait plus disponibles à l’étude et à la prédication itinérante et constituait un témoignage concret pour les personnes. Le gouvernement interne des couvents et des provinces dominicaines s’organisa sur le système des chapitres, qui élisaient leurs propres supérieurs, ensuite confirmés par les supérieurs majeurs ; une organisation qui stimulait donc la vie fraternelle et la responsabilité de tous les membres de la communauté, en exigeant de fortes convictions personnelles. Le choix de ce système naissait précisément du fait que les dominicains, en tant que prêcheurs de la vérité de Dieu, devaient être cohérents avec ce qu’ils annonçaient. La vérité étudiée et partagée dans la charité avec les frères est le fondement le plus profond de la joie. Le bienheureux Jourdain de Saxe dit à propos de saint Dominique : « Il accueillait chaque homme dans le grand sein de la charité et, étant donné qu’il aimait chacun, tous l’aimaient. Il s’était fait pour règle personnelle de se réjouir avec les personnes heureuses et de pleurer avec ceux qui pleuraient » [39].

En second lieu, Dominique, par un geste courageux, voulut que ses disciples reçoivent une solide formation théologique, il n’hésita pas à les envoyer dans les universités de son temps, même si un grand nombre d’ecclésiastiques regardaient avec défiance ces institutions culturelles. Les Constitutions de l’Ordre des prêcheurs accordent une grande importance à l’étude comme préparation à l’apostolat. Dominique voulut que ses frères s’y consacrent sans compter, avec diligence et piété ; une étude fondée sur l’âme de tout savoir théologique, c’est-à-dire sur l’Écriture Sainte, et respectueuse des questions posées à la raison. Le développement de la culture impose à ceux qui accomplissent le ministère de la Parole, aux différents niveaux, d’être bien préparés. Il exhorte donc tous, pasteurs et laïcs, à cultiver cette « dimension culturelle » de la foi, afin que la beauté de la vérité chrétienne puisse être mieux comprise et que la foi puisse être vraiment nourrie, renforcée et aussi défendue. En cette Année sacerdotale, j’invite les séminaristes et les prêtres à estimer la valeur spirituelle de l’étude. La qualité du ministère sacerdotal dépend aussi de la générosité avec laquelle on s’applique à l’étude des vérités révélées.

Dominique, qui voulut fonder un Ordre religieux de prêcheurs-théologiens, nous rappelle que la théologie a une dimension spirituelle et pastorale, qui enrichit l’âme et la vie. Les prêtres, les personnes consacrées, ainsi que tous les fidèles, peuvent trouver une profonde « joie intérieure » dans la contemplation de la beauté de la vérité qui vient de Dieu, une vérité toujours actuelle et toujours vivante. La devise des frères prêcheurs – contemplata aliis tradere – nous aide à découvrir, ensuite, un élan pastoral dans l’étude contemplative de cette vérité, du fait de l’exigence de transmettre aux autres le fruit de notre propre contemplation.

Lorsque Dominique mourut en 1221, à Bologne, la ville qui l’a choisi comme patron, son œuvre avait déjà rencontré un grand succès. L’Ordre des prêcheurs, avec l’appui du Saint-Siège, s’était répandu dans de nombreux pays d’Europe, au bénéfice de l’Église tout entière. Dominique fut canonisé en 1234, et c’est lui-même qui, par sa sainteté, nous indique deux moyens indispensables afin que l’action apostolique soit incisive. Tout d’abord la dévotion mariale, qu’il cultiva avec tendresse et qu’il laissa comme héritage précieux à ses fils spirituels, qui dans l’histoire de l’Église ont eu le grand mérite de diffuser la prière du saint Rosaire, si chère au peuple chrétien et si riche de valeurs évangéliques, une véritable école de foi et de piété. En second lieu, Dominique, qui s’occupa de plusieurs monastères féminins en France et à Rome, crut jusqu’au bout à la valeur de la prière d’intercession pour le succès du travail apostolique. Ce n’est qu’au Paradis que nous comprendrons combien la prière des religieuses contemplatives accompagne efficacement l’action apostolique ! A chacune d’elles, j’adresse ma pensée reconnaissante et affectueuse.

Chers frères et sœurs, la vie de Dominique Guzman nous engage tous à être fervents dans la prière, courageux à vivre la foi, profondément amoureux de Jésus Christ. Par son intercession, nous demandons à Dieu d’enrichir toujours l’Église d’authentiques prédicateurs de l’Évangile.

© Copyright 2010 - Libreria Editrice Vaticana

[1] Dominique, qui appartient au Seigneur ; Félix, heureux ; Jeanne, grâce.

[2] Dante, la Divine Comédie, Paradis, chant XII.

[3] Dante, la Divine Comédie, Paradis, chant XI.

[4] Cant. II, 15.

[5] Bulla Fons Sapientiae, de canonizatione S. Dominici.

[6] Ibid.

[7] Psalm. XV, 5-7.

[8] Jos. XV, 16-19.

[9] Dialogue, CLVIII.

[10] Apoc. XIX, 11-16.

[11] Luc, XI, 21.

[12] Psalm. XC, 6.

[13] Dante, Paradis, chant X.

[14] Honorius III, Diploma confirmans Ordinem.

[15] Promitto obedientiam Deo et B. Mariæ. Constitutiones Fratr. Ord. Prædicat Ia distinctio, cap. XV de Professione.

[16] Cant. VI, 3,9.

[17] Ant. festorum B. M.V. in IIIo Nocturno.

[18] Psalm. XC, 5.

[19] Eph. VI, 17.

[20] Cant. IV, 4.

[21] Matth. V, 8.

[22] Sap. VII, 26.

[23] Ibid. VIII.

[24] Psalm. XVIII.

[25] Apoc. XVII.

[26] IV Reg. II, 19-22.

[27] Sap. VIII, 2.

[28] Ibid. VI, 74.

[29] Johan. IV, 14.

[30] Prov. V, 15-19.

[31] Ibid. IV, 8.

[32] Ibid. 9.

[33] Ibid. 10.

[34] Sap. VIII, 10.

[35] Memoriam abundantiæ suavititis tuæ eructabunt. Psalm, CXLIV, 7 : Ils proclameront le souvenir de l’abondance de votre bonté.

[36] Isai. XXVI, 1-2.

[37] Prov., XVIII, 3.

[38] Homélie lors de la chapelle papale pour l’ordination épiscopale de cinq prélats, 12 septembre 2009, cf. ORLF n. 37 du 15 septembre 2009.

[39] Libellus de principiis Ordinis Praedicatorum autore Iordano de Saxonia, ed. H.C. Scheeben, Monumenta Historica Sancti Patris Nostri Domiici, Romae, 1935.