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12/03 St Grégoire le Grand, pape, confesseur et docteur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses, 28 mai et 4 juin 2008  

Mort le 12 mars 604 et inhumé dans l’atrium de Saint-Pierre. Son anniversaire fut depuis lors célébré continuellement mais on ignore quand cet anniversaire funéraire se transforma en célébration du natale d’un saint.

Sa fête est assurée à Rome dès le VIIIe siècle. En Occident elle se répand d’abord logiquement en Angleterre (Concile de Cloveshoë en 747), puis dans tout l’empire carolingien.

Textes de la Messe

(En Carême, on fait seulement mémoire du Saint avec les trois oraisons de la Messe suivante)
die 12 martii
le 12 mars
SANCTI GREGORII I
SAINT GRÉGOIRE Ier
Papæ, Conf. et Eccl. Doct.
Pape, Confesseur et Docteur de l’Eglise
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Missa post 1942
Messe après 1942
Missa Si díligis me, de Communi Summorum Pontificum.Messe Si díligis me, du Commun des Souverains Pontifes.
Oratio PCollecte P
Deus, qui ánimæ fámuli tui Gregórii ætérnæ beatitúdinis prǽmia contulísti : concéde propítius ; ut, qui peccatórum nostrórum póndere prémimur, eius apud te précibus sublevémur. Per Dóminum.O Dieu, qui avez récompensé votre serviteur Grégoire, en donnant à son âme le bonheur éternel, faites, dans votre bonté, que nous soyons soulagés grâce à ses prières auprès de vous, nous qui sommes accablés sous le poids de nos péchés.
Secreta PSecrète P
Annue nobis, quǽsumus, Dómine : ut intercessióne beáti Gregórii hæc nobis prosit oblátio, quam immolándo totíus mundi tribuísti relaxári delícta. Per Dóminum.Accordez-nous, s’il vous plaît, Seigneur, que grâce à l’intercession du bienheureux Grégoire, cette oblation nous soit utile : c’est par cette immolation que vous avez voulu effacer les péchés du monde entier.
Postcommunio PPostcommunion P
Deus, qui beátum Gregórium Pontíficem Sanctórum tuórum méritis coæquásti : concéde propítius ; ut, qui commemoratiónis eius festa percólimus, vitæ quoque imitémur exémpla. Per Dóminum.O Dieu, qui avez égalé le bienheureux Pontife Grégoire en mérites à vos Saints, accordez-nous, dans votre bonté, que comme nous célébrons la mémoire de sa fête, nous imitions aussi les exemples de sa vie.
Missa ante 1942
Messe avant 1942
Ant. ad Introitum. Dan. 3, 84 et 87.Introït
Sacerdótes Dei, benedícite Dóminum : sancti et húmiles corde, laudáte Deum.Prêtres du Seigneur, bénissez le Seigneur ; saints et humbles de cœur, louez Dieu.
Ibid., 57.
Benedícite, ómnia ópera Dómini, Dómino : laudáte et superexaltáte eum in sǽcula.Œuvres du Seigneur, louez toutes le Seigneur, louez-le, et exaltez-le à jamais.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui ánimæ fámuli tui Gregórii ætérnæ beatitúdinis prǽmia contulísti : concéde propítius ; ut, qui peccatórum nostrórum póndere prémimur, eius apud te précibus sublevémur. Per Dóminum.O Dieu, qui avez récompensé votre serviteur Grégoire, en donnant à son âme le bonheur éternel, faites, dans votre bonté, que nous soyons soulagés grâce à ses prières auprès de vous, nous qui sommes accablés sous le poids de nos péchés.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Timotheum.Lecture de l’Epître de Saint Paul Apôtre à Timothée.
2. Tim. 4, 1-8.
Caríssime : Testíficor coram Deo, et Iesu Christo, qui iudicatúrus est vi vos et mórtuos, per advéntum ipsíus et regnum eius : pr.dica verbum, insta opportúne, importune : árgue, óbsecra, íncrepa in omni patiéntia, et doctrína. Erit enim tempus, cum sanam doctrínam non sustinébunt, sed ad sua desidéria, coacervábunt sibi magistros, pruriéntes áuribus, et a veritáte quidem audítum avértent, ad fábulas autem converténtur. Tu vero vígila, in ómnibus labóra, opus fac Evangelístæ, ministérium tuum ímpie. Sóbrius esto. Ego enim iam delíbor, et tempus resolutiónis meæ instat. Bonum certámen certávi, cursum consummávi, fidem servávi. In réliquo repósita est mihi coróna iustítiæ, quam reddet mihi Dóminus in illa die, iustus iudex : non solum autem mihi, sed et iis, qui díligunt advéntum eius.Mon bien-aimé, je t’adjure, devant Dieu et Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et par son règne, prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, supplie, menace, en toute patience et toujours en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre. Car pour moi, je vais être immolé, et le temps de ma dissolution approche, j’ai combattu le bon combat, j’ai achève ma course, j’ai gardé la foi. Reste la couronne de justice qui m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ; et non seulement à moi, mais aussi à ceux qui aiment son avènement.
Graduale. Ps. 109, 4 et 1.Graduel
Iurávit Dóminus, et non poenitébit eum : Tu es sacérdos in ætérnum, secúndum órdinem Melchísedech.Le Seigneur a juré, et il ne s’en repentira point : Vous êtes prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech.
V/. Dixit Dóminus Dómino meo : sede a dextris meis.V/. Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite.
Tractus. Ps. 111, 1-3.Trait
Beátus vir, qui timet Dóminum : in mandátis eius cupit nimis.Heureux l’homme qui craint le Seigneur et qui met ses délices dans ses commandements.
V/. Potens in terra erit semen eius : generátio rectórum benedicéturV/. Sa race sera puissante sur la terre ; la postérité des justes sera bénie.
V/. Glória et divítiæ in domo eius : et iustítia eius manet in sǽculum sǽculi.V/. La gloire et les richesses sont dans sa maison, et sa justice demeure dans tous les siècles.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Matthǽum.Lecture du Saint Evangile selon saint Mathieu.
Matth. 5, 13-19.
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Vos estis sal terræ. Quod si sal evanúerit, in quo saliétur ? Ad níhilum valet ultra, nisi ut mittátur foras, et conculcétur ab homínibus. Vos estis lux mundi. Non potest cívitas abscóndi supra montem pósita. Neque accéndunt lucérnam, et ponunt eam sub módio, sed super candelábrum, ut lúceat ómnibus qui in domo sunt. Sic lúceat lux vestra coram homínibus, ut vídeant ópera vestra bona, et gloríficent Patrem vestrum, qui in cælis est. Nolíte putáre, quóniam veni sólvere legem aut prophétas : non veni sólvere, sed adimplére. Amen, quippe dico vobis, donec tránseat cælum et terra, iota unum aut unus apex non præteríbit a lege, donec ómnia fiant. Qui ergo solvent unum de mandátis istis mínimis, et docúerit sic hómines, mínimus vocábitur in regno cælórum : qui autem fécerit et docúerit, hic magnus vocábitur in regno cælórum.En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le candélabre, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. Car, en vérité, je vous le dis, jusqu’à ce que passent le ciel et la terre, un seul iota ou un seul trait ne disparaîtra pas de la loi, que tout ne soit accompli. Celui donc qui violera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera les hommes à le faire, sera appelé le plus petit dans le royaume des deux ; mais celui qui fera et enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
CredoCredo
Ant. ad Offertorium. Ps. 88, 25.Offertoire
Véritas mea et misericórdia mea cum ipso : et in nómine meo exaltábitur cornu eius.Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui et par mon nom s’élèvera sa puissance.
SecretaSecrète
Annue nobis, quǽsumus, Dómine : ut intercessióne beáti Gregórii hæc nobis prosit oblátio, quam immolándo totíus mundi tribuísti relaxári delícta. Per Dóminum.Accordez-nous, s’il vous plaît, Seigneur, que grâce à l’intercession du bienheureux Grégoire, cette oblation nous soit utile : c’est par cette immolation que vous avez voulu effacer les péchés du monde entier.
Ant. ad Communionem. Luc. 12, 42.Communion
Fidélis servus et prudens, quem constítuit dóminus super famíliam suam : ut det illis in témpore trítici mensúram.Voici le dispensateur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs pour leur donner au temps fixé, leur mesure de blé.
PostcommunioPostcommunion
Deus, qui beátum Gregórium Pontíficem Sanctórum tuórum méritis coæquásti : concéde propítius ; ut, qui commemoratiónis eius festa percólimus, vitæ quoque imitémur exémpla. Per Dóminum.O Dieu, qui avez égalé le bienheureux Pontife Grégoire en mérites à vos Saints, accordez-nous, dans votre bonté, que comme nous célébrons la mémoire de sa fête, nous imitions aussi les exemples de sa vie.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Quatrième leçon. Grégoire le Grand était romain et fils du sénateur Gordien. Il étudia la philosophie dans sa jeunesse, et exerça la charge de préteur. Après la mort de son père, il fonda six monastères en Sicile ; il en établit un septième à Rome sous le nom de Saint-André, dans sa propre maison, près de la Basilique des Saints-Jean-et-Paul, sur la pente dite de Scaurus. Là, sous la conduite d’Hilarion et de Maximien, il fit profession de la vie monastique, et devint ensuite Abbé. Créé Cardinal-Diacre, il fut envoyé par le pape Pelage à Constantinople, en qualité de légat auprès de l’empereur Tibère-Constantin. Pendant qu’il se trouvait à la cour de ce prince, son zèle eut un résultat mémorable : il convainquit si évidemment d’erreur le Patriarche Eutychius, qui avait écrit contre la vraie et tangible résurrection des corps, que l’empereur jeta son livre au feu. Aussi, Eutychius lui-même étant peu après tombé malade, et sur le point de mourir, touchant la peau de sa main, disait en présence de nombreux témoins : « Je confesse que nous ressusciterons tous dans cette chair ».

