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21/08 Ste Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal, veuve

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Messe au propre de la Visitation  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique  

Morte le 13 décembre 1643 à Moulins, déposition à Annecy. Canonisée en 1767 par Clément XII, fête en 1779 comme double.

Il convient de noter que dans le calendrier universel de l’Église, des trois seules saintes françaises fêtées, deux, Ste Jeanne de Chantal et Ste Marguerite-Marie Alacoque, sont issues d’un des ordres les plus humbles et discrets de l’Église : La Visitation.

Textes de la Messe

die 21 augusti
le 21 août
S. IOANNÆ FRANCISCAE FREMIOT DE CHANTAL
Ste JEANNE-FRANÇOISE FRÉMIOT DE CHANTAL
Viduæ
Veuve
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Missa Cognóvi, de Communi non Virginum II loco, cum orationibus ut infra :Messe Cognóvi, du Commun des Saintes Femmes II, avec les oraisons suivantes :
Oratio.Collecte
Omnípotens et miséricors Deus, qui beátam Ioánnam Francíscam, tuo amóre succénsam, admirábili spíritus fortitúdine per omnes vitæ sémitas in via perfectiónis donásti, quique per illam illustráre Ecclésiam tuam nova prole voluísti : eius méritis et précibus concéde ; ut, qui infirmitátis nostræ cónscii de tua virtúte confídimus, cæléstis grátiæ auxílio cuncta nobis adversántia vincámus. Per Dóminum. Dieu tout-puissant et miséricordieux, après avoir embrasé de votre amour la bienheureuse Jeanne Françoise, vous lui avez donné la force d’âme admirable qui la fit avancer en perfection dans toutes les situations de la vie, et vous avez voulu orner par elle votre Église d’une nouvelle famille religieuse : faites, en considération de ses mérites et de ses prières, que, conscients de notre faiblesse, mais confiants en votre secours, nous puissions, à l’aide de la grâce céleste, surmonter tout ce qui nous est contraire.
SecretaSecrète
Illo nos amóris igne, quǽsumus. Dómine, hæc hóstia salutáris inflámmet : quo beátæ Ioannæ Francíscæ cor veheménter incéndit, et flammis adússit ætérnæ caritátis. Per Dóminum.Que cette hostie de salut nous enflamme de ces mêmes ardeurs dont brûla le cœur de la bienheureuse Jeanne-Françoise, l’embrasant de l’éternelle charité.
PostcommunioPostcommunion
Spíritum nobis, Dómine, tuæ caritátis infúnde : ut, quos cæléstis panis virtúte satiásti, beáta Ioánna Francisca intercedénte, fácias terréna despícere, et te solum Deum pura mente sectári. Per Dóminum ... in unitáte eiúsdem Spíritus.Répandez en nous, Seigneur, l’Esprit de votre amour, afin qu’après nous être rassasiés du Pain céleste, nous puissions, par les prières de la bienheureuse Jeanne-Françoise, mépriser les biens terrestres, et avec un cœur pur, ne nous attacher qu’à vous seul.

Messe au propre de la Visitation

On trouvera l’article propre ici.

Office

On trouvera divers pièces propres de l’Office ici.

Leçons des Matines avant 1960.

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal naquit à Dijon, en Bourgogne, d’une illustre famille, et donna, dès son enfance, des signes non équivoques d’une grande sainteté. A peine âgée de cinq ans, elle réfuta, dit-on, les erreurs d’un noble calviniste avec une solidité d’arguments au-dessus de son âge, et jeta au feu un petit présent que cet homme lui avait offert, en disant : « Voilà comment brûleront en enfer, les hérétiques qui refusent de croire à la parole de Jésus-Christ. » Sa mère étant morte, elle se mit sous la protection de la sainte Vierge, et renvoya une de ses suivantes qui cherchait à lui inspirer du goût pour le monde. Rien dans sa conduite ne dénotait l’enfant ; remplie d’aversion pour les plaisirs du siècle et ne soupirant qu’après le martyre, elle se donnait tout entière aux œuvres de religion et de piété. Lorsque son père l’eut mariée au baron de Chantal, on la vit appliquée à la pratique de toutes les vertus, pleine de zèle vis-à-vis de ses enfants, de ses serviteurs et de ceux qui étaient sous sa dépendance, pour les instruire des principes de la foi et les former aux bonnes mœurs. Elle soulageait les besoins des pauvres avec une très grande libéralité, et bien souvent la providence divine multiplia ses provisions ; aussi promit-elle de ne jamais rien refuser à quiconque lu i demanderait l’aumône au nom de Jésus-Christ.

