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14/06 St Basile le Grand, évêque, confesseur et docteur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses, 4 juillet et 1er août 2007  

Née à Césarée en 329. Évêque en 370. Mort le 1er janvier 379. Fête au XIIIème siècle. La date de la fête est celle que l’on croit être de sa consécration épiscopale.

L’Office de St Basile fut inséré au Calendrier Romain à la fin du Moyen-Âge. La messe emprunte au commun des docteurs (Introït, Épître, Graduel, Communion), des Pontifes (Oraisons, Alléluia, Offertoire). L’Évangile est celui des Martyrs Pontifes, avec deux versets supplémentaires (Luc. 34-35) qui rappelle le début de l’Évangile de la messe du Commun des Docteurs (Matth. 5, 13-14). Avant 1960, on lisait un commentaire de cet Évangile par St Basile lui-même au 3ème Nocturne.

Textes de la Messe

die 14 iunii
le 14 juin
SANCTI BASILII MAGNI
SAINT BASILE LE GRAND
Ep., Conf. et Eccl. Doct.
Évêque, Confesseur et Docteur de l’Église.
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Ant. ad Introitum. Eccli. 15, 5.Introït
In médio Ecclésiæ apéruit os eius : et implévit eum Dóminus spíritu sapiéntiæ et intelléctus : stolam glóriæ índuit eum.Au milieu de l’Église, il a ouvert la bouche, et le Seigneur l’a rempli de l’esprit de sagesse et d’intelligence, et il l’a revêtu de la robe de gloire.
Ps. 91,2.
Bonum est confitéri Dómino : et psállere nómini tuo, Altíssime.Il est bon de louer le Seigneur et de chanter votre nom, ô Très-Haut.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Exáudi, quæsumus, Dómine, preces nostras, quas in beáti Basilíi Confessóris tui atque Pontíficis sollemnitáte deférimus : et, qui tibi digne méruit famulári, eius intercedéntibus méritis, ab ómnibus nos absólve peccátis. Per Dóminum.Nous vous supplions, Seigneur, d’exaucer les prières que nous vous adressons en la solennité du bienheureux Basile, votre Confesseur et Pontife, et de nous accorder, grâce aux mérites et à l’intercession de celui qui vous a si dignement servi, le pardon de tous nos péchés.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Timotheum.Lecture de l’Epître de Saint Paul Apôtre à Timothée.
2. Tim. 4, 1-8.
Caríssime : Testíficor coram Deo, et Iesu Christo, qui iudicatúrus est vi vos et mórtuos, per advéntum ipsíus et regnum eius : pr.dica verbum, insta opportúne, importune : árgue, óbsecra, íncrepa in omni patiéntia, et doctrína. Erit enim tempus, cum sanam doctrínam non sustinébunt, sed ad sua desidéria, coacervábunt sibi magistros, pruriéntes áuribus, et a veritáte quidem audítum avértent, ad fábulas autem converténtur. Tu vero vígila, in ómnibus labóra, opus fac Evangelístæ, ministérium tuum ímpie. Sóbrius esto. Ego enim iam delíbor, et tempus resolutiónis meæ instat. Bonum certámen certávi, cursum consummávi, fidem servávi. In réliquo repósita est mihi coróna iustítiæ, quam reddet mihi Dóminus in illa die, iustus iudex : non solum autem mihi, sed et iis, qui díligunt advéntum eius.Mon bien-aimé, je t’adjure, devant Dieu et Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et par son règne, prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, supplie, menace, en toute patience et toujours en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre. Car pour moi, je vais être immolé, et le temps de ma dissolution approche, j’ai combattu le bon combat, j’ai achève ma course, j’ai gardé la foi. Reste la couronne de justice qui m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ; et non seulement à moi, mais aussi à ceux qui aiment son avènement.
Graduale. Ps. 36, 30-31.Graduel
Os iusti meditábitur sapiéntiam, et lingua eius loquétur iudícium.La bouche du juste méditera la sagesse et sa langue proférera l’équité.
V/. Lex Dei eius in corde ipsíus : et non supplantabúntur gressus eius.V/. La loi de son Dieu est dans son cœur et on ne le renversera point.
Allelúia, allelúia. V/. Ps. 88, 21. Invéni David servum meum, oleo sancto meo unxi eum. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. J’ai trouvé David mon serviteur ; je l’ai oint de mon huile sainte. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Lucam.Suite du Saint Évangile selon saint Luc.
Luc. 14, 26-35.
In illo témpore : Dixit Iesus turbis : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum, et matrem, et uxórem, et fílios, et fratres, et soróres, adhuc autem et ánimam suam, non potest meus esse discípulus. Et qui non báiulat crucem suam, et venit post me, non potest meus esse discípulus. Quis enim ex vobis volens turrim ædificáre, non prius sedens cómputat sumptus, qui necessárii sunt, si hábeat ad perficiéndum ; ne, posteáquam posúerit fundaméntum, et non potuerit perfícere, omnes, qui vident, incípiant illúdere ei, dicéntes : Quia hic homo coepit ædificáre, et non pótuit consummáre ? Aut quis rex itúrus commíttere bellum advérsus álium regem, non sedens prius cógitat, si possit cum decem mílibus occúrrere ei, qui cum vigínti mílibus venit ad se ? Alióquin, adhuc illo longe agénte, legatiónem mittens, rogat ea, quæ pacis sunt. Sic ergo omnis ex vobis, qui non renúntiat ómnibus, quæ póssidet, non potest meus esse discípulus. Bonum est sal. Si autem sal evanúerit, in quo condiétur ? Neque in terram neque in sterquilínium útile est, sed foras mittétur. Qui habet aures audiéndi, áudiat.En ce temps-là : Jésus dit à la foule : Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Et celui qui ne porte pas sa croix, et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. Car quel est celui de vous qui, voulant bâtir une tour, ne s’assied d’abord, et ne suppute les dépenses qui sont nécessaires, afin de voir s’il aura de quoi l’achever ; de peur qu’après avoir posé les fondements, il ne puisse l’achever, et que tous ceux qui verront cela ne se mettent à se moquer de lui, en disant : Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever ? Ou quel roi, sur le point de faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord, afin d’examiner s’il pourra, avec dix mille hommes, marcher contre celui qui s’avance sur lui avec vingt mille ? Autrement, tandis que l’autre roi est encore loin, il lui envoie une ambassade, et lui fait des propositions de paix. Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple. Le sel est bon, mais si le sel s’affadit, avec quoi lui donnera-t-on de la saveur ? Inutile pour la terre et pour le fumier, on le jettera dehors. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
Ante 1960 : CredoAvant 1960 : Credo
Ant. ad Offertorium. Ps. 88, 25.Offertoire
Véritas mea et misericórdia mea cum ipso : et in nómine meo exaltábitur cornu eius.Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui et par mon nom s’élèvera sa puissance.
SecretaSecrète
Sancti Basilíi Confessóris tui atque Pontíficis, quǽsumus, Dómine, ánnua sollémnitas pietáti tuæ nos reddat accéptos : ut, per hæc piæ placatiónis offícia, et illum beáta retribútio comitétur, et nobis grátiæ tuæ dona concíliet. Per Dóminum.Que la solennité annuelle de Saint Basile, votre Confesseur et Pontife, nous rende agréables à votre bonté, nous vous en supplions, Seigneur, en sorte que ce sacrifice d’expiation et de piété ajoute au bonheur qui est sa récompense et nous procure les dons de votre grâce.
Ant. ad Communionem. Luc. 12, 42.Communion
Fidélis servus et prudens, quem constítuit dóminus super famíliam suam : ut det illis in témpore trítici mensúram.Voici le dispensateur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs pour leur donner au temps fixé, leur mesure de blé.
PostcommunioPostcommunion
Deus, fidélium remunerátor animárum : præsta ; ut beáti Basilíi Confessóris tui atque Pontíficis, cuius venerándam celebrámus festivitátem, précibus indulgéntiam consequámur. Per Dóminum.Dieu, vous récompensez les âmes fidèles : accordez-nous de recevoir notre pardon, grâce aux prières du bienheureux Basile, votre Confesseur et Pontife, dont nous célébrons la fête vénérable.

Office

Leçons des Matines avant 1960

AU DEUXIÈME NOCTURNE.

Quatrième leçon. Basile, noble Cappadocien, après avoir étudié à Athènes les lettres profanes en compagnie de son intime ami Grégoire de Nazianze, acquit dans un monastère une connaissance admirable des sciences sacrées ; en peu de temps sa doctrine et sa sainteté furent telles, qu’on lui donna le surnom de Grand. Appelé à prêcher l’Évangile de Jésus-Christ dans le Pont, il ramena dans la voie du salut cette province qui s’était éloignée des habitudes chrétiennes. Eusèbe, Évêque de Césarée, se l’adjoignit bientôt pour instruire le peuple de cette ville, et Basile lui succéda sur ce siège. Il se montra l’ardent défenseur de la consubstantialité du Père et du Fils ; l’empereur Valens, irrité contre lui, fut vaincu par de tels miracles, qu’en dépit de sa volonté bien arrêtée de l’envoyer en exil, il dut abandonner son projet.