Cinquième leçon. De retour à Rome, Grégoire fut élu Pontife avec l’accord le plus unanime, pour succéder à Pelage que la peste avait enlevé. Il ne voulut pas accepter cet honneur, et le refusa aussi longtemps qu’il put. Sous un habit étranger il alla se cacher dans une caverne, mais une colonne de feu indiquant sa retraite l’y fit découvrir ; on le consacra à Saint-Pierre. Pendant son pontificat, ce Pape a laissé à ses successeurs de nombreux exemples de doctrine et de sainteté. Il admettait tous les jours des étrangers à sa table, et parmi eux, il lui arriva de recevoir un Ange, et même le Seigneur des Anges, sous la figure d’un pèlerin. Il nourrissait libéralement les pauvres de Rome et de l’étranger, et avait une liste des nécessiteux. Il rétablit la foi catholique en beaucoup d’endroits où elle était chancelante ; car il réprima les Donatistes en Afrique, les Ariens en Espagne, et expulsa les Agnoïtes d’Alexandrie. Il ne voulut pas donner le pallium à Syagrius, Évêque d’Autun, si celui-ci ne bannissait de la Gaule les hérétiques néophytes. Il obligea les Goths à abandonner l’hérésie arienne. Ayant envoyé dans la Grande-Bretagne, Augustin et d’autres moines doctes et saints, il convertit cette île à la foi de Jésus-Christ, ce qui l’a fait appeler avec raison l’Apôtre de l’Angleterre, par le vénérable Prêtre Béde. Il réprima l’audace de Jean, Patriarche de Constantinople, qui s’arrogeait le nom d’Évêque de l’Église universelle. L’empereur Maurice ayant défendu aux soldats de se faire moines, Grégoire l’amena à révoquer cet édit.

Sixième leçon. Cet illustre Pontife orna l’Église de plusieurs institutions et lois très saintes. Dans un concile rassemblé à Saint-Pierre, il fit plusieurs ordonnances ; il établit entre autres choses qu’à la Messe on répéterait neuf fois Kyrie eleison, que l’Alléluia se dirait toute l’année, hors le temps compris entre la Septuagésime et Pâques, qu’on ajouterait au Canon ces mots : Établissez nos jours dans votre paix, etc. Il augmenta les Litanies, le nombre des Stations, et l’Office ecclésiastique. Il voulait qu’on eût la même estime pour les quatre conciles de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse et de Chalcédoine, que pour les quatre Évangiles. Il accorda aux Évêques de Sicile, qui, selon l’ancienne coutume de leurs Églises, se rendaient à Rome tous les trois ans, la liberté de n’y venir que tous les cinq ans. Le diacre Pierre atteste avoir vu souvent le Saint-Esprit, en forme de colombe, au-dessus de la tête du pieux Pontife, pendant qu’il dictait les nombreux ouvrages qu’il a composés. Ses paroles, ses actions, ses écrits, ses décrets, sont dignes d’admiration, surtout si l’on considère qu’il était toujours faible et souffrant. Enfin, ayant fait aussi beaucoup de miracles, il fut appelé au bonheur céleste, après treize ans, six mois et dix jours de pontificat, le quatre des ides de mars, jour où les Grecs eux-mêmes célèbrent sa Fête avec des honneurs particuliers, à cause de l’insigne sagesse et de la grande sainteté de ce Pontife. Son corps a été enseveli dans la basilique de Saint Pierre, près de la sacristie.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Entre tous les pasteurs que le Christ a donnés à l’Église universelle pour le représenter sur la terre, nul n’a surpassé les mérites et la renommée du saint Pape que nous célébrons aujourd’hui. Son nom est Grégoire, et signifie la vigilance ; son surnom est le Grand, dont il était déjà en possession, lorsque Dieu donna le septième Grégoire à son Église. Ces deux illustres pontifes sont frères ; et tout cœur catholique les confond dans un même amour et dans une commune admiration.

Celui dont nous honorons en ce jour la mémoire est déjà connu des fidèles qui s’appliquent à suivre l’Église dans la Liturgie. Mais ses travaux sur le service divin, dans tout le cours de Tannée, ne se sont pas bornés à enrichir nos Offices de quelques cantiques pleins d’onction et de lumière ; tout l’ensemble de la Liturgie Romaine le reconnaît pour son principal organisateur. C’est lui qui, recueillant et mettant en ordre les prières et les rites institués par ses prédécesseurs, leur a donné la forme qu’ils retiennent encore aujourd’hui. Le chant ecclésiastique a pareillement reçu de lui son dernier perfectionnement ; les sollicitudes du saint Pontife pour recueillir les antiques mélodies de l’Église, pour les assujettir aux règles, et les disposer selon les besoins du service divin, ont attaché pour jamais son nom à cette grande œuvre musicale qui ajoute tant à la majesté des fonctions sacrées, et qui contribue si puissamment à préparer Pâme du chrétien au respect des Mystères et au recueillement de la piété.

Mais le rôle de Grégoire ne s’est pas réduit à ces soins qui suffiraient à immortaliser un autre Pontife. Lorsqu’il fut donné à la chrétienté, l’Église latine comptait trois grands Docteurs : Ambroise, Augustin et Jérôme ; la science divine de Grégoire l’appelait à l’honneur de compléter cet auguste quaternaire. L’intelligence des saintes Écritures, la pénétration des mystères divins, l’onction et l’autorité, indices de l’assistance du Saint-Esprit, paraissent dans ses écrits avec plénitude ; et l’Église se réjouit d’avoir reçu en Grégoire un nouveau guide dans la doctrine sacrée.

Le respect qui s’attachait à tout ce qui sortait de la plume d’un si grand Pontife a préservé de la destruction son immense correspondance ; et l’on y peut voir qu’il n’est pas un seul point du monde chrétien que son infatigable regard n’ait visité, pas une question religieuse, même locale ou personnelle, dans l’Orient comme dans l’Occident, qui n’ait attiré les efforts de son zèle, et dans laquelle il n’intervienne comme pasteur universel. Éloquente leçon donnée par les actes d’un Pape du vie siècle à ces novateurs qui ont osé soutenir que la prérogative du Pontife Romain n’aurait eu pour base que des documents fabriqués plus de deux siècles après la mort de Grégoire !

Assis sur le Siège Apostolique, Grégoire y a paru l’héritier des Apôtres, non seulement comme dépositaire de leur autorité, mais comme associé à leur mission d’appeler à la foi des peuples entiers. L’Angleterre est là pour attester que si elle connaît Jésus-Christ, si elle a mérité durant tant de siècles d’être appelée l’Ile des Saints, elle le doit à Grégoire qui, touché de compassion pour ces Angles, dont il voulait, disait-il, faire des Anges, envoya dans leur île le saint moine Augustin avec ses quarante compagnons, tous enfants de saint Benoît, comme Grégoire lui-même. Le saint Pontife vécut encore assez longtemps pour recueillir la moisson évangélique, qui crût et mûrit en quelques jours sur ce sol où la foi, semée dès les premiers temps et germée à peine, avait presque été submergée sous l’invasion d’une race conquérante et infidèle. Qu’on aime à voir l’enthousiasme du saint vieillard, quand il emprunte le langage de la poésie, et nous montre « l’Alléluia et les Hymnes romaines répétées dans une langue accoutumée aux chants barbares, l’Océan aplani sous les pas des saints, des flots de peuples indomptés tombant calmés à la voix des prêtres [1] » !

Durant les treize années qu’il tint la place de Pierre, le monde chrétien sembla, de l’Orient à l’Occident, ému de respect et d’admiration pour les vertus de ce chef incomparable, et le nom de Grégoire fut grand parmi les peuples. La France a le devoir de lui garder un fidèle souvenir ; car il aima nos pères, et prophétisa la grandeur future de notre nation par la foi. De tous les peuples nouveaux qui s’étaient établis sur les ruines de l’empire romain, la race franque fut longtemps seule à professer la croyance orthodoxe ; et cet élément surnaturel lui valut les hautes destinées qui lui ont assuré une gloire et une influence sans égales. C’est assurément pour nous, Français, un honneur dont nous devons être saintement fiers, de trouver dans les écrits d’un Docteur de l’Église ces paroles adressées, dès le VIe siècle, à un prince de notre nation : « Comme la dignité royale s’élève au-dessus des autres hommes, ainsi domine sur tous les royaumes des peuples la prééminence de votre royaume. Être roi comme tant d’autres n’est pas chose rare : mais être roi catholique, alors que les autres sont indignes de l’être, c’est assez de grandeur. Comme brille par l’éclat de la lumière un lustre pompeux dans l’ombre d’une nuit obscure, ainsi éclate et rayonne la splendeur de votre foi, à travers les nombreuses perfidies des autres nations [2]. » Mais qui pourrait dépeindre les vertus sublimes qui firent de Grégoire un prodige de sainteté ? Ce mépris du monde et de la fortune qui lui fit chercher un asile dans l’obscurité du cloître ; cette humilité qui le porta à fuir les honneurs du Pontificat, jusqu’à ce que Dieu révélât enfin par un prodige l’antre où se tenait caché celui dont les mains étaient d’autant plus dignes de tenir les clefs du ciel, qu’il en sentait davantage le poids ; ce zèle pour tout le troupeau dont il se regardait comme l’esclave et non comme le maître, s’honorant du titre immortel de serviteur des serviteurs de Dieu ; cette charité envers les pauvres, qui n’eut de bornes que l’univers ; cette sollicitude infatigable à laquelle rien n’échappe et qui subvient à tout, aux calamités publiques, aux dangers de la patrie comme aux infortunes particulières ; cette constance et cette aimable sérénité au milieu des plus grandes souffrances, qui ne cessèrent de peser sur son corps durant tout le cours de son laborieux pontificat ; cette fermeté à conserver le dépôt de la foi et à poursuivre l’erreur en tous lieux ; enfin cette vigilance sur la discipline, qui la renouvela et la soutint pour des siècles dans tout le corps de l’Église : tant de services, tant de grands exemples ont marqué la place de Grégoire dans la mémoire des chrétiens avec des traits qui ne s’effaceront jamais.

Nous placerons ici quelques Antiennes et quelques Répons extraits d’un Office approuvé par le Saint-Siège en l’honneur d’un si grand Pape.

ANTIENNES ET RÉPONS
Ant. Le bienheureux Grégoire, élevé sur la chaire de Pierre, réalisa par sa vigilance la signification de son nom.

Ant. Pasteur excellent, il fut le modèle de la vie pastorale, en même temps qu’il en traça les règles.