Cinquième leçon. Après la mort de son mari, causée par un accident de chasse, elle se mit à pratiquer une vie plus parfaite et se lia par le vœu de chasteté. Outre qu’elle supporta courageusement la mort de son mari, elle voulut encore donner au meurtrier une marque publique de pardon, en triomphant d’elle-même jusqu’à vouloir être la marraine de son fils. Elle se contenta d’une domesticité peu nombreuse, d’une nourriture grossière et de vêtements communs, et fit passer à de pieux usages ses parures précieuses. Tout le temps qui lui restait après le soin de sa maison, elle l’employait à la prière, aux lectures pieuses et au travail. On ne put jamais l’amener à consentir à de secondes noces, bien qu’il se présentât des partis honorables et avantageux. Et de peur que, dans la suite, sa détermination de garder la chasteté ne fût ébranlée, elle renouvela son vœu et grava sur sa poitrine, au moyen d’un fer rouge, le très saint nom de Jésus-Christ. Enflammée d’une charité dont l’ardeur croissait chaque jour, elle se faisait amener les pauvres, les abandonnés, les malades et ceux qui se trouvaient affligés des maux les plus repoussants. Non contente de les recevoir chez elle, pour les consoler et les soigner, elle nettoyait leurs vêtements malpropres les raccommodait, et n’avait pas horreur d’approcher ses lèvres de leurs ulcères fétides et purulents.

Sixième leçon. Ayant appris, sous la direction spirituelle de saint François de Sales, à connaître la divine volonté, elle abandonna avec un invincible courage son père, son beau-père, et son propre fils. Et comme ce dernier s’opposait à la vocation de sa mère, celle-ci n’hésita point à passer sur son corps, en sortant de sa maison. Elle jeta alors les bases du saint institut de la Visitation de Sainte-Marie et en observa les règles dans toute son intégrité. Elle était éprise de la pauvreté au point de se réjouir de manquer même du nécessaire. Elle se montra un modèle accompli d’humilité, d’obéissance et de toutes les vertus chrétiennes. Préparant en son cœur des ascensions toujours plus hautes, elle s’astreignit par un vœu des plus difficiles à observer, à faire constamment ce qu’elle comprendrait être le plus parfait. Ce fut surtout grâce à elle que le pieux institut de la Visitation se répandit de tous côtés ; et c’est par des écrits remplis de la sagesse de Dieu, comme par ses paroles et ses exemples, qu’elle a excité ses sœurs à la piété et à la charité. Enfin, chargée de mérites et saintement munie des sacrements, elle mourut à Moulins, le treize décembre seize cent quarante et un. Saint Vincent de Paul, qui était alors éloigné, vit son âme reçue au ciel par saint François de Sales. On transféra dans la suite son corps à Annecy. Avant et après sa mort, des miracles l’ont rendue célèbre. Benoît XIV l’a béatifiée, et le souverain Pontife Clément XIII l’a inscrite au catalogue des Saints. Enfin, Clément XIV a ordonné que toute l’Église célébrerait sa Fête le douzième jour avant les calendes de septembre.

Au troisième nocturne. Du Commun.

Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu. Cap. 13, 44-52.

En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples cette parabole : Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. Et le reste.

Homélie de saint Grégoire, Pape. Homilia 11 in Evangelia

Septième leçon. Si le Seigneur, mes très chers frères, nous dépeint le royaume des cieux comme semblable à des objets terrestres, c’est pour que notre esprit s’élève, de ce qu’il connaît, à ce qu’il ne connaît pas ; qu’il se porte vers les biens invisibles par l’exemple des choses visibles, et, qu’excité par des vérités dont il a l’expérience, il s’enflamme de telle sorte, que l’affection qu’il éprouve pour un bien connu lui apprenne à aimer aussi des biens inconnus. Voici « que le royaume des cieux est comparé à un trésor caché dans un champ ; celui qui l’a trouvé, le cache, et à cause de la joie qu’il en a, il va et vend tout ce qu’il a, et il achète ce champ » [1].