Cinquième leçon. Étant sur le point de porter le décret de bannissement contre Basile, le siège où il voulait s’asseoir se brisa ; de trois roseaux qu’il prit pour écrire ce décret, aucun ne laissa couler l’encre ; et comme il n’en persistait pas moins dans la résolution de rédiger ce décret impie, sa main droite, énervée et toute tremblante, refusa d’obéir. Valens effrayé mit en pièces de ses deux mains le papier fatal. Pendant la nuit qu’on avait donnée à Basile pour délibérer, l’impératrice fut torturée de douleurs d’entrailles et son fils unique tomba gravement malade. L’empereur terrifié, reconnaissant son injustice, appela Basile ; en sa présence, l’enfant commença d’aller mieux, mais Valens ayant invité ensuite les hérétiques à voir le petit malade, il mourut peu après.

Sixième leçon. Basile était d’une abstinence et d’une continence admirables ; il se contentait d’une seule tunique et gardait un jeûne rigoureux. Assidu à la prière, il y employait souvent toute la nuit. Il garda une virginité perpétuelle. Dans les monastères qu’il fonda, la vie des moines fut réglée de telle sorte qu’elle réunit on ne peut mieux les avantages de la solitude et de l’action. Ses nombreux écrits sont pleins de science, et personne, au témoignage de Grégoire de Nazianze, n’expliqua les Livres saints avec plus d’abondance et de vérité. Sa mort arriva le premier janvier ; n’ayant vécu que par l’esprit, il semblait ne garder de son corps que les os et la peau.

AU TROISIÈME NOCTURNE.

Lecture du saint Évangile selon saint Luc.
En ce temps-là : Jésus dit à la foule : Si quelqu’un vient à moi, et ne hait point son père et sa mère, sa femme et ses fils, ses frères et ses sœurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Et le reste.

Homélie de saint Basile, Évêque.

Septième leçon. Le parfait renoncement consiste à en venir à ne pas être porté à aimer la vie pour elle-même, et à comprendre la leçon de la mort qui nous avertit de ne pas nous fier en nos propres forces. Ce renoncement commence par le dépouillement des choses extérieures, comme des biens, de la vaine gloire, des habitudes de la vie, de l’amour des choses inutiles. Ils nous l’ont montré, à l’imitation de notre Seigneur, ses saints disciples Jacques et Jean, par exemple, quand ils ont laissé leur père Zébédée et jusqu’à leur barque, dont dépendait leur subsistance. Matthieu l’a pratiqué aussi, lorsqu’il se leva de son bureau et suivit le divin Maître.

Huitième leçon. Mais qu’est-il besoin de nos raisons ou des exemples des saints pour appuyer nos paroles, puisque nous pouvons produire les propres enseignements du Seigneur, enseignements bien capables d’émouvoir une âme religieuse et craignant Dieu ? Voici ce que le Seigneur déclare nettement et sans laisser place au doute : « Ainsi donc quiconque d’entre vous ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne peut être mon disciple. » Et ailleurs, après avoir dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres ; » il ajoute : « Viens, suis-moi. »

Neuvième leçon. Le renoncement est donc, comme nous l’avons enseigné, le dégagement des liens qui nous attachent à cette vie terrestre et temporelle ; c’est la délivrance des affaires humaines, délivrance dont l’effet est de nous rendre dociles et prompts à suivre le chemin qui conduit à Dieu : c’est le moyen qui nous facilite l’acquisition et l’usage des biens mille fois préférables à l’or et aux pierres précieuses. C’est ce qui porte le cœur humain si haut, qu’il peut habiter dans le ciel et dire : « Notre vie est dans les deux. » C’est enfin, et surtout, ce par quoi nous commençons à ressembler à Jésus-Christ « qui pour nous s’est fait pauvre, de riche qu’il était. »

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Le quaternaire sacré des Docteurs qui font la gloire de l’Église grecque, se complète aujourd’hui sur le Cycle. Jean Chrysostome, le premier, parut au ciel dans les jours de l’enfance du Sauveur ; la glorieuse Pâque vit se lever, comme deux astres radieux, Athanase et Grégoire de Nazianze ; Basile le Grand réservait ses rayons pour illustrer les temps du règne de l’Esprit-Saint. Une telle place lui fut méritée par les grands combats, où sa doctrine éminente prépara le triomphe du Paraclet sur les blasphèmes d’une secte impie. Macédonius reprenait contre la troisième personne de l’auguste et consubstantielle Trinité les arguments de l’arianisme expirant ; il déniait au Saint-Esprit la divinité qu’Arius son chef avait vainement prétendu enlever au Verbe. Le concile de Constantinople, achevant l’œuvre du concile de Nicée, formula la foi des Églises en Celui qui procède du Père non moins que le Verbe lui-même, qui est adoré et glorifié conjointement avec le Père et le Fils [1]. Basile n’assistait pas à la victoire ; prématurément épuisé d’austérités et de travaux, il reposait dans la paix depuis deux ans déjà, quand la définition fut rendue. Mais son enseignement inspirait l’assemblée conciliaire ; il demeure comme l’expression splendide de la tradition sur cet Esprit de Dieu, aimant universel vers qui se précipite tout ce qui aspire à la sainteté, souffle puissant soulevant les âmes, perfection de toute chose. De même que nous avons entendu Grégoire de Nazianze, au jour de sa fête, parler magnifiquement du mystère de la Pâque, écoutons son illustre ami nous expliquer le mystère du temps présent, qui est celui de la sanctification dans les âmes.

« L’union de l’Esprit et de l’âme se fait par l’éloignement des passions qui, étant survenues a dans l’âme, l’avaient séparée de Dieu. Si quelqu’un donc se dégage de la difformité provenant du vice et revient à la beauté qu’il tenait de son Créateur, s’il restaure en lui les traits primitifs de l’esquisse royale et divine, alors, et alors seulement, il se rapproche du Paraclet. Mais alors aussi, comme le soleil qui, rencontrant un œil non souillé, l’illumine, le Paraclet révèle à cet homme l’image de celui qu’on ne peut voir ; et dans la bienheureuse contemplation de cette image, il aperçoit l’ineffable beauté du principe, modèle de tout. Dans cette ascension des cœurs, dont les débuts chancelants et la croissante consommation sont également son œuvre, l’Esprit rend spirituels ceux qui sont absous de toute tache, en vertu de la participation où il les met de lui-même. Les corps limpides et diaphanes, pénétrés du rayon lumineux, deviennent resplendissants et répandent autour d’eux la lumière ; ainsi les âmes portant l’Esprit-Saint resplendissent de lui, et, devenues esprit elles-mêmes, répandent sur les autres la grâce. De là l’intelligence supérieure des élus et leur conversation dans les cieux ; de là tous les dons ; de là ta ressemblance avec Dieu ; de là vient, ô sublimité ! que toi-même tu es dieu [2]. C’est donc proprement et en toute vérité par l’illumination de l’Esprit-Saint, que nous contemplons la splendeur de la gloire de Dieu ; c’est par le caractère de ressemblance qu’il imprime en nos âmes, que nous sommes élevés jusqu’à la hauteur de celui dont il porte avec lui, cachet divin, la pleine similitude [3]. Esprit de sagesse, il nous révèle, non comme du dehors, mais en lui-même, le Christ Sagesse de Dieu. La voie de la contemplation conduit de l’Esprit par le Fils au Père ; concurremment, la bonté, la sainteté, la royale dignité des élus vient du Père par le Fils à l’Esprit-Saint [4] dont ils sont les temples, et qui les remplit de sa propre gloire, illuminant leur front par la vue de Dieu comme celui de Moïse [5]. Ainsi fit-il pour l’humanité du Sauveur ; ainsi fait-il pour les séraphins qui ne peuvent dire qu’en lui leur triple Sanctus, pour tous les chœurs des anges dont il règle le concert et produit les chants [6]. Mais l’homme charnel, qui n’a jamais exercé son âme à la contemplation, qui la retient captive dans le bourbier des sens, ne peut élever les yeux vers la lumière spirituelle ; l’Esprit n’est point pour lui » [7].

L’action du Paraclet dépasse la puissance de toute créature ; en rappelant ainsi les opérations de l’Esprit d’amour, l’évêque de Césarée voulait amener ses adversaires à confesser d’eux-mêmes sa divinité. D’autre part, qui ne reconnaîtrait à cette exposition chaleureuse de la doctrine, non seulement l’invincible théologien vengeur du dogme, mais encore le guide exercé des âmes, l’ascète sublime chargé par Dieu de mettre à la portée de tous les merveilles de sainteté qu’Antoine et Pacôme avaient fait éclore au désert ?