Ant. Un jour qu’il expliquait les mystères de la sainte Écriture, on vit près de lui une colombe plus blanche que la neige.

Ant. Grégoire, le miroir des moines, le père de Rome, les délices du monde entier.

Ant. Ayant arrêté ses regards sur de jeunes Anglais, Grégoire dit : « Ils ont des visages d’Anges, il est juste de les faire participer au sort des Anges dans le ciel. »

R/. Dès son adolescence, Grégoire se livra avec ferveur au service de Dieu : * Et il aspira de toute l’ardeur de ses désirs à la patrie de la vie céleste. V/. Ayant distribué aux pauvres ses richesses, il se mit pauvre à la suite du Christ qui s’est fait pauvre pour nous ; * Et il aspira de toute l’ardeur de ses désirs à la patrie de la vie céleste.

R/. Ayant établi six monastères en Sicile, il y réunit des frères pour le service du Christ ; il en fonda un septième dans l’enceinte de la ville de Rome : * Et c’est là qu’il s’enrôla dans les rangs de la céleste milice. V/. Dédaignant le monde en sa fleur, il n’eut plus d’attrait que pour sa chère solitude ; * Et c’est là qu’il s’enrôla dans les rangs de la céleste milice.

R/. Comme on le cherchait pour l’élever aux honneurs du Pontificat suprême, il s’enfuit à l’ombre des forêts et des antres ; * Mais une colonne lumineuse apparut, descendant du ciel en ligne directe jusque sur lui. V/. Dans son ardeur de posséder un si excellent pasteur, le peuple se livrait au jeune et aux prières ; * Mais une colonne lumineuse apparut, descendant du ciel en ligne directe jusque sur lui.

R/. Me voici donc maintenant battu des flots de la grande mer, brisé des tempêtes de la charge pastorale : * Et lorsque, au souvenir de ma vie antérieure, je jette mes regards derrière moi, à la vue du rivage qui s’éloigne, je soupire. V/. Plein de trouble, je me sens emporté par des vagues immenses ; à peine aperçois-je encore le port que j’ai quitté : * Et lorsque, au souvenir de ma vie antérieure, je jette mes regards derrière moi., à la vue du rivage qui s’éloigne, je soupire.

R/. Ayant puisé dans la source des Écritures l’enseignement moral et la doctrine mystique, Grégoire dirigea vers les peuples le fleuve de l’Évangile ; * Et après sa mort sa voix se fait entendre encore. V/. Il parcourt le monde comme l’aigle ; dans sa vaste charité, il pourvoit aux grands et aux petits. * Et après sa mort sa voix se fait entendre encore.

R/. Ayant vu des jeunes gens de la nation anglaise, Grégoire regrettait que des hommes d’un si beau visage fussent dans la possession du prince des ténèbres ; * Et que sous des traits si agréables se cachât une âme privée des joies intérieures. V/. Du fond de son cœur il poussait de profonds soupirs, déplorant que l’image de Dieu eût été ainsi souillée par l’ancien serpent. * Et que sous des traits si agréables se cachât une âme privée des joies intérieures.

R/. L’évêque Jean ayant voulu, dans son audace, porter atteinte aux droits du premier Siège, Grégoire se leva dans la force et la mansuétude ; * Tout éclatant de l’autorité apostolique, tout resplendissant d’humilité. V/. Il fut invincible dans la défense des clefs de Pierre, et préserva de toute atteinte la Chaire principale ; * Tout éclatant de l’autorité apostolique, tout resplendissant d’humilité.

R/. Pontife illustre par ses mérites comme par son nom, Grégoire renouvela les mélodies de la louange divine ; * Et il réunit dans un même concert la voix de l’Église militante aux accords de l’Épouse triomphante. V/. Ayant transcrit de sa plume mystique le livre des Sacrements, il fit passer à la postérité les formules sacrées des anciens Pères. * Et il réunit dans un même concert la voix de l’Église militante aux accords de l’Épouse triomphante.

R/. Il régla les Stations aux Basiliques et aux Cimetières des martyrs ; * Et l’armée du Seigneur s’avançait, suivant les pas de Grégoire. V/. Chef de la milice céleste, il distribuait à chacun les armes spirituelles. * Et l’armée du Seigneur s’avançait, suivant les pas de Grégoire.

Saint Pierre Damien, dont nous avons célébré la fête il y a quelques jours, a consacré à la gloire de notre grand Pontife l’Hymne suivante.

HYMNE
Apôtre des Anglais, maintenant compagnon des Anges, Grégoire, secourez les nations qui ont reçu la foi.
Vous avez méprisé l’opulence des richesses et toute la gloire du monde, pour suivre pauvre le Roi Jésus dans sa pauvreté.
Un malheureux naufragé se présente à vous : c’est un Ange qui, sous ces traits, vous demande l’aumône ; vous lui faites une double offrande, à laquelle vous ajoutez encore un vase d’argent.
Peu après, le Christ vous place à la tête de son Église ; imitateur de Pierre, vous montez sur son trône.
O Pontife excellent, gloire et lumière de l’Église ! n’abandonnez pas aux périls ceux que vous avez instruits par tant d’enseignements.
Vos lèvres distillent un miel qui est doux au cœur ; votre éloquence surpasse l’odeur des plus délicieux parfums.
Vous dévoilez d’une manière admirable les énigmes mystiques de la sainte Écriture ; la Vérité elle-même vous révèle les plus hauts mystères.
Vous possédez le rang et la gloire des Apôtres ; dénouez les liens de nos péchés ; restituez-nous au royaume des cieux.
Gloire au Père incréé ; honneur au Fils unique ; majesté souveraine à l’Esprit égal aux deux autres. Amen.

Père du peuple chrétien, Vicaire de la charité du Christ autant que de son autorité, Grégoire, Pasteur vigilant, le peuple chrétien que vous avez tant aimé et servi si fidèlement, s’adresse à vous avec confiance. Vous n’avez point oublié ce troupeau qui vous garde un si cher souvenir ; accueillez aujourd’hui sa prière. Protégez et dirigez le Pontife qui tient de nos jours la place de Pierre et la vôtre ; éclairez ses conseils, et fortifiez son courage. Bénissez tout le corps hiérarchique des Pasteurs, qui vous doit de si beaux préceptes et de si admirables exemples. Aidez-le à maintenir avec une inviolable fermeté le dépôt sacré de la foi ; secourez-le dans ses efforts pour le rétablissement de la discipline ecclésiastique, sans laquelle tout n’est que désordre et confusion. Vous avez été choisi de Dieu pour ordonner le service divin, la sainte Liturgie, dans la chrétienté ; favorisez le retour aux pieuses traditions de la prière qui s’étaient affaiblies chez nous, et menaçaient de périr. Resserrez de plus en plus le lien vital des Églises dans l’obéissance à la Chaire romaine, fondement de la foi et source de l’autorité spirituelle.

Vos yeux ont vu surgir le principe funeste du schisme désolant qui a séparé l’Orient de la communion catholique ; depuis, hélas ! Byzance a consommé la rupture ; et le châtiment de son crime a été l’abaissement et l’esclavage, sans que cette infidèle Jérusalem ait songé encore à reconnaître la cause de ses malheurs. De nos jours, son orgueil monte de plus en plus ; un auxiliaire a surgi de l’Aquilon, plein d’audace et les mains teintes du sang des martyrs. Dans son orgueil, il a juré de poser un pied sur le tombeau du Sauveur, et l’autre sur la Confession de saint Pierre : afin que toute créature humaine l’adore comme un dieu. Ranimez, ô Grégoire ! le zèle des peuples chrétiens, afin que ce faux Christ soit renversé, et que l’exemple de sa chute demeure comme un monument de la vengeance du véritable Christ notre unique Seigneur, et un accomplissement de la promesse qu’il a faite : que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre la Pierre. Nous savons saint Pontife ! que cette parole s’accomplira ; mais nous osons demander que nos yeux en voient l’effet.

Souvenez-vous, ô Apôtre d’un peuple entier ! Souvenez-vous de l’Angleterre qui a reçu de vous la foi chrétienne. Cette île qui vous fut si chère, et au sein de laquelle fructifia si abondamment la semence que vous y aviez jetée, est devenue infidèle à la Chaire romaine, et toutes les erreurs se sont réunies dans son sein. Depuis trois siècles déjà, elle s’est éloignée de la vraie foi ; mais de nos jours, la divine miséricorde semble s’incliner vers elle. O Père ! aidez cette nation que vous avez enfantée à Jésus-Christ ; aidez-la à sortir des ténèbres qui la couvrent encore. C’est à vous de rallumer le flambeau qu’elle a laissé s’éteindre. Qu’elle voie de nouveau la lumière briller sur elle, et son peuple fournira comme autrefois des héros pour la propagation de la vraie foi et pour la sanctification du peuple chrétien.

En ces jours de la sainte Quarantaine, priez aussi, ô Grégoire, pour le troupeau fidèle qui parcourt religieusement la sainte carrière de la pénitence. Obtenez-lui la componction du cœur, l’amour de la prière, l’intelligence du service divin et de ses mystères. Nous lisons encore les graves et touchantes Homélies que vous adressiez, à cette époque, au peuple de Rome ; la justice de Dieu, comme sa miséricorde, est toujours la même : obtenez que nos cœurs soient remués par la crainte et consolés par la confiance. Notre faiblesse s’effraie souvent de la rigidité des lois de l’Église qui prescrivent le jeûne et l’abstinence ; rassurez nos courages, ranimez dans nos cœurs, l’esprit de mortification. Vos exemples nous éclairent, vos enseignements nous dirigent ; que votre intercession auprès de Dieu fasse de nous tous de vrais pénitents afin que nous puissions retrouver, avec la joie d’une conscience purifiée, le divin Alléluia que vous nous avez appris à chanter sur la terre, et que nous espérons répéter avec vous dans l’éternité.

Nos âmes sont désormais préparées ; l’Église peut ouvrir la carrière quadragésimale. Dans les trois semaines qui viennent de s’écouler, nous avons appris à connaître la misère de l’homme déchu, l’immense besoin qu’il a d’être sauvé par son divin auteur ; la justice éternelle contre laquelle le genre humain osa se soulever, et le terrible châtiment qui fut le prix de tant d’audace ; enfin, l’alliance du Seigneur, en la personne d’Abraham, avec ceux qui, dociles à sa voix, s’éloignent des maximes d’un monde pervers et condamné.