Huitième leçon. Il faut remarquer dans ce fait, que le trésor une fois trouvé, on le cache afin de le conserver. C’est parce que celui qui ne met pas à l’abri des louanges humaines l’ardeur des désirs qu’il ressent pour le ciel, ne parvient pas à les défendre contre les malins esprits. Nous sommes, en effet, dans la vie présente comme dans un chemin par lequel nous nous dirigeons vers la patrie ; et les esprits malins infestent notre route, comme le feraient des voleurs. C’est vouloir être dépouillé que de porter un trésor à découvert sur le chemin. Je ne dis pas cela, néanmoins, pour empêcher que le prochain soit témoin de nos bonnes œuvres, selon ce qui est écrit : « Qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » [2] ; mais afin que nous ne recherchions pas, dans le motif qui nous fait agir, les louanges du dehors. Que l’action soit publique, mais que notre intention demeure cachée, pour que nous donnions ainsi à notre prochain l’exemple d’une bonne œuvre, et cependant que par l’intention que nous avons de plaire uniquement à Dieu, nous souhaitions toujours le secret.

Neuvième leçon. Or, le trésor, c’est le désir du ciel, et le champ où est caché ce trésor, c’est une vie digne du ciel. Il vend bien tout ce qu’il a pour acheter ce champ, celui qui, renonçant aux voluptés charnelles, foule aux pieds tous ses désirs terrestres, par la pratique exacte de cette vie digne du ciel, en sorte que plus rien de ce qui flatte les sens ne lui plaise, et que son esprit ne redoute rien de ce qui détruit la vie charnelle.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Bien que la gloire de Marie soit d’au dedans [3], sa beauté paraît aussi dans le vêtement qui l’entoure [4] : vêtement mystérieux, tissé des vertus des Saints qui lui doivent leur justice et leur récompense [5]. De même que toute grâce nous vient parla divine Mère, toute gloire au ciel converge vers celle de la Reine des cieux.

Or, entre les âmes bienheureuses, il en est de plus immédiatement rapprochées de la Vierge bénie [6]. Prévenues de la tendresse particulière de cette Mère de la grâce, elles laissèrent tout [7] pour courir sur la terre à l’odeur des parfums de l’Époux qu’elle a donné au monde [8] ; elles gardent au ciel avec Marie l’intimité plus grande qui fut déjà leur part au temps de l’exil. De là vient qu’à cette heure de son exaltation près du Fils de Dieu [9], le Psalmiste chante aussi les vierges pénétrant avec elle en allégresse dans le temple du Roi [10] ; le couronnement de Notre-Dame est véritablement la toute spéciale solennité de ces filles de Tyr [11], devenues elles mêmes princesses [12] et reines [13] afin de former son noble cortège et sa royale cour.

Si le diadème de la virginité n’orne pas le front de l’élue proposée aujourd’hui à notre vénération, elle est de celles pourtant qui méritèrent en leur humilité d’entendre un jour le céleste message : Écoute, ma fille, et vois, et incline l’oreille de ton cœur, et oublie ton peuple et la maison de ton père [14]. En réponse, tel fut son bienheureux élan dans les voies de l’amour, qu’on vit des vierges innombrables s’attacher à ses pas pour parvenir plus sûrement à l’Époux. A elle aussi revient en conséquence une place glorieuse dans le vêtement d’or, aux reflets multiples, dont resplendit en son triomphe la Reine des Saints [15].

Car quelle est la variété signalée par le Psaume dans les broderies et les franges de cette robe de gloire [16], sinon la diversité des nuances que revêt l’or delà divine charité parmi les élus ? C’est afin d’accentuer l’heureux effet provenant de cette diversité dans la lumière des Saints, que l’éternelle Sagesse a multiplié les formes sous lesquelles se présente au monde la vie des conseils. Tel est bien l’enseignement voulu par la sainte Liturgie dans le rapprochement des deux fêtes d’aujourd’hui et d’hier au Cycle sacré. De l’austérité cistercienne au renoncement plus intérieur de la Visitation Sainte-Marie, la distance paraît grande ; l’Église néanmoins réunit la mémoire de sainte Jeanne de Chantai et de l’Abbé de Clairvaux, en hommage à la bienheureuse Vierge, dans l’Octave fortunée qui consomme sa gloire ; c’est qu’en effet toutes les Règles de perfection s’accordent pour n’être, à l’honneur de Marie, que des variantes de l’unique Règle, celle de l’amour, dont la divine Mère présente en sa vie l’exemplaire premier.