Comme l’abeille butinant parmi les fleurs évite les épines et sait se garder des sucs dangereux, nombreux sur sa route, ainsi Basile en son adolescence avait traversé les écoles de Constantinople et d’Athènes sans se souiller à leurs poisons ; selon le conseil qu’il adressait plus tard aux jeunes gens dans un célèbre discours [8], sa vive intelligence, restée pure des passions où s’étiolent pour tant d’autres les plus beaux dons, avait su néanmoins dérober aux rhéteurs et aux poètes tout ce qui pouvait, en l’ornant, la développer encore et la discipliner pour les luttes de la vie. Le monde souriait au jeune orateur, dont la diction si pure et la persuasive éloquence rappelaient le beau temps de la Grèce littéraire ; mais les plus nobles gloires que le monde puisse offrir, restaient au-dessous de l’ambition dont son âme s’était éprise à la lecture des Écritures sacrées. La lutte de la vie se présentait à ses yeux comme un combat pour la vérité. Mais c’est en lui que devait triompher d’abord cette divine vérité, par la défaite de la nature et la victoire de l’Esprit-Saint créant l’homme nouveau. Sans donc se soucier de connaître avant l’heure si l’Esprit se réserve de remporter par lui d’autres triomphes, sans voir les multitudes qui bientôt s’attacheront à sa suite et réclameront ses lois, il vient demander aux solitudes du Pont l’oubli des hommes et la sainteté. La vue des misères de son temps ne le fait point tomber dans la faute si commune de nos jours, et qui consiste à vouloir se dévouer pour les autres avant d’avoir soi-même réglé son âme. Tel n’est point l’ordre de la charité, reine des vertus ; telle n’est point la conduite des saints. C’est toi-même que Dieu veut de toi tout d’abord ; quand tu seras à lui dans la mesure qu’il l’entend, il saura bien te donner aux autres, s’il ne préfère, à ton grand avantage, te garder pour lui seul. Mais il n’aime point, il bénit peu les utilités hâtives qui s’imposent de la sorte à sa providence. Antoine de Padoue le montrait hier ; la leçon nous revient aujourd’hui : ce qui importe à l’extension de la gloire du Seigneur n’est point le temps donné aux œuvres, mais la sainteté de l’ouvrier.

Selon une coutume fréquente en ce siècle où l’on craignait d’exposer la grâce du baptême à de tristes naufrages, Basile était resté simple catéchumène jusqu’aux derniers temps de son adolescence. Sa vie de baptisé compte treize années de vie monastique, et neuf ans d’épiscopat. A cinquante ans il meurt ; mais, loin de finir avec lui, sous l’impulsion de l’Esprit-Saint son œuvre apparaît plus féconde et s’en va grandissant dans la suite des âges.

Humble moine, sur les bords de l’Iris où l’avaient précédé sa mère et sa sœur, il était venu sauver son âme [9] du jugement de Dieu [10], s’exercer à courir généreusement dans la voie qui conduit aux éternelles récompenses [11]. D’autres ensuite l’ayant prié de les former eux-mêmes à la milice du Christ roi [12] dans la simplicité de la foi et des Écritures [13], notre saint ne voulut point pour eux de la vie des ascètes solitaires, trop isolée pour n’être pas dangereuse au grand nombre ; mais il préféra joindre à la bienheureuse contemplation de ces derniers le complément et le rempart de la vie commune, où s’exercent la charité et l’humilité [14] sous la conduite d’un chef se regardant lui-même comme serviteur de tous [15]. Encore n’admettait-il personne en ses monastères, sans une épreuve sérieuse et prolongée, suivie du solennel engagement de persévérer dans cette vie nouvelle [16].

Au souvenir de ce qu’il avait admiré chez les solitaires d’Égypte et de Syrie, Basile se comparait, lui et ses disciples, à des enfants qui cherchent dans leur petite mesure à imiter les forts, aux commençants restés aux prises avec les premiers éléments et à peine introduits sur la route de la piété [17]. Cependant le temps vient où ces géants de la solitude, où les législateurs du désert verront leurs héroïques coutumes et leurs codes monastiques céder la place aux discours familiers, aux réponses sans apprêt que Basile adressait à ses moines pour résoudre leurs difficultés et les former à la pratique des divins conseils. Bientôt l’Orient tout entier s’est rangé sous sa Règle. En Occident, Benoît l’appelle son père [18]. Pépinière féconde de saints moines et de vierges, d’évêques, de docteurs et de martyrs, son Ordre a peuplé les cieux ; il fut longtemps pour Byzance le boulevard de la foi ; jusque en nos jours, sous la sauvage persécution du tout-puissant tsar des Russies, malgré les désastres du schisme, on a vu ses tronçons fidèles donner sans compter à l’Église mère le témoignage du sang et de la souffrance.

Noble descendance, couronne de Basile au ciel ! Mais combien aussi rejaillit sur les enfants la gloire personnelle du père [19] ! Petit-fils des martyrs, fils et frère de six saints ou saintes, lui-même était bien le noble rejeton d’une souche glorieuse entre toutes. Il compte, lui septième, au catalogue des bienheureux, comme le plus illustre membre de cette race qu’avait élevée dans l’indomptable amour du Christ Dieu Macrine l’ancienne, revenue des forêts où sans abri, sept années durant, elle avait enduré, sous la persécution de Maximin, la faim et les frimas. Saluons ici la femme forte à qui l’Église doit en toute vérité la grandeur de Basile. Échappée aux bourreaux, miraculeusement soutenue durant son terrible exil, Dieu l’avait gardée pour infuser dans l’âme de son petit-fils la foi ferme et pure qu’elle tenait de Grégoire le Thaumaturge. Tel était, jusque dans le tombeau, l’ascendant que la vaillante orthodoxie de cette femme avait conservé sur les peuples, qu’on verra, dans les afflictions de ses dernières années, Basile l’évêque, le docteur, le patriarche des moines, en appeler, comme garantie de sa propre foi devant l’Église de Dieu, à l’éducation qu’il avait reçue tout enfant de sa vénérable aïeule [20].

C’est qu’en effet on était arrivé à l’un de ces temps douloureux, temps d’exception, pleins de naufrages et d’angoisses, où l’obscurité, mal suprême des intelligences, prévaut jusque sur les fils de lumière [21] ; où de trop nombreuses défaillances se produisant parmi les chefs du troupeau sur le terrain des croyances essentielles ou de l’union au successeur de Pierre, les peuples inquiets se retournent vers les saints qui sont dans leurs rangs, pour retrouver quelque assurance en marchant après eux dans la nuit que ne savent plus dissiper les pasteurs. On venait de traverser les années lamentables, où la perfidie de quelques évêques et la faiblesse de presque tous avaient souscrit la condamnation de la foi de Nicée ; où, selon le mot de saint Jérôme, l’univers gémissant s’étonna d’être arien [22]. Basile, à coup sûr, n’était point de ces pasteurs perfides, insuffisants ou lâches, qui n’éclairent pas le troupeau confié à leurs soins : sentinelles qui ne voient plus, chiens muets qui ne savent ou ne peuvent aboyer [23]. Dans l’année même où se tint la fatale assemblée de Rimini, on l’avait vu, simple Lecteur encore, se séparer de son évêque engagé dans les filets des ariens, et donner ainsi aux fidèles l’exemple qu’ils avaient à suivre, en même temps que le signal du danger. Plus tard, évêque à son tour, sollicité d’accorder pour le bien de la paix quelque trêve aux ariens, supplié, menacé vainement de confiscation, de mort ou d’exil, on avait entendu sa fière réplique au préfet Modestus s’exclamant que personne ne lui avait jamais parlé avec une telle liberté : « C’est qu’apparemment, répondit Basile, vous n’avez jamais rencontré un évêque ». Mais sa grande âme, qui ne soupçonnait point la duplicité, s’était laissée prendre un jour aux apparentes austérités d’un faux moine, d’un évêque hypocrite, Eustathe de Sébaste, dont la fourberie retint longtemps captive l’amitié de Basile, ignorante de ses trahisons : faute inconsciente, que Dieu permit pour augmenter encore la sainteté de son serviteur ; car elle devait remplir la fin de sa vie d’amertume, et lui valut la plus dure épreuve qui pût l’atteindre, en attirant sur sa foi la défiance de plusieurs.