Maintenant nous allons voir s’accomplir les mystères sacrés et redoutables, par lesquels la blessure de notre chute a été guérie, la divine justice désarmée, la grâce qui nous affranchit du joug de Satan et du monde répandue sur nous avec surabondance.

L’Homme-Dieu, dont nous avons cessé un moment de suivre les traces, va reparaître à nos regards, courbé sous sa Croix, et bientôt immolé pour notre Rédemption. La douloureuse Passion que nos péchés lui ont imposée va se renouveler sous nos yeux dans le plus solennel des anniversaires.

Soyons attentifs, et purifions-nous. Marchons courageusement dans la voie de la pénitence ; que chaque jour allège le fardeau que nos péchés font peser sur nous ; et lorsque nous aurons participé au calice du Rédempteur par une sincère compassion pour ses douleurs, nos lèvres longtemps fermées aux chants d’allégresse seront déliées par l’Église, et nos cœurs, dans une ineffable jubilation, tressailliront tout à coup au divin Alléluia !

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Vigile nocturne et messe stationnale à Saint-Pierre.

Cette fête, également célébrée par les Grecs, se trouve déjà dans le Sacramentaire grégorien du temps d’Hadrien Ier, et c’est une des rares qui aient pénétré dès l’antiquité dans le Calendrier romain durant la période quadragésimale. Nous savons même qu’à Rome, au IXe siècle, eius anniversaria solemnitas, cunctis... pernoctantibus,... celebratur. In qua pallium eius, et phylacteria, sed et balteus eius consuetudinaliter osculantur [3]. La célébrité de saint Grégoire (+ 604) et surtout le sens symbolique assumé par sa personnalité historique, alors que, au moyen âge, il incarna l’idéal de la papauté romaine dans la plus sublime expression de sa primauté sur toute l’Église, justifiaient cette exception. On peut dire en effet que le moyen âge tout entier vécut de l’esprit de saint Grégoire ; la liturgie romaine, le chant sacré, le droit canonique, l’ascèse monacale, l’apostolat chez les infidèles, la vie pastorale, en un mot toute l’activité ecclésiastique dérivait du saint Docteur, dont les écrits semblaient être devenus comme le code universel du catholicisme. Le très grand nombre d’anciennes églises dédiées à Rome au saint Pontife atteste la popularité de son culte, lequel, outre son antique monastère de Saint-André au Clivus Scauri, avait pour centre sa tombe vénérable dans la basilique vaticane.

Au IXe siècle, Jean Diacre nous atteste la piété avec laquelle on conservait encore à Rome tous les souvenirs de Grégoire, les Registres de ses aumônes, son pauvre lit, sa verge, le manuscrit de l’antiphonaire et sa ceinture monastique. Le culte de saint Grégoire Ier, grâce surtout à l’Ordre bénédictin dont il est une des gloires les plus brillantes, et aux nouveaux peuples anglo-saxons, qui reconnaissent dans le saint leur premier apôtre, devint très vite mondial.

En effet ; au lendemain de sa mort, celui qui dicta son épigraphe sépulcrale sous le portique de Saint-Pierre, ne sut mieux exprimer l’universalité de son action pastorale qu’en l’appelant — lui, le descendant des Consuls de la Rome éternelle — le Consul de Dieu, Dei Consul factus, laetare triumphis. L’expression ne pouvait être plus heureuse, comme d’ailleurs le vers implebat actu quidquid sermons docebat, de la même inscription.

La station de ce jour, dès le temps de Jean Diacre, était à Saint-Pierre, près de la tombe du Saint, où se célébraient aussi en son honneur les vigiles nocturnes. Au XVe siècle, en signe de fête, on ne convoquait pas même le consistoire papal en ce jour.

La messe [4], postérieure à la rédaction du recueil grégorien, tire ses chants d’autres messes plus anciennes. L’introït est du Commun des Martyrs Pontifes. Par une délicate allusion à l’humilité du cœur, opposée par Grégoire à l’orgueil du Jeûneur œcuménique, on y invite les humbles à bénir Dieu, à qui ils reconnaissent devoir tout ce qu’ils ont reçu de bien.

La prière est la suivante : « Seigneur, qui avez accordé la récompense de l’éternelle félicité à l’âme de votre serviteur Grégoire, faites que, nous sentant comme accablés sous le poids de nos péchés, nous soyons relevés par son intercession. ». A l’âme de votre serviteur Grégoire : on ne saurait mieux dire, puisque le caractère distinctif de la spiritualité de saint Grégoire, spiritualité qui le fait reconnaître d’emblée comme un moine de l’école du patriarche saint Benoît, est exprimé tout entier dans ce titre qu’il employa le premier : Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu. Maintenant encore, les papes, dans leurs actes les plus solennels, et à l’imitation de notre Saint, prennent le titre de Servus servorum Dei, qui signifiait toutefois primitivement pour Grégoire, moine du monastère de Saint-André : serviteur des serviteurs de Dieu, c’est-à-dire des moines (Servus Dei) ; en un mot : le dernier du monastère. La tradition ascétique bénédictine sur la vertu d’humilité s’est conservée toujours vivante chez tous les grands Docteurs formés dans le cloître de saint Benoît. Nous trouvons par exemple saint Pierre Damien qui signe habituellement : Ego Petrus peccator, episcopus hostiensis ; et Hildebrand qui, avant de devenir Grégoire VII, signe lui aussi : Ego Hildebrandus qualiscumque, S. R. E. archidiaconus.

L’épître et l’Évangile sont du Commun des Docteurs.

Le graduel est tiré du psaume 109 où est exalté le pontificat messianique du Christ : « Le Seigneur a juré et il ne se désistera pas : vous êtes le prêtre éternel selon le rite de Melchisédech. Le Seigneur a dit à mon Seigneur : — c’est-à-dire le Père éternel a dit au Christ, son Fils et le Fils de Marie, descendant de David — siège à ma droite » — comme mon égal dans la puissance et dans la majesté de la divinité.

Le verset de l’offertoire est tiré du psaume 88. « Ma fidélité et ma miséricorde sont avec lui. Sa puissance prévaudra en mon nom. » Tel est le secret du succès des entreprises des saints. Ils espèrent en Dieu et ne pourront donc pas ne pas réussir.

Le Sacramentaire Grégorien assigne à ce jour une préface propre : ... aeterne Deus ; qui sic tribuis Ecclesiam tuam sancti Gregorii Pontifias tui commemoratione gaudere, ut eam illius et festivitate laetifices, et exemplo piae conversationis exerceas, et verbo praedicationis erudias, grataque tibi supplicatione tuearis, per Christum, etc.

Au verset pour la Communion du peuple, le froment dont Grégoire a pourvu ses compagnons de service, c’est son activité pastorale de prédicateur infatigable, de maître très vigilant, de pontife sans tache.

Un artifice habituel du démon est de nous suggérer un idéal et une forme de perfection qui, en raison des circonstances, ne peut pas se réaliser. C’est ainsi qu’un grand nombre d’âmes, au lieu de changer leurs plans et de se sanctifier dans l’état de vie où les a placées la Providence, demeurent inactives, pleurant leur sort et soupirant toujours vers le type irréalisable de leur sainteté. Il advient qu’elles perdent de la sorte un temps très précieux, aigrissent leur cœur, nuisent à leur salut et ne sont utiles ni à elles-mêmes ni aux autres. Il ne faut pas que la perfection se réduise sûrement à une abstraction métaphysique, mais qu’elle pénètre, comme l’air, toutes les œuvres de notre vie. Peu importe que nous soyons riches ou pauvres, doctes ou ignorants, bien portants ou infirmes. Il faut servir le Seigneur dans les conditions où II nous a placés, et non dans celles où nous voudrions être. Un bel exemple de ce sens pratique dans la voie de la sainteté nous est offert par saint Grégoire. Son caractère méditatif le poussait à l’étude tranquille de la philosophie dans la paix du cloître. Dieu le voulut au contraire diplomate, pape, administrateur d’un immense patrimoine immobilier, et stratège même pour diriger les œuvres de défense des cités, italiennes assiégées par les Lombards ; vrai consul de Dieu, étendant au monde son activité et son pouvoir. Grégoire, très souvent retenu au lit par la goutte et par les maux d’estomac, sans laisser échapper une plainte, s’adapte merveilleusement à toutes ces fonctions, et dans le but de servir uniquement le Seigneur, il s’y consacre avec une si admirable maîtrise et perfection qu’il remplit de son esprit tout le moyen âge, et laisse des traces profondes de son génie dans la vie ultérieure du Pontificat romain.

Les Byzantins célèbrent eux aussi la sainteté de Grégoire, auquel ils donnent le titre de dialogista, à cause de ses quatre Livres des Dialogues traduits en grec par le pape Zacharie.