« Ne divisons pas la robe de l’Épouse, dit saint Bernard [17]. L’unité, tant au ciel qu’ici-bas, consiste en la charité [18]. Que celui qui se glorifie de la Règle n’agisse pas à rencontre, en allant contre l’Évangile [19]. Si le royaume de Dieu estait dedans de nous [20]), c’est qu’il n’est point dans le manger ou le boire, mais dans la justice, la paix, la joie du Saint-Esprit [21]. Critiquer autrui sur l’observance extérieure et négliger de la Règle le côté qui regarde l’âme, c’est écarter le moucheron de la coupe et avaler un chameau [22]. Tu brises ton corps par des travaux sans fin, tu mortifies par les austérités tes membres qui sont sur la terre ; et tu fais bien. Mais lorsque tu te permets de juger celui qui ne peine pas autant, lui peut-être se conforme à l’avis de l’Apôtre : empressé davantage pour les dons les meilleurs [23], retenant moins de cet exercice corporel qui est de moindre utilité, il s’adonne plus à la piété qui est utile à tout [24]. Qui donc de vous deux garde le mieux la Règle ? Celui sans doute qui s’en trouve meilleur. Or, le meilleur, quel est-il ? le plus humble ? ou le plus fatigué ? Apprenez de moi, dit Jésus [25], que je suis doux et humble de cœur » [26].

Parlant de la diversité des familles religieuses, saint François de Sales dit excellemment à son tour : « Toutes les Religions ont un esprit qui leur est général, et chacune en a un qui lui est particulier. Le général est la prétention qu’elles ont toutes d’aspirer à la perfection delà charité ; mais l’esprit particulier, c’est le moyen de parvenir à cette perfection de la charité, c’est-à-dire, à l’union de notre âme avec Dieu, et avec le prochain pour l’amour de Dieu » [27]. Venant donc à l’esprit spécial de l’institut qu’il avait fondé de concert avec notre Sainte, l’évêque de Genève déclare que c’est « un esprit d’une profonde humilité envers Dieu, et d’une grande douceur envers le prochain ; d’autant qu’ayant moins de rigueur pour le corps, il faut qu’il y ait tant plus de douceur de cœur » [28]. Et parce que « cette Congrégation a été érigée en sorte que nulle grande âpreté ne puisse divertir les faibles et infirmes de s’y ranger, pour y vaquer à la perfection du divin amour » [29] ; il ajoute gracieusement : « Que s’il y avait une sœur qui fût si généreuse et courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart d’heure, faisant plus que la Communauté, je lui conseillerais qu’elle s’humiliât et se soumît à ne vouloir être parfaite que dans trois jours, allant le train des autres [30]. Car il faut observer toujours une grande simplicité en toutes choses : marcher simplement, c’est la vraie voie des filles de la Visitation, qui est grandement agréable à Dieu et très assurée » [31].

Avec la douceur et l’humilité pour devise, le pieux évêque était bien inspiré de donner à ses filles, comme armoiries, le divin Cœur où ces suaves vertus ont leur source aimée. On sait combien magnifiquement le ciel justifia ce blason. Le siècle n’était pas encore écoulé, qu’une religieuse de la Visitation, la Bienheureuse Marguerite-Marie, pouvait dire : « Notre adorable Sauveur m’a fait voir la dévotion de son divin Cœur comme un bel arbre qu’il avait destiné de toute éternité pour prendre ses racines au milieu de notre institut. Il veut que les filles de la Visitation distribuent les fruits de cet arbre sacré avec abondance à tous ceux qui désireront d’en manger, sans crainte qu’il leur manque » [32].