Basile en appela de la calomnie au jugement de ses frères les évêques [24] ; mais il ne dédaigna point de se justifier lui-même près du peuple fidèle [25]. Car il savait que le premier trésor d’une église est la sûreté de la foi du pasteur et sa plénitude de doctrine. Le chef des grands combats de la première moitié de ce siècle, le vainqueur d’Arius et de l’empereur Constance, Athanase n’était plus ; il venait de rejoindre dans le repos bien mérité de la vraie patrie ses vaillants compagnons, Eusèbe de Verceil et Hilaire de Poitiers. Dans la confusion qu’avait ramenée sur l’Orient la persécution de Valens, les saints mêmes ne savaient plus tenir tête à l’orage ; on les voyait passer de l’effacement d’une prudence excessive aux démarches fausses d’un zèle indiscret. Basile seul était de taille à porter la tempête. Son noble cœur, froissé dans ses sentiments les plus délicats, avait épuisé la lie du calice ; mais, fortifié par le divin agonisant de Gethsémani, l’épreuve ne l’abattit pas. L’âme brisée, le corps anéanti par la recrudescence d’infirmités de vieille date, mourant déjà [26], il se roidit contre la mort et fit face aux flots en furie. Du navire en détresse auquel il comparait l’Église d’Orient heurtée dans la nuit à tous les écueils [27], s’élevèrent pressants ses appels à l’heureux Occident assis dans la paix de son indéfectible lumière [28], à cette Rome de qui seule le salut pouvait venir, et dont la sage lenteur en vint à le désespérer presque un jour. En attendant l’intervention du successeur de Pierre, il modérait près de lui les ardeurs intempestives, n’exigeant des faibles dans la foi que l’indispensable [29] ; comme, dans une autre circonstance, il avait dû reprendre sévèrement Grégoire de Nysse son frère, dont la simplicité se laissait entraîner par amour de la paix à des mesures inconsidérées [30].

La paix, Basile la désirait plus que personne [31]. Mais cette paix pour laquelle il eût donné sa vie, c’était, disait-il, la vraie paix laissée par le Seigneur à son Église [32]. Ses exigences sur le terrain de la foi ne provenaient que de son amour pour cette paix véritable [33]. C’était pour elle, déclarait-il encore, qu’il refusait d’entrer en communion avec ces hommes de juste milieu qui ne redoutent rien tant que la claire et simple expression du dogme ; leurs insaisissables faux-fuyants, leurs formules captieuses, ne sont à ses yeux que le fait d’hypocrites avec lesquels il refuse de marcher à l’autel de Dieu [34]. Quant à ceux qui ne sont qu’égarés, « qu’on leur propose en toute tendresse et charité la foi des Pères : s’ils donnent à cette foi leur assentiment, recevons-les dans notre société ; autrement demeurons entre nous, sans regarder au nombre, écartant ces âmes équivoques qui n’ont rien de la simplicité sans dol, caractère de quiconque au commencement de l’Évangile accédait à la foi. Les croyants, est-il dit, n’avaient qu’un cœur et qu’une âme [35]. Pour ceux-là donc qui nous reprochent de ne point vouloir d’apaisement, qu’on les corrige, et ce sera parfait ; sinon, qu’on reconnaisse où sont les auteurs de la guerre, et qu’on ne nous parle plus de réconciliation » [36].

« A toutes les raisons, dit-il ailleurs, qui sembleraient nous conseiller le silence, nous opposons la charité qui ne tient compte ni de son propre intérêt, ni de la difficulté des temps. Lors même que personne ne nous imiterait, en devons-nous moins quant à nous faire notre devoir ? Dans la fournaise, les enfants de Babylone chantaient au Seigneur, sans calculer la multitude de ceux qui laissaient de côté la vérité : ils se suffisaient à eux-mêmes, trois qu’ils étaient » [37].

Et à ses moines, traqués par un gouvernement qui se défendait d’être persécuteur, il écrivait : « Beaucoup d’honnêtes gens, tout en trouvant qu’on vous poursuit sans justice, n’estiment point à confession les souffrances que vous endurez pour la vérité ; mais il n’est pas nécessaire d’être païen pour faire des martyrs. Nos ennemis du jour ne nous détestent pas moins que ne faisaient les adorateurs des idoles ; s’ils trompent la multitude sur le motif de leur haine, c’est afin de vous enlever, croient-ils, la gloire dont on entourait les anciens confesseurs. Mais soyez-en convaincus : devant le juste juge, votre confession n’en subsiste pas moins. Ayez donc bon courage ; sous la tourmente renouvelez-vous dans l’amour ; ajoutez chaque jour à votre zèle, sachant qu’en vous doivent se conserver les restes de la piété que le Seigneur à son avènement trouvera sur la terre. Ne vous troublez pas des trahisons, d’où qu’elles viennent : ce furent les princes des prêtres, les scribes et les anciens, qui dressèrent les embûches où notre Maître voulut succomber. N’ayez égard aux pensées de la foule, que le moindre souffle agite en divers sens comme l’eau des mers. N’y en eût-il qu’un seul à faire son salut comme Loth à Sodome, il ne doit pas dévier de la rectitude parce que lui seul a raison, mais maintenir immuable son espérance en Jésus-Christ » [38].

Lui-même, de son lit de souffrances, donnait l’exemple à tous. Mais quelles n’étaient pas les angoisses de son âme, en constatant le peu de correspondance à ses efforts qu’il trouvait dans les chefs des diocèses ! Il s’étonnait douloureusement à la vue de ces hommes dont l’ambition n’était pas éteinte par l’état lamentable des églises ; n’écoutant que leurs susceptibilités jalouses, lorsque déjà le vaisseau coulait bas, ils se disputaient à qui commanderait sur ce navire en perdition [39]. D’autres, et des meilleurs, se tenaient à l’écart, espérant se faire oublier dans le silence de leur inertie [40], ne comprenant pas que, lorsque les intérêts généraux sont engagés, ce n’est point un éloignement égoïste de la lutte qui sauve les particuliers ou les absout du crime de trahison [41]. Un jour, et il est curieux d’entendre notre saint raconter le fait à son ami Eusèbe de Samosate, le futur martyr, un jour se répandit le bruit de la mort de Basile ; tous ces évêques aussitôt d’accourir à Césarée pour lui donner un successeur. « Mais, dit Basile, comme il plut à Dieu qu’ils me trouvassent vivant, je les prêchai d’importance. Peine inutile malheureusement ! Moi présent, ils me craignent et promettent tout ; à peine retirés, ils se retrouvent les mêmes » [42]. Cependant la persécution grandissait sans cesse, et pour tous arrivait tôt ou tard le moment de choisir entre l’hérésie flagrante ou le bannissement. Plusieurs alors consommaient leur apostasie ; d’autres, ouvrant enfin les yeux, prenaient la route de l’exil, où ils pouvaient méditer à loisir sur les avantages de leur politique d’effacement, et, ce qui valait mieux, réparer leur faiblesse passée par l’héroïsme avec lequel ils souffraient désormais pour la foi.

La vertu de Basile en imposait aux persécuteurs, et Dieu le gardait par des prodiges, si bien que lui, qui s’était exposé plus que personne au danger, restait presque seul à la tête de son Église. Il en profita pour faire jouir cette Église fortunée des bienfaits d’un enseignement et d’une administration, dont les résultats merveilleux eussent semblé réclamer tous l’exclusive attention d’un évêque et la paix la plus grande. Césarée le payait de retour. Sa parole excitait une telle avidité dans toutes les classes du peuple, que le troupeau ne pouvait se passer du pasteur et qu’on l’attendait des journées entières dans les églises où il devait prêcher [43] ; lui-même, un jour qu’exténué, l’ardeur de son insatiable auditoire ne lui permettait pas le repos, se compare à la mère épuisée qui ne laisse pas de donner le sein à son enfant, moins pour le nourrir que pour apaiser ses cris [44]. Quelle délicieuse entente dans ces réunions ! Lorsque l’orateur laissait inexpliqué par mégarde un verset de l’Écriture, les signes discrets, les muettes réclamations des fils rappelaient au père le passage dont on prétendait bien ne pas lui faire grâce [45] ; Basile alors se répandait en excuses charmantes et s’exécutait, mais il était fier de son peuple. Expliquant parmi les merveilles de l’œuvre des six jours les splendeurs du vaste Océan, il s’arrête, et, promenant sur la multitude rangée autour de sa chaire un regard d’ineffable complaisance : « Si la mer est belle et digne de louange devant Dieu, reprend-il, combien plus belle n’est pas cette immense assemblée ! où, mieux que les ondes venant mourir au rivage, la voix mêlée des hommes, des femmes et des enfants porte jusqu’à Dieu nos prières ; calme océan, gardant la paix dans ses profondeurs, parce que le souffle mauvais de l’hérésie reste impuissant à soulever ses flots » [46].

Heureux peuple, formé par Basile à l’intelligence des Écritures, des Psaumes surtout, dont il sut inspirer aux fidèles un si grand amour, que tous contractèrent l’habitude de se rendre la nuit à la maison de Dieu, pour y répandre leur âme dans une prière commune et la solennelle louange de la psalmodie alternative [47] ! Cette communauté de la prière était un des fruits de son ministère que Basile, en véritable moine, estimait le plus ; l’importance qu’il y attachait fit de lui l’un des principaux Pères de la Liturgie grecque. « Ne me parlez pas, s’écriait-il, de maisons privées, d’assemblées particulières. Adorez le Seigneur en sa cour sainte, dit le Psalmiste ; l’adoration requise ici est celle qui se fait, non pas en dehors de l’église, mais à la cour, à l’unique cour de Dieu » [48].