En l’honneur du Pontife qu’on peut presque considérer comme le père de la liturgie romaine et du chant ecclésiastique, nous rapportons ici une antique séquence à lui consacrée, publiée récemment par Bannister d’après un manuscrit du XVe siècle :

Organum spirituale
Tangat decus clericale,
Dum recolitur natale
Vigilis Gregorii.
Touchez l’orgue spirituel.
Ordre vénérable du clergé.
Pour fêter l’anniversaire
De Grégoire, le vigilant.
Scriba Regis angelorum,
Floruit hic lux doctorum,
Et Apostolus Anglorum,
Qui prius inglorii.
Il écrivait sous la dictée du Roi des Anges,
Fleur et lumière des Docteurs,
Apôtre des Anglais
Jusque-là dans les ténèbres.
Ex prosapia Romana,
Spreta mundi pompa vana,
In doctrina Christiana
Vigilanter studuit.
Romain de vieille race,
Méprisant les vaines pompes du monde,
A la doctrine du Christ
Il a donné ses veilles studieuses, ses soins vigilants.
Rector magnus et urbanus,
Cuius pater Gordianus,
Felix Pontifex Romanus
Atavus resplenduit.
Premier magistrat de Rome,
Son père était Gordien ;
Le pontife romain Félix
Fut son illustre aïeul.
Virgo saeculo pusilla,
Eius amita Tarsilla,
Deo vigilans ancilla
Vidit Iesum dulciter.
Vierge chétive aux yeux du monde,
Sa tante Tarsilla,
Servante attentive de Dieu,
Eut la douce vision de Jésus.
Vivens Silvia caelestis,
Mater huius digna gestis,
Fixit cor aeternis festis,
Finiens feliciter.
Silvia, vivant comme au ciel,
Digne de son fils par ses actes,
Le cœur fixé dans les joies éternelles
Eut un heureux trépas.
Monasteria construxit,
Ac prudentia adfluxit,
Monachalem vitam duxit,
Derelinquens omnia.
Il bâtit des monastères,
Il y montra sa prudence ;
Il mena la vie monastique,
Après avoir-renoncé à tout.
Sed cum cuperet sincere
Mari cunctis et latere,
Cogebatur apparere
Ut flos inter lilia.
Lui qui désirait sincèrement
Mourir à tout et demeurer caché,
Il fut contraint de se montrer
Telle une fleur parmi les lis.
Eruditus in virtute
A primaeva iuventute,
Iter vadens viae tutae,
Devitavit crimina.
Formé à la vertu
Dès sa plus tendre jeunesse,
Il chemina dans la voie sûre
Et sut éviter les fautes.
Retexendo cantilenas
Sublevavit febris poenas,
Odas addidit amoenas
Per Scripturae carmina.
En repassant les saints cantiques
Il calmait les douleurs de la fièvre ;
Il composa d’agréables poèmes
A l’aide de l’Écriture.
Videns pueros Anglorum,
Pulchros vultu angelorum,
Mox misertus est eorum,
Suspirando graviter.
A la vue des jeunes Anglais,
Beaux comme des Anges,
Soudain pris de pitié
Il pousse de profonds soupirs.
O Pontificem beatum,
Per columnam demonstratum,
Et a naufrage probatum,
Dignum mirabiliter.
O Pontife bienheureux,
Désigné par une colombe,
Éprouvé par le naufrage,
Digne d’admiration !
Recta scribens, recte dixit,
Quo malivolos adflixit,
Sed correctis benedixit,
Pastor bonus omnibus.
Vrai dans ses écrits, vrai dans ses paroles,
Il combattit les méchants,
Mais il bénit ceux qui se corrigeaient.
Pasteur plein de bonté pour tous.
Vigil iste Sanctus fuit,
Qui ut nubes magna pluit,
Et ut ros de caelo ruit,
Utilis fidelibus.
Il fut le saint vigilant ;
Comme une nuée répand ses eaux.
Comme la rosée descend du ciel,
Il enrichit les fidèles.
Monstra fecit in hac vita,
Verus hic Israelita,
Qttod cognovit eremita
Ex divina gratia.
Dès cette vie il a fait des prodiges,
C’était un véritable Israélite :
Tel ermite l’a su [5]
Par une faveur divine.
Deus fecit Levi pactum,
Nec poenituit transactum,
Pacis atque vitae factum
Cum honoris gloria.
Dieu fit avec lui le pacte de Lévi,
Il n’eut pas à s’en repentir :
Pacte de paix et de vie,
Pacte d’honneur et de gloire.
Æs in zonis non compegit,
Sed pauperibus redegit,
Quem Salvator praeelegit
Organum mellifluum.
Il n’a pas amassé l’argent.
Mais l’a distribué aux pauvres ;
Le Sauveur l’avait choisi
Pour son très suave instrument.
Istum deprecemur Sanctum
Nos viventes vita tantum,
Ut cantemus Agni cantum
Nunc et in perpetuum.
Demandons à ce Saint,
Nous qui vivons encore la vie présente,
De chanter le cantique de l’Agneau
Maintenant et à jamais.
Cette séquence forme l’acrostiche O Servum Servorum Dei. Il existe une autre séquence beaucoup plus ancienne, qui sans avoir été à l’origine composée pour saint Grégoire le Grand, lui convient pourtant admirablement et fut en effet chantée lors de la solennelle Messe pontificale qu’en 1904 Pie X célébra à Saint-Pierre à l’occasion du XIIIe centenaire de la mort du grand Docteur. Le chœur des chantres comprenait pour cette circonstance plus d’un millier de voix, et le Pontife fut tellement impressionné par l’effet grandiose produit par cette mélodie, qu’à peine le saint Sacrifice terminé il ordonna de répéter le chant de la magnifique séquence. Consacrée par l’approbation de Pie X en cette occasion solennelle, elle a pour ainsi dire le droit d’être considérée comme appartenant à la liturgie romaine.

Voici le texte de cette importante composition médiévale, simplement rythmée sans rime, formée, comme les séquences primitives, sur le mélisme alléluiatique de la messe.

1) Alma cohors una
Laudum sonora
Nunc prome praeconia.
Chœur illustre, fais retentir à l’unisson les titres de louange
2) Quibus en insignis rutilat
Gregorius ut luna,
Solque sidera.
dont Grégoire est paré, resplendissant comme la lune, le soleil et les astres.
2a) Meritorum est mirifica
Radians idem sacra
Praerogativa.
L’éclat de. ses mérites lui confère une gloire merveilleuse et sacrée.
3) Hunc nam Sophiae mystica
Ornarunt mire dogmata
Qua fulsit nitida
luculenter per ampla
orbis climata.
Orné de la connaissance des dogmes les plus mystérieux de la Sagesse, sa lumière brillante atteint les confins de l’univers.
3a) Verbi necnon fructifera
Saevit divini semina
Mentium per arva,
pellendo quoque cuncta
noctis nubila.
Il a jeté la semence féconde de la parole divine dans les sillons des âmes, et dissipé les ténèbres de la nuit.
4) Hic famina fundens diva,
Utpote caelestia
Ferens in se Numina,
Répandant la parole de Dieu comme investi de la puissance d’en-haut,
4a) Sublimavit catholica
Vehementer culmina
Sancta per eloquia.
Il a élevé au plus haut point l’Église catholique par ses saints discours.
5) Is nempe celsa
Compos gloria,
Nunc exultat
Inter laetabunda
Coelicolarum ovans
contubernia.
En possession maintenant de la gloire du ciel, il partage la joie, l’allégresse et le triomphe des élus.
5a)Sublimis extat
Sede superna,
Fruens vita
Semper inexhausta,
Sat per celeberrima
Christi pascua.
Placé sur un trône élevé, il jouit d’une vie qui ne s’épuise pas, dans les abondants pâturages du Christ.
6) O dignum cuncta
laude, praeexcelsa
Praesulem tanta
Nactus gaudia,
Virtutum propter mérita,
Quibus viguit, ardens
Velui lampada.
O Pontife digne des plus hautes louanges, comblé d’une telle joie en récompense des vertus dont il a jeté l’éclat comme une lampe.
6a)Nos voce clara
Hunc et iucunda
Dantes oremus
Preces et vota,
Qui nobis ferat commoda,
Impetret et aeterna
Poscens praemia.
D’une voix claire et mélodieuse adressons-lui nos prières et nos vœux pour qu’il nous accorde ses .faveurs et nous obtienne les récompenses éternelles.
7) Quod petit praesens caterva,
Praesulum gemma,
Devota rependens munia
Mente sincera,
Favens da
Sibi precum instantia,
Scilicet ut polorum
Intret lumina.
Ce qu’implore cette assemblée, ô gemme des Pontifes, en vous offrant d’un cœur sincère l’hommage de sa dévotion, daignez-le-lui procurer par vos instantes prières : qu’elle soit admise dans la lumière du ciel !
7a) Quo iam intra palatia
Stantem suprema,
Laeti gratulemur adeptii
Polorum régna,
Qui tua Praesul, sistentes hoc aula,
Iubilemus ingenti
Cum laetitia.
Et qu’habitant .enfin les palais d’en haut, nous nous félicitions joyeux d’être entrés au royaume des cieux, nous qui, dans votre sanctuaire, ô Pontife, vous chantons avec tant d’allégresse,
8) Recinentes dulcia
Nunc celsaque alléluia.
Faisant retentir le doux et clair Alléluia.

Mais nous ne saurions nous éloigner d’un si insigne Pontife — dont le livre sur le gouvernement pastoral était devenu au moyen âge la règle des évêques, si bien qu’il entrait dans le catalogue officiel du mobilier de l’appartement papal — sans avoir rapporté ici l’éloge que les Romains gravèrent sur son tombeau primitif dans le portique de Saint-Pierre. De cette plaque de marbre il subsiste encore, après tant de siècles, quelques précieux fragments :

SVSCIPE • TERRA • TVO • CORPVS • DE • CORPORE • SVMPTVM
REDDERE • QVOD • VALEAS • VIVIFICANTE • DEO
SPIRITVS • ASTRA • PETIT • LETHI • NIL • IVRA • NOCEBVNT
CVI • VITAE • ALTERIVS • MORS • MAGIS • ILLA • VIA • EST
PONTIFICIS • SVMMI • HOC • CLAVDVNTVR • MEMBRA • SEPVLCHRO
QVI • INNVMERIS • SEMPER • VIVAT • VBIQVE • BONIS
ESVRIEM • DAPIBVS • SVPERAVIT • FRIGORA • VESTE
ATQVE • ANIMAS • MONITIS • TEXIT • AB • HOSTE • SACRIS
IMPLEBATQVE • ACTV • QVIDQVID • SERMONE • DOCEBAT
ESSET • VT • EXEMPLVM • MYSTICA • VERBA • LOQVENS
AD • CHRISTVM • ANGLOS • CONVERTIT • PIETATE • MAGISTRA
ACQVIRENS • FIDEI • AGMINA • GENTE • NOVA
HIC • LABOR • HOC • STVDIVM • HAEC • TIBI • CVRA • HOC • PASTOR • AGEBAS
VT • DOMINO • OFFERRES • PLVRIMA • LVCRA • GREGIS
HISQVE • DEI • CONSVL • FACTVS • LAETARE • TRIVMPHIS
NAM • MERCEDEM • OPERVM • IAM • SINE • FINE • TENES.
Reçois, ô terre, un corps tiré de ton sein,
Pour que tu le restitues à Dieu le jour de la résurrection.
L’âme s’est envolée au ciel, car l’enfer ne put faire valoir aucun droit
Sur celui pour qui la mort fut plutôt la voie conduisant à une vie meilleure.
En ce sépulcre gît la dépouille du grand Pontife,
Dont la renommée restera célèbre partout, en raison de ses immenses mérites.
Par des distributions de nourriture, il adoucit les horreurs de la famine ; avec des vêtements, la rigueur de l’hiver,
Et par ses saints avis, il tint le démon éloigné des âmes.
Il accomplissait par ses actes ce qu’il enseignait dans ses prédications,
En sorte que, en exposant les Écritures, il les réalisait par son propre exemple.
Il convertit au Christ les Anglais et les forma à la piété,
Gagnant à la foi un nouveau peuple.
Cela fut ton œuvre, ton vœu, ton souci, ton but, ô Pasteur,
présenter au Seigneur un fruit abondant dans le gouvernement du troupeau.
C’est pourquoi tu es devenu le Consul de Dieu ; en conséquence, sois heureux de tes triomphes,
Parce que désormais tu jouis pour l’éternité de la récompense de tes labeurs.