« Amour ! amour ! amour ! mes filles, je ne sais plus autre chose ». Ainsi s’écriait, elle aussi, en ses derniers ans, la glorieuse coopératrice de François dans l’établissement de la Visitation Sainte-Marie, Jeanne de Chantal. « Ma Mère, lui dit une sœur, je vais écrire à nos maisons que Votre Charité est en sa vieillesse, et que comme votre parrain saint Jean, vous ne nous parlez plus que d’amour ». A quoi la Sainte repartit : « Ma fille, ne faites point cette comparaison, car il ne faut pas profaner les Saints en les comparant aux chétifs pécheurs ; mais vous me ferez plaisir de mander à ces filles-là que si je croyais mon courage, si je suivais mon inclination, et si je ne craignais d’ennuyer nos sœurs, je ne parlerais jamais d’autre chose que de la charité ; et je vous assure que je n’ouvre presque jamais la bouche pour parler de choses bonnes, que je n’aie envie de dire : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, et ton prochain comme toi-même » [33].

Paroles bien dignes de celle qui valut à l’Église l’admirable Traité de l’Amour de Dieu, composé, dit l’évêque de Genève, à son occasion, prière et sollicitation, pour elle et ses semblables [34]. Tout d’abord cependant, l’impétuosité de cette âme, exubérante de dévouement et d’énergie, parut peu faite pour être maîtresse en une école où l’héroïsme se traduit dans la suavité simple d’une vie toute cachée en Dieu. C’est à discipliner cette énergie de la femme forte, sans en éteindre l’ardeur, que s’appliqua persévéramment saint François de Sales durant les dix-huit années qu’il en eut la conduite. « Faites tout, lui répète-t-il en mille manières, sans empressement, suavement comme font les Anges ; suivez la conduite des mouvements divins, rendez-vous souple à la grâce ; Dieu veut que nous soyons comme des petits enfants » [35]. Et ici trouve place une page délicieuse de l’aimable Saint, que nous voulons citer encore :

« Si l’on eût demandé au doux enfant Jésus, étant porté entre les bras de sa mère, où il allait ? N’eût-il pas eu raison de répondre : Je ne vais pas, c’est ma mère qui va pour moi. Et qui lui eût demandé : Mais au moins n’allez-vous pas avec votre mère ? N’eût-il pas eu raison de dire : Non, je ne vais nullement, ains seulement par les pas de ma mère, par elle et en elle. Et qui lui eût répliqué : Mais au moins, ô très cher divin enfant vous vous voulez bien laisser portera votre douce mère ? Non fais certes, eût-il pu dire, je ne veux rien de tout cela ; ains, comme ma toute bonne mère marche pour moi, aussi elle veut pour moi ; et, comme je ne marche que par ses pas, aussi je ne veux que par son vouloir ; et, dès que je me trouve entre ses bras, je n’ai aucune attention ni à vouloir, ni à ne vouloir pas, laissant tout autre soin à ma mère, hormis celui d’être sur son sein, et de me tenir bien attaché à son cou très aimable pour la baiser amoureusement des baisers de ma bouche ; et, afin que vous le sachiez, tandis que je suis parmi les délices de ces saintes caresses qui surpassent toute suavité, il m’est avis que ma mère est un arbre de vie, et que je suis en elle comme son fruit, que je suis son propre cœur au milieu de sa poitrine, ou son âme au milieu de son cœur : c’est pourquoi, comme son marcher suffit pour elle et pour moi, sans que je me mêle de faire aucun pas : aussi ne prends-je point garde si elle va vite ou tout bellement, ni si elle va d’un côté ou d’un autre, ni je ne m’enquiers nullement où elle veut aller, me contentant que, comme que ce soit, je suis toujours entre ses bras, joignant ses amiables mamelles, où je me repais comme entre les lis... Théotime [36], nous devons être comme cela, pliables et maniables au bon plaisir divin » [37].

L’office de Marthe parut d’abord vous être destiné, ô grande Sainte. Prévenant l’heure qui devait sonner pour Vincent de Paul un peu plus tard, François de Sales, votre Père, eut la pensée de faire de vos compagnes les premières filles de la Charité. Ainsi fut donné à votre œuvre le nom béni de Visitation, destiné à placer sous l’égide de Marie vos visites aux pauvres malades trop délaissés. Mais l’affaiblissement progressif des santés modernes avait manifesté, dans les institutions de la sainte Église, une lacune plus douloureuse encore, plus pressante à combler : nombre d’âmes, appelées à la part de Marie, en étaient écartées par leur impuissance à porter l’austère vie des grands Ordres contemplatifs. L’Époux, dont la bonté daigne s’adapter à tous les âges, fit choix de vous, ô Jeanne, pour subvenir avec son Cœur sacré, sur ce terrain de son amour, aux misères physiques aussi bien que morales du monde vieilli, usé, menaçant ruine.