Le temps nous manque pour suivre notre saint dans les détails de cette grande et vraie vie de famille avec tout un peuple, qui fit la consolation de son existence par delà si orageuse. Il faudrait le montrer se faisant tout à tous dans les douleurs et la joie, avec cette simplicité qui s’alliait si bien chez lui à la grandeur ; répondant aux plus humbles consultations, comme s’il n’eût pas eu d’occupation plus urgente que de satisfaire le moindre de ses fils ; réclamant, jusqu’à pleine satisfaction, contre toute injustice atteignant l’un des siens ; et enfin, avec l’appui de sa fidèle Césarée soulevée tout entière pour la défense de son évêque, faisant de sa personne un infranchissable rempart aux vierges et aux veuves contre les brutales poursuites des puissants. Pauvre et dénué de tout, depuis qu’en embrassant la vie monastique il a distribué aux pauvres les grands biens qu’il tenait de sa famille, il n’en trouve pas moins le secret d’élever dans sa ville épiscopale un établissement immense, refuge assuré des pèlerins et des pauvres, asile ouvert dans un ordre parfait à toutes les souffrances, à tous les besoins des divers âges : véritable cité nouvelle à côté de la grande ville, et que la reconnaissance des peuples appela du nom de son fondateur. Prêt à la fois pour toutes les luttes, on le vit maintenir intrépidement les droits d’exarchat que possédait son siège sur les onze provinces composant la vaste division administrative, connue par les Romains d’alors sous le nom générique de diocèse du Pont. Infatigable zélateur des saints canons, en même temps qu’il défendait ses clercs contre les atteintes portées à leurs immunités, il réforma les abus qui s’étaient introduits en des temps moins troublés que les siens ; et sous l’effort même de la tempête, il sut ramener la discipline sacrée à l’exacte perfection des plus beaux jours.

Cependant le temps vint où les intérêts majeurs de la foi, qui semblaient avoir suspendu pour son corps épuisé la loi de toute chair, ne réclamèrent plus aussi impérieusement sa présence. Le 9 août 378, la flèche des Goths faisait justice de Valens ; bientôt l’édit de Gratien rappelait d’exil les confesseurs, et Théodose paraissait en Orient. Dès le 1er janvier 379, libre enfin, Basile s’endormait dans le Seigneur.

L’Église grecque fête la mémoire du grand évêque une première fois le jour même de cette mort, conjointement avec la Circoncision du Verbe fait chair ; le 3 du même mois elle l’unit dans une nouvelle solennité à ses deux autres Docteurs, Grégoire de Nazianze et Jean Chrysostome, accumulant les magnificences de sa Liturgie pour chanter dignement ce trentième jour de janvier, qu’un triple soleil illumine ainsi de ses splendeurs concordantes à la gloire de la Trinité sainte [49].

L’Église latine a choisi, pour célébrer Basile, la date du 14 juin comme étant celle de son ordination.

N’est-ce pas vous avoir assez loué, grand Pontife, que d’avoir seulement énoncé vos œuvres ? Puissent-elles, ces œuvres, trouver de nos temps des imitateurs ! Car, l’histoire le montre clairement, ce sont les saints de votre taille qui font la grandeur d’une époque et son salut. Le peuple le plus éprouvé, le plus abandonné en apparence, n’a besoin que d’un chef docile en tout, docile jusqu’à l’héroïsme aux inspirations de l’Esprit toujours présent dans l’Église, et ce peuple portera la tempête, et il vaincra enfin ; tandis que lorsque le sel de la terre est affadi [50], la société se dissout, sans qu’il soit même besoin d’un Julien ou d’un Valons pour la mener à sa perte. Obtenez donc, ô Basile, des chefs tels que vous à notre société si malade ; que l’étonnement de Modestus se reproduise en nos jours ; que les successeurs des préfets de Valens rencontrent partout un évêque à la tête des églises : et leur étonnement sera pour nous le signal du triomphe ; car un évêque n’est jamais vaincu, dût-il passer par l’exil ou la mort. En même temps que vous maintiendrez les pasteurs des Églises à la hauteur de cet état de perfection Où les veut l’onction sainte, élevez aussi le troupeau jusqu’aux voies de la sainteté que son christianisme suppose. Ce n’est pas aux moines seulement qu’il a été dit : Le royaume des cieux est en vous [51]. Vous nous apprenez [52] que ce royaume des cieux, cette béatitude qui déjà peut être la nôtre, est la contemplation qui nous est accessible ici-bas des réalités éternelles, non par la claire et directe vision, mais dans le miroir dont parle l’Apôtre. Quelle absurdité, ainsi que vous le dites, de ne cultiver, de ne nourrir dans l’homme que les sens affamés de matière, et de refuser au seul esprit son libre jeu et sa pâture ! L’esprit ne s’élance-t-il pas de lui-même vers les régions de l’intelligible pour lequel il est fait ? Si son essor est laborieux, c’est que les sens ont prévalu contre lui. Apprenez-nous à le guérir par la foi et l’amour, qui lui rendront l’agilité du cerf et relèveront sur les montagnes. Répétez aux hommes de notre temps qui pourraient l’oublier, que le souci d’une foi droite n’est pas moins nécessaire à cette fin que la rectitude de la vie. Hélas ! vos fils en trop grand nombre ont oublié que tout vrai moine, tout vrai chrétien, déteste l’hérétique [53]. Bénissez d’autant mieux ceux que tant d’épreuves continues n’ont pu ébranler ; multipliez les retours ; hâtez le jour heureux où l’Orient, secouant le double joug du schisme et de l’Islam, reprendra dans le bercail unique de l’unique pasteur une place qui fut si glorieuse.

Pour nous qui sommes en ce moment prosternés à vos pieds, ô Docteur de l’Esprit-Saint, défenseur du Verbe consubstantiel au Père, faites que comme vous nous vivions toujours à la gloire de la Trinité sainte. Vous l’exprimiez dans une admirable formule : « Être baptisé dans la Trinité, croire conformément à son baptême, glorifier Dieu selon sa foi », c’était pour vous l’essentielle base de ce que doit être le moine [54] ; mais n’est-ce pas aussi tout le chrétien ? Faites-le comprendre à tous, et bénissez-nous.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Ce géant de l’épiscopat oriental, phare de l’orthodoxie, patriarche et législateur de la vie monastique, mourut le Ier janvier 379 ( ?). Mais comme ce jour était déjà affecté à l’office de l’octave du Seigneur, la fête de saint Basile fut renvoyée à cette date que l’on croit — mais sans raison sérieuse — être l’anniversaire de sa consécration épiscopale.

Parler brièvement des mérites de Basile est difficile, et au-dessus de nos forces. Que parle donc, et mieux que nous, saint Éphrem, qui fit son éloge quand le grand évêque vivait encore.

Le saint diacre d’Édesse reçut, en une vision, l’ordre du Seigneur d’aller à Césarée trouver Basile : Ecce in domo mea vas splendidum est ac magnificum, quod tibi suppeditabit cibum. — Il se met donc en route, part d’Édesse de Syrie, et va à Césarée, où il trouve Basile prêchant dans l’église, avec l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe, sur son épaule. Voici comment Ephrem nous décrit l’impression qu’il en éprouva :

Vidi in Sanctis Sanctorum Vas Electionis, coram armento ovium præclare extensum, verbisque maiestate plenis exornatum atque distinctum, omniumque oculos in illud defixos.
Vidi templum ab eo spiritu vegetatum, eiusque in viduas ac orphanos potissimum commiserationes.
Vidi... ipsum Pastorem pennis Spiritus sursum pro nobis preces tollentem, filumque orationis deducentem.
Vidi ab ipso ecclesiam ornatam et dilectam aptissime compositam.
Prospexi ab ipso manare doctrinam Pauli, legem Evangeliorum, et timorem Mysteriorum [55].

L’histoire de la primauté pontificale trouve en Basile l’un de ses défenseurs les plus convaincus. Quand, du fait des abus de pouvoir des Ariens, toutes les Églises d’Orient étaient bouleversées, le Saint juge que l’unique remède est l’intervention du Pape, et il écrit dans ce but au grand saint Athanase : Visum est autem mihi consentaneum ut scribatur episcopo Romæ, ut quæ hic geruntur consideret et sententiam suam exponat. Et quoniam difficile est ut communi ac synodico decreta aliqui illinc mittantur, ipse sua auctoritate in ista causa usus, viros eligat... omnia secum habentes necessaria, ad ea rescindenda, quæ Arimini per vim et violentiam gesta sunt [56].