L’usage des séquences durant la messe fut accepté par Rome à la fin du moyen âge seulement ; de plus, la tradition franque médiévale ne peut se dire vraiment universelle. Il y avait cependant un autre chant en l’honneur de saint Grégoire : il servait comme de prélude à l’antiphonaire romain et on l’exécutait en de nombreux pays le premier dimanche de l’Avent, avant d’entonner l’introït. Le texte primitif peut remonter à Hadrien Ier mais il a été souvent remanié. Voici les hexamètres attribués à Hadrien II :

Gregorius Praesul, meritis et nomine dignus,Désigné pour l’épiscopat par ses mérites comme par son nom [6],
Unde genus ducit summum conscendit honorent.Grégoire atteignit à l’honneur suprême de ses ancêtres.
Qui renovans monumenta Patrum iuniorque priorum,Il restaura les monuments des Pères qui l’avaient précédé ;
Munere caelesti fretus, ornans sapienter,Aidé de la grâce d’en-haut, il les embellit avec goût.
Composuit Scholae Cantorum hunc rite libellum,Et composa ce livre pour la Schola des chantres.
Quo reciprocando, moduletur carmina Christi.Pour qu’à deux chœurs elle modulât les louanges du Christ.
Toute la Ville éternelle, dont Grégoire fut le très vigilant pasteur, ses églises stationnales, les cimetières des martyrs, rappellent le zèle actif de l’incomparable Pontife. Néanmoins quelques sanctuaires romains revendiquent aujourd’hui l’honneur d’une fête spéciale ; ce sont, outre la basilique vaticane qui garde son corps, celle de Saint-André au Clivus Scauri où Grégoire fut moine d’abord, puis Abbé ; celle de Saint-Paul, que le Saint fit embellir et où était la tombe de sa famille ; le Latran, où il vécut les quatorze dernières années de son suprême pontificat. Au moyen âge, les quatorze régions urbaines rivalisèrent pour honorer Grégoire et pour dédier en son nom des temples et des chapelles ; c’est ainsi que nous avons les églises S. Gregorii ad Clivum Scauri, S. Gregorii de Cortina, S. Gregorii de Gradellis, S. Gregorii dei Muratori, S. Gregorii in Campo Martio, S. Gregorii de ponte ludaeorum, sans parler des oratoires très nombreux élevés sous son vocable. Une bulle de Grégoire III, conservée dans la basilique de Saint-Paul, mentionne une messe quotidienne que, dès ce temps, l’on célébrait en cet insigne sanctuaire apostolique sur l’autel S. Gregorii ad ianuas ; précisément comme à Saint-Pierre, où la tombe du Saint se trouvait dans le portique extérieur, prope secretarium.

L’épigraphe de Grégoire III à Saint-Paul représente sans doute un des plus anciens monuments relatifs au culte liturgique de saint Grégoire le Grand.

Maintenant encore, quand le Pape célèbre solennellement le divin Sacrifice à Saint-Pierre, le jour de son couronnement, il prend les ornements sacrés à l’autel qui recouvre la tombe de saint Grégoire. Ce fait revêt la signification d’une spéciale vénération envers le Saint qui a, pour ainsi dire, incarné en lui tout le plus sublime idéal contenu dans le concept catholique du pontificat romain. Il provient en outre de ce que, à l’origine, le sépulcre du grand Docteur, dans l’atrium de la basilique vaticane, était voisin du Secretarium ou sacristie, où les ministres sacrés se revêtaient des ornements liturgiques. Dans l’érection de la nouvelle basilique de Saint-Pierre, on tint à conserver à saint Grégoire cette place traditionnelle, à côté de la sacristie, et c’est ainsi qu’on garda également l’habitude de revêtir solennellement le Pape des ornements sacrés à l’autel du Saint. Les Grecs sont eux aussi pénétrés d’une grande dévotion pour saint Grégoire. Dans leur office ils l’appellent ainsi : Sacratissime Pastor, factus es successor in zelo et sede Coryphaei, populos purificans et ad Deum adducens. Successor in sede Principis Chori Discipulorum, unde verba, veluti fulgores, o Gregori, proferens, face illuminas fideles. Ecdesiarum Prima, cum Te ad pectus complexa esset, irrigat omnem terram quae sub sole est, piae doctrinae divinis fluentis. Telle est la foi antique de l’Église d’Orient relativement à la primauté pontificale sur l’Église universelle.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Pour moi, je considère la vertu de patience comme plus grande que les signes et les miracles. » (Paroles du saint).

Saint Grégoire 1er : Jour de mort : 12 mars 604. — Tombeau : à Saint-Pierre de Rome. Image : Représenté comme pape et docteur de l’Église, avec une colombe sur l’épaule. Vie : Le plus grand pape liturgique est né en 540 ; il fut préfet impérial de la ville en 571 ; vers 575, il se fit moine selon la règle de saint Benoît ; en 578, il fut nonce pontifical à la cour impériale de Constantinople. En 590, la voix unanime du peuple et du clergé l’élut pape. Il mourut en 604... L’Église qui, dans son livre des héros, le martyrologe, se montre peu prodigue d’éloges, dit de lui : « A Rome, saint Grégoire 1er, pape, confesseur et docteur éminent de l’Église. Pour ses actions remarquables et la conversion des Angles à la foi du Christ, il a été appelé Grand et Apôtre des Angles. » C’est surtout dans le domaine, de la liturgie qu’il fut sans doute le plus grand des papes. « Les modes puissants et mesurés, saints et sanctifiants, du choral liturgique de l’Église romaine, portent encore aujourd’hui son nom et le porteront pour tous les temps. Il a, aussi, puissamment contribué à la constitution du latin d’Église par son style naturel, plein d’onction et de sentiment. Ses quarante sermons sur des péricopes liturgiques de l’Évangile sont presque tous devenus des leçons du bréviaire. Aucun prêtre ne peut célébrer la sainte messe sans rencontrer à tout moment la trace de saint Grégoire. C’est lui qui a introduit, dans la seconde oraison avant la Consécration (Hanc igitur), ces trois prières si riches de sens : « et dispose nos jours dans la paix et ordonne que nous soyons arrachés à l’éternelle damnation et que nous soyons comptés dans le troupeau de tes élus ». Son missel est devenu, à peu de choses près, le missel de tout l’Occident et il l’est resté. Pour ce qui est du culte divin, Grégoire mérite aussi d’être appelé le Grand. » (Bihlmeyer.)

Benoît XVI, catéchèses, 28 mai et 4 juin 2008

Grégoire le Grand pacificateur de l’Europe
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Chers frères et sœurs,

Je voudrais aujourd’hui présenter la figure de l’un des plus grands Pères dans l’histoire de l’Eglise, un des quatre docteurs de l’Occident, le Pape saint Grégoire, qui fut évêque de Rome entre 590 et 604, et auquel la tradition attribua le titre de Magnus/Grand. Grégoire fut vraiment un grand Pape et un grand Docteur de l’Église ! Il naquit à Rome vers 540, dans une riche famille patricienne de la gens Anicia, qui se distinguait non seulement par la noblesse de son sang, mais également par son attachement à la foi chrétienne et par les services rendus au Siège apostolique. Deux Papes étaient issus de cette famille : Félix III (483-492), trisaïeul de Grégoire et Agapit (535-536). La maison dans laquelle Grégoire grandit s’élevait sur le Clivus Scauri, entourée par des édifices solennels qui témoignaient de la grandeur de la Rome antique et de la force spirituelle du christianisme. Des sentiments chrétiens élevés lui furent aussi inspirés par ses parents, Gordien et Silvia, tous deux vénérés comme des saints, et par deux tantes paternelles, Emiliana et Tarsilia, qui vécurent dans leur maison en tant que vierges consacrées sur un chemin partagé de prière et d’ascèse.

Grégoire entra très tôt dans la carrière administrative, que son père avait également suivie et, en 572, il en atteint le sommet, devenant préfet de la ville. Cette fonction, compliquée par la difficulté des temps, lui permit de se consacrer à large échelle à chaque type de problèmes administratifs, en en tirant des lumières pour ses futures tâches. Il lui resta en particulier un profond sens de l’ordre et de la discipline : devenu Pape, il suggérera aux évêques de prendre pour modèle dans la gestion des affaires ecclésiastiques la diligence et le respect des lois propres aux fonctionnaires civils. Toutefois, cette vie ne devait pas le satisfaire car, peu après, il décida de quitter toute charge civile, pour se retirer dans sa maison et commencer une vie de moine, transformant la maison de famille dans le monastère Saint André au Celio. De cette période de vie monastique, vie de dialogue permanent avec le Seigneur dans l’écoute de sa parole, il lui restera toujours la nostalgie, qui apparaît toujours à nouveau et toujours davantage dans ses homélies : face aux assauts des préoccupations pastorales, il la rappellera plusieurs fois dans ses écrits comme un temps heureux de recueillement en Dieu, de consécration à la prière, d’immersion sereine dans l’étude. Il put ainsi acquérir cette profonde connaissance de l’Écriture Sainte et des Pères de l’Église dont il se servit ensuite dans ses œuvres.