Renouvelez-nous donc en l’amour de Celui dont la charité vous consuma la première ; dans ses ardeurs, vous parcourûtes les sentiers les plus divers de la vie, et jamais ne vous trahit l’admirable force d’âme que l’Église rappelle à Dieu aujourd’hui, pour obtenir par vous le secours nécessaire à notre faiblesse [38]. Que le funeste poison de l’esprit janséniste ne revienne plus jamais chez nous glacer les cœurs ; mais, en même temps, nous le savons de vous : l’amour n’est réel qu’autant qu’avec ou sans les macérations, il vit de foi, de générosité, de renoncement, dans l’humilité, la simplicité, la douceur. C’est l’esprit de votre saint institut, l’esprit de votre angélique Père rendu par lui si aimable et si fort : puisse-t-il régner toujours parmi vos filles, maintenir entre leurs maisons l’union suave qui n’a point cessé de réjouir les cieux ; puisse le monde s’assainir aux parfums qui s’échappent toujours des retraites silencieuses de la Visitation Sainte-Marie !

Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Disciple de saint François de Sales, elle a fait honneur à son maître et elle a démontré que, sans recourir nécessairement à ces formes spéciales et transcendantes de sainteté que nous trouvons chez les Pères du désert, on peut atteindre le sommet de la perfection chrétienne en aimant Dieu passionnément et en accomplissant ses devoirs d’état, dans la quadruple situation d’épouse, de mère, de veuve et de religieuse, tour à tour vécue par sainte Chantal.

Clément XIV introduisit dans le Bréviaire, sous le rite double, la fête de notre Sainte.

La messe est du Commun, mais les collectes sont propres :

Prière. — « Seigneur qui, dans votre toute-puissante miséricorde, vous êtes plu à enflammer d’une sainte ardeur votre bienheureuse et fidèle servante Jeanne-Françoise, et avez voulu qu’avec une admirable force d’âme, elle arrivât à la perfection en traversant les états de vie les plus variés, et même qu’elle devînt mère d’une nouvelle famille religieuse ; accordez-nous par ses mérites que, conscients de nos insuffisances, nous nous confiions dans votre grâce, avec l’aide de laquelle nous puissions triompher de tous les obstacles ». Le rédacteur a voulu dire trop de choses et il est arrivé ainsi à nous donner une collecte sans cursus et sans une idée vraiment centrale.

Sur les oblations. — « Que cette Hostie de salut nous enflamme de ces mêmes ardeurs dont brûla le cœur de la bienheureuse Jeanne-Françoise, l’embrasant de l’éternelle charité ». En cela réside une des raisons pour lesquelles Jésus a institué la sainte Eucharistie : Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur ? [39]

Remarquons que l’idée de feu, appliquée à l’Esprit Saint, revient plusieurs fois dans le Missel, et toujours dans l’oraison sur les oblations. Mais dans les anciennes formules liturgiques on invoquait sur l’autel le feu du Paraclet, pour qu’il consacrât et consumât le sacrifice, comme celui d’Élie. — Sacrificia, Domine, tuis oblata conspectibus, ignis ille divinus absumat [40], — lisons-nous dans la secrète du vendredi de la Pentecôte —, le rédacteur moderne de la collecte de ce jour modifie un peu cette idée, car, semblant oublier qu’il s’agit d’une oratio super oblata, il formule plutôt le texte d’une post-communion et nous fait demander le feu sacré de la charité qui est l’effet et le fruit de la sainte Communion.

Après la Communion. — « Répandez en nous, Seigneur, l’Esprit de votre amour, afin qu’après nous être rassasiés du Pain céleste, nous puissions, par les prières de la bienheureuse Jeanne-Françoise, mépriser les choses caduques et, avec toute l’ardeur de notre cœur, ne nous attacher qu’à vous seul ». A l’école du saint Évêque de Genève, la sainteté devient aimable et ne donne plus cette impression de mélancolie qu’une vertu débutante peut causer à ceux qui en sont témoins.