C’est aussi dans ce sens que Basile écrivit à Damase, lui dépeignant l’état misérable de l’Orient : Universusquidem prope modum Oriens, Pater colendissime, hoc est quidquid ab Illyrico ad Ægyptum usque protenditur, vehementi tempestate et fluctuum exagitatione percellitur... Horum carte malorum remedium esse unicum arbitramur, miserationis tuæ visitationem sollicitudinemque [57].

Non moins que le monachisme oriental, le monachisme bénédictin considère saint Basile comme son patriarche et son législateur. En effet, saint Benoît, en de nombreux passages de sa Règle, dépend du saint évêque de Césarée, à la Règle duquel il renvoie directement ses disciples avides d’une nourriture spirituelle plus forte. Dans le haut moyen âge, de nombreux monastères d’Europe suivaient simultanément les Règles de Saint Basile et de Saint Benoît ; et en Italie surtout, les monastères grecs, gouvernés conformément aux canons monastiques basiliens, se maintinrent nombreux et florissants jusqu’au XVIIe siècle.

Sous l’influence de ces éléments, le culte liturgique de saint Basile fut relativement répandu, et nous trouvons jusque dans la Ville éternelle un antique monastère portant son nom. Saint-Basile in scala mortuorum, près du Forum de Nerva, fut jadis une des principales abbayes romaines et il en est question dans un document d’Agapit II [58]. Sa destruction est toute récente.

A saint Basile était également dédiée l’église monastique de Sainte-Marie-Aventine, érigée par Albéric dans sa propre demeure, du temps de saint Odon. Là Hildebrand, le futur Grégoire VII, professa la vie monastique sous la Règle du patriarche du Mont-Cassin.

Il existe encore à Rome une troisième petite église consacrée à saint Basile. Elle se trouve non loin du titulus Susannæ, et au XVIIe siècle on y ouvrit un collège de moines basiliens italo-grecs.

Dans la basilique vaticane se trouve un autel dédié à saint Basile, et le tableau qui le surmonte représente le Saint célébrant les divins mystères avec tant de dévotion et de majesté, que l’empereur arien Valens, entrant dans l’église le jour de l’Epiphanie, faillit s’évanouir de terreur.

L’office de saint Basile fut inséré dans le Calendrier romain à la fin du moyen âge. L’introït est celui des Docteurs, comme le 7 décembre ; les collectes sont empruntées à la messe Sacerdotes, comme pour la fête de saint Léon le Grand le 11 avril. La première lecture et le répons proviennent du Commun des Docteurs, comme le 29 janvier, sauf le verset alléluiatique, pris à la messe de saint Sylvestre Ier.

La lecture évangélique est celle du Commun des Martyrs Pontifes, comme le 24 janvier, avec, en plus, les versets 34-35 qui terminent en saint Luc le même chapitre XIV et se rapportent aux fonctions du Docteur. A ce passage, où le Sauveur parle du renoncement généreux, fait par ses disciples, à toutes les choses du monde, se rapporte une page magnifique des Règles de saint Basile, insérée aujourd’hui dans le Bréviaire, au IIIe Nocturne ; le saint Docteur y explique le dépouillement et le détachement qu’exigé la vocation monastique. Moine signifie serviteur de Dieu : c’était en effet le titre qu’on donnait anciennement au moine : Servus Dei, et quand saint Grégoire se fit moine, il prit par humilité le nom de Servus servorum Dei, c’est-à-dire serviteur de tous les moines, dernier du monastère. Le moine est donc celui qui, ayant donné à Dieu omne quod habet, omne quod facit, omne quod est, tel un esprit, n’a plus rien en propre, ni biens, ni corps, ni volonté ; mais il demeure sur la terre tant que Dieu l’y laisse pour sa propre gloire, sans désormais appartenir au monde.

L’antienne pour l’offrande des dons est commune à la fête d’hier, tandis que celle pour la Communion est semblable à celle du 29 janvier.

Une célèbre réponse de saint Basile est celle qu’il adressa au préfet arien Modeste ; celui-ci, habitué à la servilité des évêques courtisans hérétiques, avait fait observer au Saint que personne jusqu’alors ne lui avait tenu un langage si ferme et si fier. — « C’est que, répondit Basile, tu n’as jamais jusqu’à présent, parlé avec un évêque ! »

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Je vis le pasteur emportant vers Dieu des prières pour nous sur les ailes de l’esprit ». C’est ainsi que le décrit saint Ephrem.

1. Saint Basile. — Jour de mort : 1er janvier 379 (Aujourd’hui est l’anniversaire de sa consécration épiscopale). Tombeau : à Césarée de Cappadoce. Image : On le représente en évêque grec, avec une colombe sur le bras. Vie : Basile le Grand, archevêque de Césarée, était l’aîné de quatre fils dont trois furent évêques (parmi eux, saint Grégoire de Nysse). Sa pieuse grand-mère, Macrine, exerça une grande influence sur son éducation religieuse. « Jamais je n’oublierai, écrit-il, l’impression profonde que firent sur mon âme les discours et les exemples de cette vénérable femme ». On connaît l’amitié intime qui l’unissait à saint Grégoire de Nazianze et qui persévéra jusqu’à la mort. Ce que fut saint Benoît pour l’Occident, saint Basile le fut pour l’Orient : le père et le fondateur du monachisme. Comme évêque, il fut un intrépide champion de la foi catholique contre l’hérésie arienne. Il résista courageusement à l’empereur Valens qui voulait ériger l’arianisme en religion d’État. Basile fut un esprit éminent, une lumière ardente de son temps. Mais alors que cette lumière brillait et réchauffait, il se consumait lui-même. Son esprit grandissait sans cesse, mais son corps s’épuisait. A 49 ans, il était déjà un vieillard. Il a accompli de grandes choses dans tous les domaines de la vie religieuse. Il fut un grand théologien, un prédicateur puissant, un écrivain très doué. Il a composé deux règles monastiques et réformé la liturgie orientale. Il mourut en 379, à peine âgé de 49 ans. Il était si amaigri qu’il semblait n’avoir plus que les os et la peau. On aurait dit qu’il n’y avait plus que la vie de l’esprit dans cette enveloppe diaphane.

2. La messe (In medio). — La messe est du commun des docteurs de l’Église, mais avec un autre Évangile. Nous voyons le docteur dont le Seigneur ouvre la bouche au milieu de l’Église. A l’Épître, saint Paul parle à son disciple saint Basile du ministère de la prédication et de l’enseignement ; il a fidèlement suivi les instructions du Maître. A l’Évangile, le Seigneur fait entendre son sermon de la Croix. Basile l’a réalisé dans sa vie ; il a haï sa vie et porté sa croix à la suite du Seigneur.

3. Un trait de sa vie. — Valens envoya, en 372, le préfet Modestus vers Basile, en Cappadoce. Le préfet reprocha à Basile d’oser avoir une autre foi que celle de l’empereur. Il le menaça de la confiscation de ses biens, de l’exil, des tortures et de la mort. A ce langage du despotisme byzantin, Basile répondit avec le calme que lui donnaient la force divine et la foi : « C’est tout ? De tout cela rien ne me touche. Celui qui ne possède rien ne peut pas voir ses biens confisqués. Je ne connais pas le bannissement car, sur la vaste terre de Dieu, je suis partout chez moi. Les tortures ne peuvent pas m’arrêter car je n’ai pas de corps. La mort sera pour moi la bienvenue, car elle m’emportera plus vite vers Dieu ; au reste, je suis en grande partie mort et depuis longtemps je m’avance vers ma tombe ». Frappé par ces paroles, le préfet dit : « On ne m’a encore jamais parlé avec une pareille liberté ». « C’est sans doute », reprit Basile, « que tu n’es jamais tombé sur un évêque ». Le préfet se hâta de retourner auprès de l’empereur et il lui dit : « César, nous sommes vaincus par le chef de l’Église. Il est plus fort que les menaces, plus ferme que les paroles, plus puissant que la persuasion ».

Benoît XVI, catéchèses, 4 juillet et 1er août 2007

Chers frères et sœurs !

Aujourd’hui, nous voulons rappeler l’un des grands Pères de l’Église, saint Basile, défini par les textes liturgiques byzantins comme une « lumière de l’Église ». Il fut un grand Évêque du IVe siècle, que l’Église d’Orient tout comme celle d’Occident considère avec admiration, en raison de sa sainteté de vie, de l’excellence de sa doctrine et de la synthèse harmonieuse entre ses qualités spéculatives et pratiques. Il naquit autour de 330 dans une famille de saints, « authentique Église domestique », qui vivait dans un climat de foi profonde. Il accomplit ses études auprès des meilleurs maîtres d’Athènes et de Constantinople. Insatisfait de ses succès dans le monde, et s’étant rendu compte qu’il avait perdu beaucoup de temps en vanités, il confesse lui-même : « Un jour, comme me réveillant d’un sommeil profond, je me tournai vers l’admirable lumière de la vérité de l’Évangile.., et je pleurai sur ma vie misérable » [59]. Attiré par le Christ, il commença à regarder vers Lui et à n’écouter que Lui [60]. Il se consacra avec détermination à la vie monastique dans la prière, dans la méditation des Saintes Écritures et des écrits des Pères de l’Église, et dans l’exercice de la charité [61], suivant également l’exemple de sa sœur, sainte Macrine, qui vivait déjà dans l’ascétisme monacal. Il fut ensuite ordonné prêtre et, enfin, en 370, Évêque de Césarée de Cappadoce, dans l’actuelle Turquie.