Mais la retraite dans la clôture de Grégoire ne dura pas longtemps. La précieuse expérience mûrie dans l’administration civile à une époque chargée de graves problèmes, les relations entretenues dans cette charge avec les byzantins, l’estime universelle qu’il avait acquise, poussèrent le Pape Pélage à le nommer diacre et à l’envoyer à Constantinople comme son "apocrisaire", on dirait aujourd’hui "Nonce apostolique", pour permettre de surmonter les dernières séquelles de la controverse monophysite et, surtout, pour obtenir l’appui de l’empereur dans son effort pour contenir la poussée lombarde. Son séjour à Constantinople, où avec un groupe de moines il avait repris la vie monastique, fut très important pour Grégoire, car il lui donna l’occasion d’acquérir une expérience directe du monde byzantin, ainsi que d’approcher la question des Lombards, qui aurait ensuite mis à rude épreuve son habileté et son énergie au cours années de son pontificat. Après quelques années, il fut rappelé à Rome par le Pape, qui le nomma son secrétaire. Il s’agissait d’années difficiles : les pluies incessantes, le débordement des fleuves, la famine qui frappait de nombreuses zones d’Italie et Rome elle-même. A la fin, la peste éclata également, faisant de nombreuses victimes, parmi lesquelles le Pape Pélage II. Le clergé, le peuple et le sénat furent unanime en choisissant précisément lui, Grégoire, pour être son Successeur sur le Siège de Pierre. Il chercha à résister, tentant également la fuite, mais il n’y eut rien à faire : à la fin il dut céder. C’était l’année 590.

Reconnaissant la volonté de Dieu dans ce qui était arrivé, le nouveau Pontife se mit immédiatement au travail avec zèle. Dès le début, il révéla une vision particulièrement clairvoyante de la réalité avec laquelle il devait se mesurer, une extraordinaire capacité de travail pour affronter les affaires ecclésiastiques et civiles, un équilibre constant dans les décisions, parfois courageuses, que sa charge lui imposait. On possède une vaste documentation sur son gouvernement grâce au Registre de ses lettres (environ 800), dans lesquelles se reflète la confrontation quotidienne avec les problèmes complexes qui affluaient sur sa table. Il s’agissait de questions qui provenaient des évêques, des abbés, des clercs, et également des autorités civiles de tout ordre et degré. Parmi les problèmes qui affligeaient l’Italie et Rome à cette époque, il y en avait un d’une importance particulière dans le domaine civil et ecclésial : la question lombarde. Le Pape y consacra toutes les énergies possibles en vue d’une solution vraiment pacificatrice. A la différence de l’empereur byzantin qui partait du présupposé que les Lombards étaient seulement des individus grossiers et prédateurs à vaincre ou à exterminer, saint Grégoire voyait ces personnes avec les yeux du bon pasteur, préoccupé de leur annoncer la parole du salut, établissant avec eux des relations fraternelles en vue d’un avenir de paix fondé sur le respect réciproque et sur la coexistence sereine entre les italiens, les impériaux et les lombards. Il se préoccupa de la conversion des jeunes peuples et de la nouvelle organisation civile de l’Europe : les Wisigoths d’Espagne, les Francs, les Saxons, les immigrés en Britannia et les Lombards furent les destinataires privilégiés de sa mission évangélisatrice. Nous avons célébré hier la mémoire liturgique de saint Augustin de Canterbury, le chef d’un groupe de moines chargés par Grégoire de se rendre en Britannia pour évangéliser l’Angleterre.

Pour obtenir une paix effective à Rome et en Italie, le Pape s’engagea à fond - c’était un véritable pacificateur -, entreprenant des négociations serrées avec le roi lombard Agilulf. Ces négociations conduisirent à une période de trêve qui dura environ trois ans (598-601), après lesquels il fut possible de stipuler, en 603, un armistice plus stable. Ce résultat positif fut rendu possible également grâce aux contacts parallèles que, entre temps, le Pape entretenait avec la reine Théodelinde, qui était une princesse bavaroise et qui, à la différence des chefs des autres peuples germaniques, était catholique, profondément catholique. On conserve une série de lettres du Pape Grégoire à cette reine, dans lesquelles il révèle son estime et son amitié pour elle. Théodelinde réussit peu à peu à guider le roi vers le catholicisme, préparant ainsi la voie à la paix. Le Pape se soucia également de lui envoyer les reliques pour la basilique Saint-Jean-Baptiste qu’elle fit ériger à Monza, et il ne manqua pas de lui faire parvenir ses vœux et des dons précieux à l’occasion de la naissance et du baptême de son fils Adaloald. L’histoire de cette reine constitue un beau témoignage à propos de l’importance des femmes dans l’histoire de l’Eglise. Au fond, les objectifs auxquels Grégoire aspira constamment furent trois : contenir l’expansion des Lombards en Italie ; soustraire la reine Théodelinde à l’influence des schismatiques et renforcer sa foi catholique ; servir de médiateur entre les Lombards et les Byzantins en vue d’un accord pour garantir la paix dans la péninsule, en permettant dans le même temps d’accomplir une action évangélisatrice parmi les Lombards eux-mêmes. Son orientation constante dans cette situation complexe fut donc double : promouvoir des ententes sur le plan diplomatique et politique, diffuser l’annonce de la vraie foi parmi les populations.

A côté de son action purement spirituelle et pastorale, le Pape Grégoire fut également le protagoniste actif d’une activité sociale multiple. Avec les rentes de l’important patrimoine que le Siège romain possédait en Italie, en particulier en Sicile, il acheta et distribua du blé, il secourut ceux qui étaient dans le besoin, il aida les prêtres, les moines et les moniales qui vivaient dans l’indigence, il paya les rançons des citoyens devenus prisonniers des Lombards, il conclut des armistices et des trêves. En outre, il accomplit aussi bien à Rome que dans d’autres parties de l’Italie une œuvre soignée de réorganisation administrative, en donnant des instructions précises afin que les biens de l’Église, utiles à sa subsistance et à son œuvre évangélisatrice dans le monde, soient gérés avec une rectitude absolue et selon les règles de la justice et de la miséricorde. Il exigeait que les colons soient protégés des abus des concessionnaires des terres appartenant à l’Église et, en cas de fraude, qu’ils soient rapidement dédommagés, afin que le visage de l’Épouse du Christ ne soit pas défiguré par des profits malhonnêtes.

Cette intense activité fut accomplie par Grégoire malgré sa santé fragile, qui le poussait souvent à rester au lit pendant de longs jours. Les jeûnes pratiqués au cours des années de sa vie monastique lui avaient procuré de sérieux problèmes digestifs. En outre, sa voix était très faible, si bien qu’il était souvent obligé de confier au diacre la lecture de ses homélies, afin que les fidèles présents dans les basiliques romaines puissent l’entendre. Il faisait cependant tout son possible pour célébrer les jours de fête Missarum sollemnia, c’est-à-dire la Messe solennelle, et il rencontrait alors personnellement le peuple de Dieu, qui lui était très attaché, car il voyait en lui la référence autorisée à laquelle puiser son assurance : ce n’est pas par hasard que lui fut très vite attribué le titre de consul Dei. Malgré les conditions très difficiles dans lesquelles il dut œuvrer, il réussit à conquérir, grâce à sa sainteté de vie et à sa riche humanité, la confiance des fidèles, en obtenant pour son époque et pour l’avenir des résultats vraiment grandioses. C’était un homme plongé en Dieu : le désir de Dieu était toujours vivant au fond de son âme et c’est précisément pour cela qu’il était toujours très proche de son prochain, des besoins des personnes de son époque. A une époque désastreuse, et même désespérée, il sut établir la paix et donner l’espérance. Cet homme de Dieu nous montre où sont les véritables sources de la paix, d’où vient la véritable espérance et il devient ainsi un guide également pour nous aujourd’hui.

Chers frères et sœurs,

Je reviendrai aujourd’hui, à l’occasion de notre rencontre du mercredi, sur la figure extraordinaire du Pape Grégoire le Grand, pour tirer quelques lumières supplémentaires de la richesse de son enseignement. Malgré les multiples engagements liés à sa fonction d’évêque de Rome, il nous a laissé de nombreuses œuvres, auxquelles l’Église a puisé à pleines mains au cours des siècles suivants. Outre ses nombreuses lettres - le Registre que j’ai mentionné dans la dernière catéchèse contient plus de 800 lettres - il nous a surtout laissé des écrits à caractère exégétique, parmi lesquels se distinguent le Commentaire moral à Job - célèbre sous son titre latin de Moralia in Iob -, les Homélies sur Ézéchiel et les Homélies sur les Évangiles. Il y a aussi une importante œuvre de caractère hagiographique, les Dialogues, écrite par Grégoire pour l’édification de la reine lombarde Théodelinde. L’œuvre principale et la plus célèbre est sans aucun doute la Règle pastorale, que le Pape rédigea au début de son pontificat dans le but précis de présenter un programme.

En passant rapidement ces œuvres en revue, nous devons tout d’abord noter que, dans ses écrits, Grégoire ne se montre jamais préoccupé de tracer une doctrine qui soit "la sienne", qui soit originale. Il entend plutôt se faire l’écho de l’enseignement traditionnel de l’Église, il veut simplement être la bouche du Christ et de son Église, sur le chemin qu’il faut parcourir pour arriver à Dieu. Ses commentaires exégétiques sont exemplaires à ce propos. Il fut un lecteur passionné de la Bible, dont il s’approcha avec des intentions qui n’étaient pas simplement spéculatives : il pensait que le chrétien ne devait pas tellement tirer des connaissances théoriques de l’Écriture Sainte, mais plutôt la nourriture quotidienne pour son âme, sa vie d’homme dans ce monde. Dans ses Homélies sur Ézéchiel, par exemple, il insiste fortement sur cette fonction du texte sacré : approcher l’Écriture uniquement pour satisfaire son propre désir de connaissance signifie céder à la tentation de l’orgueil et s’exposer ainsi au risque de glisser dans l’hérésie. L’humilité intellectuelle est la première règle pour celui qui cherche à pénétrer les réalités surnaturelles en partant du livre sacré. L’humilité n’exclut pas du tout, bien sûr, l’étude sérieuse ; mais si l’on veut que celle-ci soit spirituellement bénéfique, en permettant d’entrer réellement dans la profondeur du texte, l’humilité demeure indispensable. Ce n’est qu’avec cette attitude intérieure que l’on écoute réellement et que l’on perçoit enfin la voix de Dieu. D’autre part, lorsqu’il s’agit de la Parole de Dieu, comprendre n’est rien, si la compréhension ne conduit pas à l’action. Dans ces Homélies sur Ézéchiel on trouve également cette belle expression selon laquelle "le prédicateur doit tremper sa plume dans le sang de son cœur ; il pourra ainsi arriver également jusqu’à l’oreille de son prochain". En lisant ses homélies on voit que Grégoire a réellement écrit avec le sang de son cœur et c’est la raison pour laquelle il nous parle encore aujourd’hui.