Madame de Chantal ayant confié la direction de son âme à saint François de Sales, ses domestiques disaient à ce propos : « Au temps des confesseurs précédents, Madame priait pendant plusieurs heures de la journée, et, pour ce, mettait dans l’embarras toute la domesticité. Monseigneur de Genève, au contraire, la fait prier maintenant continuellement et cela n’importune plus personne ».

Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique

Fortiter et suaviter.

1. Sainte Jeanne de Chantal. — Jour de mort : 15 décembre 1641. Tombeau : dans le couvent des Visitandines d’Annecy. Vie : Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal, fondatrice de l’Ordre de la Visitation, naquit en 1572 d’une illustre famille. Son père la donna en mariage au baron de Chantal ; épouse et mère, elle se dévoua entièrement à la formation morale et religieuse de ses enfants, de ses serviteurs et de ceux qui étaient sous sa dépendance. D’une très grande libéralité envers les pauvres, elle vit plus d’une fois la divine Providence multiplier ses modestes ressources ; aussi fit-elle vœu de ne jamais rien refuser à qui lui demanderait l’aumône au nom de Jésus-Christ. Son mari ayant été tué accidentellement à la chasse, elle supporta chrétiennement son deuil et voulut encore donner au meurtrier une marque publique de pardon en devenant la marraine de son fils. Une pieuse affection l’unissait à saint François de Sales, son directeur, et c’est avec son approbation qu’elle dit adieu à son père et à ses enfants, et fonda l’Ordre de la Visitation. — Messe « Cognovi » du commun des non Vierges.

2. Fortiter et suaviter. — La force et la douceur, l’énergie et la tendresse ; l’union de ces qualités est un des traits essentiels du caractère chrétien. De cette union le Sauveur lui-même donne le plus magnifique exemple : d’une énergie étonnante en certaines circonstances, et cependant toujours plein d’aménité et de bonté. Lorsqu’il s’arme d’un fouet pour chasser les vendeurs du temple, lorsqu’il déclare à saint Pierre, immédiatement après lui avoir promis les clefs du royaume des cieux : « Retire-toi de moi, Satan, tu m’es un scandale », il semble, oserions-nous dire, que nous ne comprenons plus le Sauveur ; mais il montre ailleurs une telle tendresse à l’égard des pécheurs, à l’égard de Marie-Madeleine, de la femme adultère, du bon larron, à l’égard de saint Pierre après son reniement ! Ainsi, devons-nous user de force et de douceur quand et comme il convient. Sachons être énergiques sans rigueur excessive, sans cesser d’être aimables ; et que notre bonté ne dégénère pas en faiblesse et en apathie. S’agit-il de nos principes, le dogme et la morale sont-ils en cause ? Alors soyons fermes et inébranlables ; point de tolérance admissible en pareille circonstance ; mais, dans nos rapports avec les hommes, ayons assez de douceur et de condescendance pour les comprendre, les excuser, ou leur pardonner. Un chrétien doit être ferme et rigide comme un père, compatissant et tendre comme une mère ! Telles sont les qualités que nous admirons aujourd’hui en sainte Jeanne de Chantal.