A travers sa prédication et ses écrits, il accomplit une intense activité pastorale, théologique et littéraire. Avec un sage équilibre, il sut concilier le service des âmes et le dévouement à la prière et à la méditation dans la solitude. Fort de son expérience personnelle, il encouragea la fondation de nombreuses « fraternités » ou communautés de chrétiens consacrés à Dieu, auxquelles il rendait fréquemment visite [62]. A travers la parole et les écrits, dont un grand nombre sont parvenus jusqu’à nous [63], il les exhortait à vivre et à progresser dans la perfection. Divers législateurs du monachisme antique ont puisé à ses œuvres, dont saint Benoît, qui considérait Basile comme son maître [64]. En réalité, il a créé un monachisme très particulier : non pas fermé à l’Église locale, mais ouvert à elle. Ses moines faisaient partie de l’Église particulière, ils en étaient le centre vivant qui, précédant les autres fidèles à la suite du Christ, et non seulement dans la foi, montrait la ferme adhésion au Christ - l’amour pour Lui - surtout dans les œuvres de charité. Ces moines, qui avaient des écoles et des hôpitaux, étaient au service des pauvres et ont ainsi montré l’intégrité de la vie chrétienne. Ainsi, écrivait le Serviteur de Dieu Jean-Paul II : « Beaucoup pensent que cette institution importante qu’est la vie monastique dans la structure de toute l’Église, a été établie au cours des siècles surtout par saint Basile ou au moins qu’elle n’a pas été définie selon sa nature propre sans sa participation décisive » [65].

En tant qu’Évêque et pasteur de son vaste diocèse, Basile se soucia constamment des conditions matérielles difficiles dans lesquelles vivaient les fidèles ; il dénonça avec fermeté les maux ; il s’engagea en faveur des plus pauvres et des laissés-pour-compte ; il intervint également auprès des gouvernants pour soulager les souffrances de la population, en particulier dans les périodes de catastrophes ; il se préoccupa de la liberté de l’Église, s’opposant également aux puissants pour défendre le droit de professer la vraie foi [66]. A Dieu, qui est amour et charité, Basile rendit un précieux témoignage, en construisant plusieurs hospices pour les plus démunis [67], une sorte de ville de la miséricorde, qui prit de lui son nom de Basiliade [68]. Celle-ci se trouve à l’origine des institutions hospitalières modernes d’accueil et de soin des malades.

Conscient que « la liturgie est le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source dont émane toute sa vertu » [69], Basile, bien que toujours soucieux de réaliser la charité qui est la caractéristique de la foi, fut également un sage « réformateur liturgique » [70]. En effet, il nous a laissé une grande prière eucharistique (ou anaphore) qui tire son nom de lui, et il a donné une organisation fondamentale à la prière et à la psalmodie : sur son impulsion, le peuple aima et connut les Psaumes, et il se rendait en prière également la nuit [71]. Et ainsi, nous voyons que liturgie, adoration, prière avec l’Église et charité vont de pair et se conditionnent réciproquement.

Basile sut s’opposer avec zèle et courage aux hérétiques, qui niaient que Jésus Christ soit Dieu comme le Père [72]. De même, contre ceux qui n’acceptaient pas la divinité de l’Esprit Saint, il soutint que l’Esprit est Dieu lui aussi, et « doit être compté et glorifié avec le Père et le Fils » [73]. C’est pourquoi Basile est l’un des grands Pères qui ont formulé la doctrine sur la Trinité : l’unique Dieu, précisément parce qu’il est amour, est un Dieu en trois Personnes, qui forment l’unité la plus profonde qui existe : l’unité divine.

Dans son amour pour le Christ et pour son Évangile, le grand Cappadocien s’engagea également à recomposer les divisions au sein de l’Église [74], se prodiguant afin que tous se convertissent au Christ et à sa Parole [75], force unificatrice, à laquelle tous les croyants doivent obéir [76].

En conclusion, Basile se dévoua totalement au service fidèle de l’Église et à l’exercice du ministère épiscopal aux multiples aspects. Selon le programme qu’il traça lui-même, il devint « apôtre et ministre du Christ, dispensateur des mystères de Dieu, héraut du royaume, modèle et règle de piété, œil du corps de l’Église, pasteur des brebis du Christ, pieux médecin, père et nourricier, coopérateur de Dieu, vigneron de Dieu, bâtisseur du temple de Dieu » [77].

C’est ce programme que le saint Évêque remet aux annonciateurs de la Parole - hier comme aujourd’hui -, un programme qu’il s’engagea lui-même généreusement à mettre en pratique. En 379, Basile, qui n’avait pas encore cinquante ans, consumé par les peines et par l’ascèse, retourna à Dieu, « dans l’espérance de la vie éternelle, à travers Jésus Christ notre Seigneur » [78]. C’était un homme qui a véritablement vécu avec le regard fixé sur le Christ. C’était un homme d’amour envers son prochain. Empli de l’espérance et de la joie de la foi, Basile nous montre comment être réellement chrétiens.

Chers frères et sœurs !

Après ces trois semaines de pause, nous reprenons nos rencontres habituelles du mercredi. Aujourd’hui, je voudrais simplement reprendre la dernière catéchèse, dont le thème était la vie et les écrits de saint Basile, Évêque dans l’actuelle Turquie, en Asie mineure, au IV siècle. La vie de ce grand Saint et ses œuvres sont riches d’éléments de réflexion et d’enseignements précieux pour nous aussi aujourd’hui.

Avant tout, le rappel au mystère de Dieu, qui demeure la référence la plus significative et vitale pour l’homme. Le Père est « le principe de tout et la cause de l’existence de ce qui existe, la racine des vivants » [79] et surtout il est « le Père de notre Seigneur Jésus Christ » [80]. En remontant à Dieu à travers les créatures, nous « prenons conscience de sa bonté et de sa sagesse » [81]. Le Fils est l’« image de la bonté du Père et le sceau de forme égale à lui » [82]. A travers son obéissance et sa passion, le Verbe incarné a réalisé la mission de Rédempteur de l’homme [83].

Enfin, il parle largement de l’Esprit Saint, auquel il a consacré tout un livre. Il nous révèle que l’Esprit anime l’Église, la remplit de ses dons, la rend sainte. La lumière splendide du mystère divin se reflète sur l’homme, image de Dieu, et en rehausse la dignité. En contemplant le Christ, on comprend pleinement la dignité de l’homme. Basile s’exclame : « (Homme), rends-toi compte de ta grandeur en considérant le prix versé pour toi : vois le prix de ton rachat, et comprends ta dignité ! » [84]. En particulier le chrétien, vivant conformément à l’Évangile, reconnaît que les hommes sont tous frères entre eux, que la vie est une administration des biens reçus de Dieu, en vertu de laquelle chacun est responsable devant les autres et celui qui est riche doit être comme un « exécuteur des ordres de Dieu bienfaiteur » [85]. Nous devons tous nous aider, et coopérer comme les membres d’un seul corps [86].

Et, dans ses homélies, il a également utilisé des paroles courageuses, fortes sur ce point. Celui qui, en effet, selon le commandement de Dieu, veut aimer son prochain comme lui-même, « ne doit posséder rien de plus que ce que possède son prochain » [87].

En période de famine et de catastrophe, à travers des paroles passionnées, le saint Évêque exhortait les fidèles à « ne pas se révéler plus cruels que les animaux sauvages.., s’appropriant le bien commun, et possédant seul ce qui appartient à tous » [88]. La pensée profonde de Basile apparaît bien dans cette phrase suggestive : « Tous les indigents regardent nos mains, comme nous-mêmes regardons celles de Dieu, lorsque nous sommes dans le besoin ». Il mérite donc pleinement l’éloge qu’a fait de lui Grégoire de Nazianze, qui a dit après la mort de Basile : « Basile nous persuade que nous, étant hommes, ne devons pas mépriser les hommes, ni offenser le Christ, chef commun de tous, par notre inhumanité envers les hommes ; au contraire, face aux malheurs des autres, nous devons nous-mêmes faire le bien, et prêter à Dieu notre miséricorde car nous avons besoin de miséricorde » [89]. Des paroles très actuelles. Nous voyons que saint Basile est réellement l’un des Pères de la Doctrine sociale de l’Église.