Grégoire développe également ce discours dans le Commentaire moral à Job. Suivant la tradition patristique, il examine le texte sacré dans les trois dimensions de son sens : la dimension littérale, la dimension allégorique et la dimension morale, qui sont des dimensions du sens unique de l’Écriture Sainte. Grégoire attribue toutefois une nette priorité au sens moral. Dans cette perspective, il propose sa pensée à travers plusieurs binômes significatifs - savoir-faire, parler-vivre, connaître-agir - dans lesquels il évoque deux aspects de la vie humaine qui devraient être complémentaires, mais qui finissent souvent par être antithétiques. L’idéal moral, commente-t-il, consiste toujours à réaliser une intégration harmonieuse entre la parole et l’action, la pensée et l’engagement, la prière et le dévouement aux devoirs de son propre état : telle est la route pour réaliser cette synthèse grâce à laquelle le divin descend dans l’homme et l’homme s’élève jusqu’à l’identification avec Dieu. Le grand Pape trace ainsi pour le croyant authentique un projet complet de vie ; c’est pourquoi le Commentaire moral à Job constituera au cours du Moyen-âge une sorte de Summa de la morale chrétienne.

D’une grande importance et d’une grande beauté sont également les Homélies sur les Évangiles. La première d’entre elles fut tenue dans la basilique Saint-Pierre au cours du temps de l’Avent de 590 et donc quelques mois après son élection au pontificat ; la dernière fut prononcée dans la basilique Saint-Laurent, lors du deuxième dimanche de Pentecôte de 593. Le Pape prêchait au peuple dans les églises où l’on célébrait les "stations" - des cérémonies de prière particulières pendant les temps forts de l’année liturgique - ou les fêtes des martyrs titulaires. Le principe inspirateur, qui lie les diverses interventions ensemble, peut être synthétisé dans le terme "praedicator" : non seulement le ministre de Dieu, mais également chaque chrétien, a la tâche de devenir le "prédicateur" de ce dont il a fait l’expérience en lui-même, à l’exemple du Christ qui s’est fait homme pour apporter à tous l’annonce du salut. L’horizon de cet engagement est l’horizon eschatologique : l’attente de l’accomplissement en Christ de toutes les choses est une pensée constante du grand Pontife et finit par devenir un motif inspirateur de chacune de ses pensées et de ses activités. C’est de là que naissent ses rappels incessants à la vigilance et à l’engagement dans les bonnes œuvres.

Le texte peut-être le plus organique de Grégoire le Grand est la Règle pastorale, écrite au cours des premières années de pontificat. Dans celle-ci, Grégoire se propose de tracer la figure de l’évêque idéal, maître et guide de son troupeau. Dans ce but, il illustre la gravité de la charge de pasteur de l’Église et les devoirs qu’elle comporte : c’est pourquoi, ceux qui n’ont pas été appelés à cette tâche ne doivent pas la rechercher avec superficialité, et ceux qui en revanche l’ont assumée sans la réflexion nécessaire doivent sentir naître dans leur âme une juste inquiétude. Reprenant un thème privilégié, il affirme que l’évêque est tout d’abord le "prédicateur" par excellence ; comme tel il doit être, en premier lieu, un exemple pour les autres, de manière à ce que son comportement puisse constituer un point de référence pour tous. Une action pastorale efficace demande ensuite qu’il connaisse ses destinataires et qu’il adapte ses interventions à la situation de chacun : Grégoire s’arrête pour illustrer les différentes catégories de fidèles avec des annotations judicieuses et précises, qui peuvent justifier l’évaluation de ceux qui ont également vu dans cette œuvre un traité de psychologie. On comprend à partir de cela qu’il connaissait réellement son troupeau et parlait de tout avec les personnes de son temps et de sa ville.

Ce grand Pape insiste cependant sur le devoir que le pasteur a de reconnaître chaque jour sa propre pauvreté, de manière à ce que l’orgueil ne rende pas vain, devant les yeux du Juge suprême, le bien accompli. C’est pourquoi le chapitre final de la Règle est consacré à l’humilité : "Lorsqu’on se complaît d’avoir atteint de nombreuses vertus, il est bon de réfléchir sur ses propres manquements et de s’humilier : au lieu de considérer le bien accompli, il faut considérer celui qu’on a négligé d’accomplir". Toutes ces précieuses indications démontrent la très haute conception que saint Grégoire se fait du soin des âmes, qu’il définit "ars artium", l’art des arts. La Règle connut un grand succès, au point que, chose plutôt rare, elle fut rapidement traduite en grec et en anglo-saxon.

Son autre œuvre, les Dialogues, est également significative. Dans celle-ci, s’adressant à son ami et diacre Pierre, qui était convaincu que les mœurs étaient désormais tellement corrompues que la naissance de saints n’était plus possible comme par les époques passées, Grégoire démontre le contraire : la sainteté est toujours possible, même dans les temps difficiles. Il le prouve en racontant la vie de personnes contemporaines ou disparues depuis peu, que l’on pouvait tout à fait qualifier de saintes, même si elles n’avaient pas été canonisées. Le récit est accompagné par des réflexions théologiques et mystiques qui font du livre un texte hagiographique particulier, capable de fasciner des générations entières de lecteurs. La matière est tirée des traditions vivantes du peuple et a pour but d’édifier et de former, en attirant l’attention de celui qui lit sur une série de questions telles que le sens du miracle, l’interprétation de l’Écriture, l’immortalité de l’âme, l’existence de l’enfer, la représentation de l’au-delà, des thèmes qui avaient besoin d’éclaircissements opportuns. Le livre II est entièrement consacré à la figure de Benoît de Nursie et est l’unique témoignage antique sur la vie du saint moine, dont la beauté spirituelle paraît dans ce texte avec une grande évidence.

Dans le dessein théologique que Grégoire développe dans ses œuvres, passé, présent et avenir sont relativisés. Ce qui compte le plus pour lui est le cours tout entier de l’histoire salvifique, qui continue à se dérouler parmi les obscures méandres du temps. Dans cette perspective, il est significatif qu’il insère l’annonce de la conversion des Angles au beau milieu du Commentaire moral à Job : à ses yeux, l’événement constituait une avancée du royaume de Dieu dont parle l’Écriture ; il pouvait donc à juste titre être mentionné dans le commentaire d’un livre sacré. Selon lui, les guides des communautés chrétiennes doivent sans cesse s’engager à relire les événements à la lumière de la parole de Dieu : c’est dans ce sens que le grand Pape ressent le devoir d’orienter les pasteurs et les fidèles sur l’itinéraire spirituel d’une lectio divina éclairée et concrète, inscrite dans le contexte de sa propre vie.

Avant de conclure, il est juste de prononcer un mot sur les relations que le Pape Grégoire cultiva avec les patriarches d’Antioche, d’Alexandrie et de Constantinople elle-même. Il se soucia toujours d’en reconnaître et d’en respecter les droits, en se gardant de toute interférence qui en limitât l’autonomie légitime. Si toutefois saint Grégoire, dans le contexte de sa situation historique, s’opposa au titre d’"oecuménique" que voulait le Patriarche de Constantinople, il ne le fit pas pour limiter ou nier cette autorité légitime, mais parce qu’il était préoccupé par l’unité fraternelle de l’Église universelle. Il le fit surtout en raison de sa profonde conviction que l’humilité devrait être la vertu fondamentale de tout évêque, et plus encore d’un Patriarche. Grégoire était resté un simple moine dans son cœur, et c’est pourquoi il était absolument contraire aux grands titres. Il voulait être - telle est son expression - servus servorum Dei. Ce terme forgé par lui n’était pas dans sa bouche une formule pieuse, mais la manifestation véritable de son mode de vivre et d’agir. Il était intimement frappé par l’humilité de Dieu, qui en Christ s’est fait notre serviteur, qui a lavé et lave nos pieds sales. Par conséquent, il était convaincu que notamment un évêque devrait imiter cette humilité de Dieu et suivre ainsi le Christ. Son désir fut véritablement de vivre en moine, dans un entretien constant avec la Parole de Dieu, mais par amour de Dieu il sut se faire le serviteur de tous à une époque pleine de troubles et de souffrances, se faire "serviteur des serviteurs". C’est précisément parce qu’il le fut qu’il est grand et qu’il nous montre également la mesure de la vraie grandeur.

[1] Moral, in Job. Lib. XXVII, cap. XI.

[2] Regest. Lib. IV. Epist. VI ad Childebertum Regem.

[3] Ioh. diac., Vita P. S. Gregorii, L. IV, c. 80

[4] Ici, le Bhx Schuster décrit la messe antérieure à 1942.

[5] Il est fait allusion ici à une gracieuse légende. Un saint moine eut un jour la simplicité de demander au Seigneur à quel degré de sainteté il était déjà parvenu avec toute la rigueur de sa vie. Dieu lui répondit qu’il avait égalé le pape Grégoire. De quoi le moine s’offensa, car il vivait pauvrement dans une grotte, tandis que le Pontife commandait au monde, dans son magnifique patriarchium du Latran. Dieu fit alors observer au moine que Grégoire vivait plus détaché de la splendeur de sa dignité papale que lui ne l’était d’un petit chat qui lui tenait compagnie !

[6] L’aïeul de Grégoire avait été le pape Félix IV. Il existe un poème où il est dit de Damase, né lui aussi d’un personnage revêtu de la dignité épiscopale : NATVS • QVI • ANTISTES • SEDIS • APOSTOLICAE.