3. Un trait de la vie de sainte Jeanne de Chantal. — Un des moments les plus pénibles de sa vie fut celui où elle se sépara des siens : « Le 19 mars 1610, jour fixé pour les adieux, les parents et les amis de la sainte se réunirent chez M. Frémiot. L’assemblée était nombreuse. Tout le monde fondait en larmes. Mme de Chantal, seule, conservait un calme apparent ; mais ses yeux nageaient dans l’eau, et témoignaient de la violence qu’elle était obligée d’employer pour se contenir. Elle allait de l’un à l’autre, embrassant ses parents, leur demandant pardon, les conjurant de prier pour elle, essayant de ne pas pleurer, et pleurant plus fort. Quand elle arriva à ses enfants, elle n’y put tenir. Son fils, Celse-Bénigne, se pendit à son cou et essaya par mille caresses de la détourner de son projet. Mme de Chantal, penchée sur lui, le couvrait de baisers et répondait à toutes ses raisons avec une force admirable. Nul cœur, si insensible qu’il fût, n’était capable de retenir ses sanglots en entendant « ce discours filial et maternel si douloureusement amoureux ». Après que les cœurs eurent été épuisés de tendresse, Mme de Chantal, pour mettre fin à une scène qui l’accablait, se dégagea vivement des bras de son fils et voulut passer outre. Ce fut alors que Celse-Bénigne, désespéré de ne pouvoir retenir sa mère, se coucha en travers de la porte en disant : « Eh bien ! Ma mère, si je ne puis vous retenir, du moins vous passerez sur le corps de votre fils ». A ces mots, Mme de Chantal sentit son cœur se briser, et, ne pouvant plus soutenir le poids de sa douleur, elle s’arrêta et laissa couler librement ses larmes. Le bon M. Robert, qui assistait à cette scène déchirante, craignant que Mme de Chantal ne faiblît au moment suprême : « Eh quoi ! Madame, lui dit-il, les pleurs d’un enfant vous pourront ébranler ? – Non ! reprit la sainte en souriant à travers ses larmes ; mais que voulez-vous, je suis mère ! — Et, les yeux au ciel, nouvel Abraham elle passa sur le corps de son fils » [41].

[1] Matth. 13, 44.

[2] Matth. 5, 16.

[3] Psalm. XLIV, 14.

[4] Ibid. 10-15.

[5] Apoc. XIX, 8.

[6] Psalm. XLIV, 15.

[7] Matth. XIX, 27.

[8] Cant. I, 3.

[9] Psalm. XLIV, 10.

[10] Ibid. 15-16.

[11] Ibid. 13.

[12] Ibid. 10.

[13] Cant. VI, 7.

[14] Psalm. XLIV, 11.

[15] Ibid. 10.

[16] Ibid. 10, 14, 15.

[17] Bernard. Apologia ad Guillelm. III, 6.

[18] Ibid. IV, 8.

[19] Ibid. V, 11.

[20] Luc. XVII, 21.

[21] Rom. XIV, 17.

[22] Bern. Apolog. VI, 12.

[23] I Cor. XII, 31.

[24] I Tim. IV, 8.

[25] Matth. XI, 29.

[26] Bern. Apolog. VII, 13.

[27] Entretiens spirituels, XIII.

[28] Ibid.

[29] Constitutions de la Visitation, Préambule.

[30] Entretien XIII.

[31] Entretien XIV.

[32] Lettre du 17 juin 1689, à la Mère de Saumaise.

[33] Mémoires de la Mère de Chaugy, IIIe P., ch. V.

[34] Traité de l’Amour de Dieu, Préface ; Mémoires de la M. de Chaugy, IIIe P. ch. XXIV, XXVI ; etc.

[35] Œuvres, passim.

[36] « Un grand serviteur de Dieu m’avertit naguère que l’adresse que j’avais faite de ma parole à Philothée en l’Introduction à la vie dévote avait empêché plusieurs hommes d’en faire leur profit, d’autant qu’ils n’estimaient pas dignes de la lecture d’un homme les avertissements faits pour une femme. J’admirai qu’il se trouvât des hommes qui, pour vouloir paraître hommes, se montrassent en effet si peu hommes... Toutefois, pour imiter en cette occasion le grand Apôtre, qui s’estimait redevable à tous, j’ai changé d’adresse en ce traité, et parle à Théotime. Que si d’aventure il se trouvait des femmes (or cette impertinence serait plus supportable en elles) qui ne voulussent pas lire les enseignements qu’on fait à un homme, je les prie de croire que le Théotime auquel je parle est l’esprit humain qui désire faire progrès en la dilection sainte, esprit qui est également ès femmes comme ès hommes ». Amour de Dieu, Préface.

[37] Amour de Dieu, Liv. IX, ch. XIV.

[38] Collecte, Secrète et Postcommunion de la fête.

[39] Luc. 12, 49 : Je suis venu jeter le feu sur la terre, et quel est Mon désir, sinon qu’il s’allume ?

[40] Que les sacrifices offerts en votre présence, Seigneur, soient consumés par ce feu divin.

[41] Mgr BOUGAUD. — Histoire de Sainte Chantal. Tome premier, p. 411-413.