En outre, Basile nous rappelle qu’afin de garder vivant en nous l’amour envers Dieu, et envers les hommes, nous avons besoin de l’Eucharistie, nourriture adaptée pour les baptisés, capable d’alimenter les énergies nouvelles dérivant du Baptême [90]. C’est un motif de grande joie de pouvoir participer à l’Eucharistie [91], instituée « pour conserver sans cesse le souvenir de celui qui est mort et ressuscité pour nous » [92]. L’Eucharistie, immense don de Dieu, préserve en chacun de nous le souvenir du sceau baptismal, et permet de vivre en plénitude et dans la fidélité la grâce du Baptême. Pour cela, le saint Évêque recommande la communion fréquente, et même quotidienne : « Communier même chaque jour, en recevant le saint corps et sang du Christ, est chose bonne et utile ; car lui-même dit clairement : "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle" [93]. Qui doutera donc que communier continuellement à la vie ne soit pas vivre en plénitude ? » [94]. L’Eucharistie, en un mot, nous est nécessaire pour accueillir en nous la vraie vie, la vie éternelle [95].

Enfin, Basile s’intéressa naturellement également à la portion élue du peuple de Dieu, que sont les jeunes, l’avenir de la société. Il leur adressa un Discours sur la façon de tirer profit de la culture païenne de l’époque. Avec beaucoup d’équilibre et d’ouverture, il reconnaît que dans la littérature classique, grecque et latine, se trouvent des exemples de vertu. Ces exemples de vie droite peuvent être utiles pour le jeune chrétien à la recherche de la vérité et d’une façon de vivre droite [96]. C’est pourquoi, il faut emprunter aux textes des auteurs classiques ce qui est adapté et conforme à la vérité : ainsi, à travers une attitude critique et ouverte - il s’agit précisément d’un véritable "discernement" - les jeunes grandissent dans la liberté. A travers la célèbre image des abeilles, qui ne prennent des fleurs que ce dont elles ont besoin pour le miel, Basile recommande : « Comme les abeilles savent extraire le miel des fleurs, à la différence des autres animaux qui se limitent à jouir du parfum et de la couleur des fleurs, de même, de ces écrits également, on peut recueillir un bénéfice pour l’esprit. Nous devons utiliser ces livres en suivant en tout l’exemple des abeilles. Celles-ci ne vont pas indistinctement sur toutes les fleurs, et ne cherchent pas non plus à tout emporter de celles sur lesquelles elles se posent, mais elles en extraient uniquement ce qui sert à la fabrication du miel et laissent le reste. Et nous, si nous sommes sages, nous prendrons de ces écrits uniquement ce qui est adapté à nous, et conforme à la vérité, et nous laisserons de côté le reste » [97]. Basile, surtout, recommande aux jeunes de croître dans les vertus, dans la façon droite de vivre : « Tandis que les autres biens passent d’une main à l’autre, comme dans un jeu de dés, seule la vertu est un bien inaliénable, et demeure toute la vie et après la mort » [98].

Chers frères et sœurs, il me semble que l’on peut dire que ce Père d’une époque lointaine nous parle encore et nous dit des choses importantes. Avant tout, cette participation attentive, critique et créatrice à la culture d’aujourd’hui. Puis, la responsabilité sociale : c’est une époque à laquelle, dans un univers mondialisé, même les peuples géographiquement éloignés sont réellement notre prochain. Nous avons ensuite l’amitié avec le Christ, le Dieu au visage humain. Et, enfin, la connaissance et la reconnaissance envers le Dieu créateur, notre Père à tous : ce n’est qu’ouverts à ce Dieu, le Père commun, que nous pouvons construire un monde juste et un monde fraternel.

© Copyright 2007 - Libreria Editrice Vaticana

[1] Symb. Constantinop.

[2] Basil. Lib. de Sp. S. IX.

[3] Ibid. XXVI.

[4] Ibid. XVIII.

[5] Ibid. XXI.

[6] Ibid. XVI.

[7] Ibid. XXII.

[8] De legend. libris gentil.

[9] Sermo ascetic.

[10] Prœm. de judicio Dei.

[11] Prævia instit. ascetica.

[12] Prævia Instit. ascetica.

[13] De fide ; Moralia.

[14] Reg. brev. tractatæ 160 etc., 114 etc.

[15] Reg. fus. tract. 30.

[16] Reg. fus. tract. 10 ; Epist. 23, al. 383 ; Epist. 199, al. 2, can. XVIII, XIX.

[17] Epist. 207, al. 63.

[18] S. P. Bened. Reg. cap. LXXIII.

[19] Prov. XVII, 6.

[20] Epist. 204, al. 15 ; Epist. 223, al. 79.

[21] I Thess. V, 5.

[22] Hieron. Dial. cont. Lucif.

[23] Isai. LVI, 10.

[24] Epist. 203, al. 77.

[25] Epist. 204, al. 75, etc.

[26] Epist. 136, al. 257.

[27] Lib. de Sp. S. XXX.

[28] Epist. 91, al. 324 ; 92, al. 69 ; etc.

[29] Epist. 113, al. 203.

[30] Epist. 58, al. 44.

[31] Epist. 259, al. 184.

[32] Epist. 128, al. 365.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] Act. IV, 32.

[36] Epist. 138, al. 365.

[37] Lib. de Sp. S. XXX.

[38] Epist. 257, al. 303.

[39] Lib. de Sp. S. XXX.

[40] Epist. 141, al. 262.

[41] Epist. 136, al. 257.

[42] Epist. 141, al. 262.

[43] Homil. in Ps. CXIV.

[44] In Ps. LIX.

[45] Hom. VIII in Hexaemeron.

[46] In Hexaem. IV.

[47] Epist. 207, al. 63.

[48] In Ps. XXVIII.

[49] Acoluthia triplicis festi.

[50] Matth. V, 13.

[51] Luc. XVII, 21.

[52] Basil. Epist. 8, al. III.

[53] Sermo de ascetic. discipl. Quomodo monachum ornari oporteat.

[54] Ibid.

[55] Act. SS. Iun., III, 381-382.

[56] Op. cit., 340.

[57] Op cit., 342-343.

[58] ARMELLINI, Le Chiese di Rama, 1891, p. 146.

[59] cf. Ep. 223 : PG 32, 824a.

[60] cf. Moralia 80, 1 : PG 31, 860bc.

[61] cf. Epp. 2 et 22.

[62] cf. Grégoire de Nazianze, Oratio 43, 29 in laudem Basilii : PG 36, 536b.

[63] cf. Regulae brevius tractatae, Préambule : PG 31, 1080ab.

[64] cf. Regula 73, 5.

[65] Lettre apostolique Patres Ecclesiae, n. 2.

[66] cf. Grégoire de Nazianze, Oratio 43, 48-51 in Laudem Basilii : PG 36, 557c-561c.

[67] cf. Basile, Ep. 94 : PG 32, 488bc.

[68] cf. Sozomène, Historia Eccl. 6, 34 : PG 67, 1397a.

[69] Sacrosanctum Concilium, n. 10.

[70] cf. Grégoire de Nazianze, Oratio 43, 34 in laudem Basilii : PG 36, 541c.

[71] cf. Basile, In Psalmum 1, 1-2 : PG 29, 212a-213c.

[72] cf. Basile, Ep. 9, 3 : PG 32, 272a ; Ep. 52, 1-3 : PG 32, 392b-396a ; Adv. Eunomium 1, 20 : PG 29, 556c.

[73] cf. De Spiritu Sancto : SC 17bis, 348.

[74] cf. Epp. 70 et 243.

[75] cf. De iudicio 4 : PG 31, 660b-661a.

[76] cf. ibid. 1-3 : PG 31, 653a-656c.

[77] cf. Moralia 80, 11-20 : PG 31, 864b-868b.

[78] De Baptismo 1, 2, 9.

[79] Hom 15, 2 de fide : PG 31, 465c.

[80] Anaphora sancti Basilii.

[81] Basile, Contra Eunomium 1, 14 : PG 29, 544b.

[82] cf. Anaphora sancti Basilii.

[83] cf. Basile, In Psalmum 48, 8 : PG 29, 452ab ; cf. également De Baptismo 1, 2 : SC 357, 158.

[84] In Psalmum 48, 8 : PG 29, 452b.

[85] Hom. 6 de avaritia : PG 32, 1181-1196.

[86] Ep. 203, 3.

[87] Hom. in divites : PG 31, 281b.

[88] Hom. tempore famis : PG 31, 325a.

[89] Grégoire de Nazianze, Oratio 43, 63 : PG 36, 580b.

[90] cf. De Baptismo 1, 3 : SC 357, 192.

[91] Moralia 21, 3 : PG 31, 741a.

[92] Moralia 80, 22 : PG 31, 869b.

[93] Jn 6, 54.

[94] Ep. 93 : PG 32, 484b.

[95] cf. Moralia 21, 1 : PG 31, 737c.

[96] cf. Ad Adolescentes 3.

[97] Ad Adolescentes 4.

[98] Ad Adolescentes 5.